« Être intègre, suivre son instinct et exprimer ce qu’on ressent. Le but : faire de la bonne musique qui nous fait vivre des émotions fortes. » C’est ce que répondent les Montréalaises de Heartstreets, Emma Beko et Gab Godon, lorsqu’on leur demande de préciser la ligne directrice de leur projet musical qui fait tourner de plus en plus de têtes par les temps qui courent.

Des émotions fortes, Heartstreets en a vécues et en a fait vivre aux spectateurs de leur prestation surprise dans le stationnement du Paramount de Rouyn-Noranda, en Abitibi, lors de la dernière édition du FME en septembre dernier. Une rencontre coup de foudre entre leur enthousiasme communicatif et le désir de découverte d’une petite foule sous le charme de leur proposition électropop infusée de rap, R&B et soul. Voyez plutôt par vous-même leur réaction quelques instants après la courte performance :

Si sur YouTube les premiers bourgeons de Heartstreets datent d’il y a 5 ans, c’est véritablement depuis 2015 que les choses sont devenues plus sérieuses. Enchainant les sorties de singles, les mini-albums et les spectacles, elles se sont fait remarquer à Osheaga cet été à un point tel que le festival présente leur plus récente tournée en tête d’affiche en compagnie de Ryan Playground de Toronto à Québec en passant par Montréal (le 30 novembre 2017, à L’Astral).

Mais ce qui fait le plus jaser ces temps-ci, et avec raison, c’est leur tout nouveau single « Blind » produit par nul autre que le gagnant du Prix Polaris 2016 et du prix Musique électronique du Gala de la SOCAN 2015 Kaytranada et que le réputé magazine The Fader a présenté en exclusivité en des termes forts élogieux :

« On travaille avec différents producteurs sur pratiquement chacune de nos chansons, explique Gab. On trouve ça important parce que ça nous permet d’explorer les différentes facettes de notre style et ça nous pousse dans notre création, nous faisant découvrir de nouveaux sons à chaque fois. Notre collaboration avec Kaytranada, s’est faite très naturellement en partant. Suite à une première session en studio, nous avons travaillé chacun de notre côté et en sommes venus à un produit qu’on aimait tous beaucoup ! On ne suit pas de recette spécifique quand on travaille sur un nouveau morceau musical, ça varie toujours ! »

Ce qui ne varie pas cependant c’est la courbe ascendante de leur popularité, Heartstreets observant que le nombre de leurs fans va toujours en augmentant et a un bon rythme. Et notre petit doigt nous dit que ce n’est pas prêt de se calmer…



Longtemps avant de songer à faire carrière comme musicienne, Tamara Lindeman se considérait comme une mélomane pure et dure. « Je n’avais pas vraiment de liens avec la scène musicale et je ne connaissais pas de musiciens », explique-t-elle. « Je m’intéressais juste passionnément à la scène musicale torontoise. » Ses premières expériences personnelles comme créatrice ont été les paysages sonores qu’elle a commencé à concocter dans sa chambre à coucher au milieu des années 2000. Lorsqu’elle a songé à les partager sur MySpace, elle s’est rendu compte qu’il lui fallait un nom, et elle a choisi celui de The Weather Station. « Je disais qu’il s’agissait d’enregistrements sonores réalisés par une femme dans une station météorologique de l’Arctique », se souvient-elle en éclatant de rire.

La musique de Tamara Lindeman a rapidement évolué, mais le nom est resté. The Weather Station – aujourd’hui un projet, parfois solo, à saveur folk-rock, parfois un groupe de tournée – a décidément fait connaître Tamara Lindeman comme une auteure-compositrice-interprète à surveiller. Son quatrième album complet – éponyme et autoproduit – est sorti en octobre et a reçu des critiques dithyrambiques de la part de Pitchfork, The FADER, Exclaim! et le magazine britannique Uncut, qui lui a accordé le quatrième rang sur la liste des 10 meilleurs albums de 2017.

