Parmi les nombreuses œuvres présentées lors de l’édition 2016 du festival Luminato de Toronto, Song of Extinction a frappé ses auditeurs par sa profondeur et sa justesse, et cela en grande partie grâce à l’émouvant voyage musical à travers le temps géologique composé par Rose Bolton.
L’œuvre a été décrite comme une exploration visuelle et sonore immersive de l’anthropocène, le terme en voie d’être accepté pour décrire l’ère qui a commencé avec l’apparition des humains. La production multimédia d’une cinquantaine de minutes incorporait de nombreuses formes d’expression auxquelles Bolton a déjà touché durant son impressionnante carrière : musique de chambre (interprétée par l’ensemble de chambre Music in the Barns), musique pour voix (pour les membres de la chorale de l’orchestre de chambre Tafelmusik ainsi que les VIVA ! Youth Singers) ; musique pop (« j’ai utilisé le format des chansons populaires et mis les paroles et la voix tout en avant », comme elle l’explique) ; et musique électronique « live » (jouée par Bolton).
Song of Extinction est né d’un processus collaboratif entre le documentariste Marc de Guerre, le poète et membre de l’Ordre du Canada Don McKay, la directrice de Music in the Barns Carol Gimbel et Rose Bolton. Ce processus s’inscrit entièrement dans la méthode exploratoire qui anime Bolton depuis l’âge de neuf ans, une époque où elle jouait de tous les instruments qu’elle trouvait (du piano au violon en passant par les cuivres) et où elle a commencé à composer.
« Je souhaitais être plus comme les peintres qui créent une œuvre qui existe, une œuvre qu’ils n’ont pas besoin de donner à quelqu’un pour l’exécuter. »
Les distinctions et autres commandes d’œuvres se sont concrétisées très tôt dans la carrière de Bolton, qui a reçu son diplôme en musique de la University of Western Ontario au début des années 90 et qui a ensuite étudié en privé pendant quelques années avec la compositrice torontoise Alexina Louie en plus de composer elle-même. Elle a ensuite obtenu sa maîtrise en composition à l’université McGill en 1998. Bolton avait adoré ses aventures créatives dans les studios de musique électronique de Western et McGill, mais elle recevait continuellement des commandes pour de la musique instrumentale fréquemment récompensée, notamment par le Toronto Emerging Composer Award en 2001.
Puis, en 2005, après une année très chargée qui avait notamment vu la première mondiale d’une importante commande pour l’Esprit Orchestra, elle a pris un peu de recul. « J’ai regardé mon œuvre jusqu’à ce jour, et j’ai réalisé que je souhaitais avoir le contrôle sur l’avenir de ma propre composition », se souvient-elle. « Au début de ma carrière, je laissais ces commandes me guider. J’ai également commencé à m’intéresser à la musique traditionnelle irlandaise et aux “violoneux”, je jouais dans un groupe country et avec des ensembles folk, et j’écrivais des arrangements pour des groupes pop. Je voulais faire partie d’une scène, jouer, puis composer. C’était génial, ça me tenait occupée. Je n’avais pas à réfléchir sur ce que je devrais être en train de faire. »
« Je souhaitais être plus comme les peintres qui créent une œuvre qui existe, une œuvre qu’ils n’ont pas besoin de donner à quelqu’un pour l’exécuter », poursuit-elle. « C’est donc en 2005 que j’ai décidé de prendre ça au sérieux et que j’ai commencé à construire mon studio. Reaktor [un logiciel modulaire de studio virtuel] venait d’arriver sur le marché, alors tout ce dont j’avais besoin était un meilleur ordinateur. J’ai acheté une des premières versions de Logic ainsi qu’un enregistreur numérique pour partir à la chasse aux échantillonnages. En 2007 j’ai reçu une première commande. »
Rose Bolton passe désormais la moitié de son temps à composer pour les documentaires de Marc de Guerre, dont notamment Who’s Sorry Now (CBC, 2012) et Life After Digital (TVO, 2014), et l’autre moitié à composer de la musique de concert (commandes et œuvres personnelles). En d’autres mots, il y a presque toujours de la lumière dans son studio.
Lorsqu’elle a commencé à travailler dans le domaine cinématographique il y a huit ans, elle esquissait d’abord des ébauches. « Mais souvent, on ne connaît pas l’ambiance du film tant que le montage n’est pas commencé, alors on n’a accès qu’à quelques minutes de film », explique-t-elle. « Pour ses documentaires, Marc aime la musique électronique, et je finis souvent par y ajouter de vrais instruments. J’ai beaucoup développé mon talent de production et de mixage — tout le processus a réellement changé ma façon d’aborder la musique. »
« En tant que compositrice de musique de concert, lorsqu’on vous passe une commande pour un quatuor à cordes, une fois que vous savez pour qui vous composez… c’est ça qui est ça », rigole-t-elle. « Mais lorsque je crée la trame sonore d’un documentaire, il y a parfois un instrument qui ne cadre pas, alors j’essaie différents sons – un cuivre, un synthé, un échantillonnage, pourquoi pas des cloches ! Mais dans le cas d’une commande, je ne peux pas simplement virer le joueur de cuivre ! »
Rose Bolton explique ensuite que c’est de Guerre, qui évoluait dans les arts visuels avant de se tourner vers le cinéma, qui a eu l’idée de Song of Extinction quelques années avant leur rencontre. Au fil de leurs discussions au sujet de ses idées, Bolton était de plus en plus convaincue de vouloir utiliser un chœur d’orchestre de chambre et des instruments, mais la musique n’a toutefois commencé à prendre forme que lorsqu’elle a commencé à travailler avec Don McKay. « J’avais des ébauches, il écrivait ensuite un poème et me l’envoyait — la poésie et la musique arrivaient simultanément », se souvient-elle. « Don disait “Fais ce que tu veux avec les mots”, alors je transformais son poème en paroles de chanson, je les réduisais à leur plus simple expression, et il n’avait aucun problème avec cette approche. »
Les idées concernant l’instrumentation changeaient continuellement, jusqu’à l’entrée en scène de Music In The Barns, mais Bolton n’avait pas abandonné l’idée d’utiliser un chœur de chambre. « Je tenais à ce que des humains chantent au sujet de l’extinction », dit-elle. « En fin de compte, nous avons utilisé les chanteurs de Tafelmusik ainsi que 30 chanteurs d’une chorale de jeunes. Ils chantaient tous en chœur, pas de soliste, et les deux chœurs se répondaient tour à tour, un peu comme une discussion entre amis ou aux nouvelles. »
« Il y a un va-et-vient continuel », poursuit l’artiste. « C’est ainsi que les idées prennent forme. »