Mais l’artiste, dont le troisième album, Loyalty, figurait à la longue liste du Prix de musique Polaris de 2015, n’en continue pas moins de regarder son succès comme si elle était toujours en marge de la scène musicale. « J’ai un problème du fait que j’ai l’impression que je me considérerai toujours comme une parfaite étrangère », avoue-t-elle en évaluant son succès à ce jour. « Je n’arrive pas à trouver tout ça naturel, et je ne peux rien tenir pour acquis. »

Même si elle a chanté dans des chorales et appris le piano dans son enfance, Tamara Lindeman – dont on compare souvent la voix à celle de Joni Mitchell – demeure essentiellement autodidacte. Elle ne s’est aventurée dans l’écriture de chansons que lorsqu’elle s’est rendu compte qu’il lui fallait quelque chose de plus convenable que des paysages atmosphériques dans son répertoire si elle voulait commencer à partager sa musique  dans le cadre de représentations publiques. « J’ai toujours chanté par instinct », explique-t-elle pour décrire la courbe d’apprentissage qu’elle a suivie « plus ou moins à tâtons ».

« Je vais faire des riffs sur une idée, ou encore chanter quelque chose sans savoir à quoi ­ça rime, et ensuite je vais essayer de comprendre ce qui se passe. »

Tamara Lindeman, qui a derrière elle une expérience de comédienne, a commencé à développer son métier d’auteure-compositrice grâce à une méthode axée sur le courant toujours changeant de la conscience, processus qui l’amène à développer un certain nombre de riffs et de mélodies solides, puis à leur superposer des paroles improvisées. « Fondamentalement, je chante, et après je vois ce que je dis », explique-t-elle pour décrire le processus qui l’amène à tout enregistrer en chemin et à voir ensuite ce qui mérite d’être gardé.  « Je vais faire des riffs sur une idée, ou encore chanter quelque chose sans savoir à quoi ç­a rime, et ensuite je vais essayer de comprendre ce qui se passe », confie-t-elle, expliquant ensuite que ça veut parfois dire qu’elle chante très lentement ou qu’elle fait de longues pauses pour réfléchir à ce qu’elle va dire ensuite.

Consciente d’être perfectionniste, Tamara Lindeman admet que le processus du montage peut s’éterniser puisqu’elle doit d’abord transcrire les idées qu’elle a fredonnées avant de retenir les paroles qui semblent le mieux capter ce qu’elle essaie de dire. « C’est le processus de la sélection qui est le plus fou », explique-t-elle en riant.

Il en découle des paroles à caractère plutôt personnel qui sont parfois suivies de passages à bâtons rompus qui ont un effet poétique, et ce, particulièrement  sur son plus récent album, qu’elle décrit comme étant « beaucoup plus fou que mes autres disques. » « Je crois que c’est mon disque le plus franc », ajoute-t-elle. « C’est définitivement mon plus culotté. Mes anciens albums sont plus subtils que celui-là. »

Selon l’artiste, cela tient en partie à un désir de créer un album plus confiant et plus rock avec des rythmes plus vigoureux correspondant à la fois à son état d’esprit actuel et au goût de l’heure. « La musique subtile ne fonctionne pas toujours  – il faut parfois autre chose », explique-t-elle en parlant de chansons qui touchent à des sujets comme la politique, le changement climatique ou le divorce de ses parents. « Compte tenu de mon état émotif d’alors et de l’état actuel du monde, je sentais que j’aurais tort de jouer de la belle musique tranquille », précise-t-elle. « Je n’ai vraiment rien de beau à dire sur ce qui ce passe ces temps-ci. »

L’autre changement, sur cet album, c’est que Tamara Lindeman a pris la décision d’en diriger elle-même la réalisation. Tandis que ses tout premiers disques avaient été « super autoproduits », les deux derniers avaient été réalisés en étroite collaboration avec d’autres musiciens, notamment Afie Jurvanen (alias Bahamas) et Daniel Romano qui, explique-t-elle, bénéficiaient d’une expérience et de points de repère qu’elle n’avait pas nécessairement et qui l’avaient aidée à cesser à douter d’elle-même.

Par contre, Tamara Lindeman mentionne qu’au moment d’entamer la réalisation de The Weather Station, qui met en vedette Ben Whiteley à la basse, Don Kerr (des Rheostatics) à la batterie (ils sont également au cœur de son groupe de tournée) et plusieurs autres musiciens, elle savait déjà exactement quel son l’album devait avoir. « Je croyais pouvoir l’expliquer, mais je me suis vite rendu compte que personne n’est capable de dire ce qu’il y a dans ma tête sauf moi », dit-elle. « Donc il a fallu que j’apprenne à prendre le contrôle, à prendre des décisions et à devenir la force directrice de l’œuvre. »

Au dire de Tamara Lindeman, ça a été une expérience qui l’a amenée à mieux se fier à elle-même et à se faire davantage confiance comme musicienne. Elle admet qu’il y a encore des moments, souvent pendant ses propres spectacles, où elle s’étonne non seulement d’avoir fait salle comble, mais même de voir qu’elle s’est engagée dans une carrière musicale pour commencer. « C’est tellement dur, la musique. Il est difficile de réussir sur le plan émotif, artistique ou professionnel », explique-t-elle. « Le fait de réussir dans les trois domaines procure une satisfaction inouïe. »



Après s’être taillé une place au sein de la communauté des auteurs-compositeurs-interprètes torontois, la très appréciée Emma-Lee a déménagé ses pénates à Nashville en février 2017 pour y poursuivre sa carrière.

Et elle ne regrette pas sa décision. « La ville a dépassé toutes mes attentes », dit-elle. « J’ai écrit plus de chansons cette année que jamais auparavant ; la ville nourrit cet appétit. »

Ironiquement, vivre à Music City lui a également offert plus d’occasions de travailler avec des auteurs-compositeurs canadiens. « À Toronto, je collaborais avec des artistes country, mais il n’y en avait pas beaucoup qui s’y rendait pour écrire leur album », explique-t-elle. « Mais pratiquement toute la scène country canadienne vient à Nashville, alors j’ai plus souvent l’occasion de collaborer avec eux, et c’est génial. »

« Je n’ai toujours pas d’éditeur », confie Emma-Lee, « mais j’aimerais bien travailler avec un éditeur. Je crois quand même que plus on est autonome avant de se trouver dans une situation d’édition, mieux on est équipé pour celle-ci lorsqu’elle arrive. »

Sa discographie de co-écriture de pièces enregistrées et interprétées par des artistes canadiens est impressionnante : Madeline Merlo, Michelle Treacy, Kira Isabella, Nice Pony, Victoria Duffield, Alee, Leah Daniels, SATE et Tia Brazda, pour ne nommer que celles-là. Elle est par ailleurs ravie de la pièce écrite avec sa collaboratrice de longue date, Karen Kosowski, ainsi que Phil Barton qui figurera sur le prochain album de Brett Kissel, ainsi que de récentes collaborations avec Sam Drysdale et Stacey Kay.

« Tom Petty qui mentionne mon nom dans le magazine Rolling Stone c’est pas mal la chose la plus cool au monde ! »

Photographe, en plus
Outre sa solide carrière musicale, Emma-Lee est également photographe professionnelle depuis une dizaine d’années, et elle se spécialise dans les clichés de musiciens et d’acteurs. « Je faisais beaucoup de photo à Toronto, mais ici, à Nashville, je recommence à zéro. Le fait que je prenne des photos de musiciens et que je collabore constamment avec des auteurs-compositeurs et des interprètes aide à faire passer le mot. Je dois justement faire un photo shoot avec [l’auteur-compositeur canadien de renom] Tebey [Ottoh] ici la semaine prochaine. Ce que j’aime de la photographie ici c’est que j’ai accès à tout un monde de nouveaux endroits pour prendre des images. J’habite East Nashville et on y retrouve une ambiance rétro que j’adore. Ç’a ravivé la flamme de mon inspiration. »

Sur le chemin de la création musicale, Emma-Lee a eu la chance de collaborer avec certains des plus grands auteurs-compositeurs canadiens, dont Ron Sexsmith, Todd Clark, Donovan Woods et Gavin Slate. Elle a avidement appris tout ce qu’elle pouvait de ces rencontres, et elle nous parle d’une séance de création à Los Angeles, plus tôt cette année, avec Brian West (Nelly Furtado, Maroon 5) qui fut des plus inspirantes.

« Je suis ressortie de là avec une approche légèrement différente de l’écriture », avoue-t-elle. On ne sait jamais quand ce genre de chose va se produire. Une bonne chose au sujet de Nashville, c’est qu’on y fait constamment de nouvelles rencontres qui nous permettent de voir comment les autres travaillent. On retient quelques aspects de leur approche, on l’applique à notre travail et on en ressort plus forts. »

Emma-Lee s’est d’abord fait connaître comme artiste solo avec le succès critique de ses premiers albums, Never Just A Dream (2009) et Backseat Heroine (2012). Son simple lancé en 2014 en l’honneur de son héros musical fut l’un des faits saillants de sa carrière.

La chanson « What Would Tom Petty Do? » est venue à l’attention de Petty et il a répondu dans les pages de Rolling Stone « je ne sais pas ce qu’il ferait, mais c’est gentil de le demander. » « Tom Petty qui mentionne mon nom, c’est pas mal la chose la plus cool au monde ! »

Son nouvel album, Fantasies, a été lancé sous forme de deux EPs de cinq chansons. Fantasies Vol. 1 est paru en octobre 2017 et Vol. 2 paraîtra en janvier 2018. « Lancer des œuvres moins volumineuses vous rend service, à long terme », croit l’artiste. « Ça donne une chance aux gens de digérer de plus petites portions de ce que vous tentez d’exprimer. Je suis une créatrice de musique, et même moi j’ai parfois de la difficulté à écouter un album en entier. Si je suis capable de m’avouer ça, je dois être honnête dans ma manière de lancer ma musique. »

Les chansons qu’on retrouve sur Fantasies ont été écrites à Toronto, Los Angeles et Nashville et produites par Kosowski, qui a également coécrit la majorité d’entre elles. Todd Clark a participé à l’écriture de « Not Giving Up On You », et un remix dance de cette chanson connaît un succès certain. « Elle a déjà cumulé un demi-million d’écoutes sur Spotify, alors j’imagine que ça veut dire que les gens aiment danser », dit Emma-Lee. « No Photographs », coécrite avec Kosowski et Ron Sexsmith, figurera sur le deuxième EP.

Emma-Lee a beau avoir des goûts éclectiques comme chanteuse et auteure-compositrice, elle qualifie néanmoins Fantasies d’album de pure pop. « Je crois que c’est l’album le plus cohérent que j’ai enregistré. Karen et moi écoutions des productions pop des années 80 et 90 à l’époque, et nous avons eu envie d’aller dans cette direction. »

« Écrire des chansons avec et pour d’autres gens m’a fait prendre conscience que je pouvais me permettre de laisser libre cours à mes tendances stylistiques, ici. J’adore toucher à différents styles musicaux, mais lorsque vous tenter de faire ça en tant qu’artiste, ça peut devenir difficile pour votre auditoire de saisir qui vous êtes. »

Au début, elle écrivait tout son matériel seule, mais Emma-Lee est désormais mariée à la coécriture. « Mon expérience m’a démontré que lorsque je présente une idée à une personne en qui j’ai confiance, cette idée en ressort invariablement améliorée », affirme l’artiste. « Et puis, j’aime vraiment travailler avec d’autres artistes. Ça n’est pas si amusant que ça de travailler seule, en toute honnêteté. »