Imprégné d’une fibre pop-punk qui l’a contaminé durant son adolescence beauceronne et porté par un mélange d’assurance et de vertige qui le maintient droit sur le fil, Rémi Chassé nous balance Les cris et les fleurs (Musicor) en pleine gueule.

Rémi Chassé Du haut de ses 32 ans, l’auteur-compositeur-interprète se lance sans filet : « Avec le deuxième album, je voulais qu’on soit plus challengés sur le son, et je cherchais des réalisateurs qui se prêtaient bien au rock. Sans perdre de vue notre twist plus punk et pop aussi. Au Québec, le rock, dans le mainstream, c’est assez limité quand même, Éric Lapointe, ça ne me parle pas vraiment ; le rock à la Galaxie, que je trouve ça super cool, c’est pas ce que je fais non plus… »

C’est donc sous les conseils de Guillaume Beauregard – coréalisateur du premier gravé, Debout dans l’ombre, paru en 2015 – que Chassé s’est tourné vers Gus Van Go (The Stills, Sam Roberts, Vulgaires Machins), pour pondre un album enregistré entre Montréal et Brooklyn, s’armant d’une attitude frondeuse où la pop claque et le rock fait un doigt d’honneur aux partisans du statu quo.

Si de l’aveu du principal intéressé, le premier album a été bien fait, mais de façon hâtive, pour surfer sur le momentum engendré par son passage en finale de La Voix, le processus de création, cette fois-ci, fut plus souple : « J’ai pris plus de temps pour écrire et réfléchir à ce que je voulais faire. Le premier, ç’a été dix tounes, vite fait, bien fait. Mais j’avais pas encore complètement assumé ma signature d’auteur-compositeur-interprète franco. Là, ça donne un rock plus concis, sans perdre mon côté emo/introspectif qui est encore dans plusieurs chansons. On dirait que j’écris juste des chansons quand je sens une lourdeur, une profondeur qui est là. J’ai aussi été vers des sujets plus politiques, ce qui est très nouveau pour moi, mais on est tellement à une époque absurde en ce moment. »

En témoignent les titres Contre qui, Le monde est à plaindre ou encore L’ombre d’un remord qui, respectivement, posent la loupe sur les travers et fléaux ancrés et/ou systémiques qui contaminent notre époque.

Et si Guillaume Beauregard n’est plus impliqué sur le plan de la réalisation, il demeure un complice de choix pour Chassé, ayant repassé les textes au peigne fin à ses côtés: « Je suis un immense fan de Vulgaires Machins. Quand Guillaume n’aime pas quelque chose, il ne se gêne pas pour le dire et quand il aime, ça veut dire beaucoup pour moi. »

Il a aussi fait appel à Gaële qui l’a aidé à peaufiner le tout. « Même si c’est un travail de band, le texte est beaucoup sur mes épaules et ça m’a fait le plus grand bien d’échanger avec elle »

Si la nomenclature rock semble habiter le propos de l’artiste, de quoi en retourne-t-il plus précisément?

« En fait, je pense qu’on a vraiment un bon album entre les mains. Sans prétention, je pense qu’on arrive avec un certain vent de fraicheur au Québec. Tu sais, ici, en ‘musique populaire’, on a souvent l’impression que le rock c’est deux choses : d’un côté, les tattoos, les danseuses pis les bicyc’; de l’autre, le stoner champ gauche et ses dérivés. Je pense qu’on offre une option rock franche, qui peut être grand public sans tomber dans les gros clichés du genre. »

Celui qui a grandi aux consonances des Green Day, Pennywise, Lagwagon, Millencolin, Dashboard Confessionnal et la cohorte issue d’un punk des années 90, fait écho à ses influences sur plusieurs points : commercialement rentable, accessible au dénominateur commun et truffé de mélodies aussi accrocheuses que coup de poing.

Manifestement, l’ancien leader du groupe Tailor Made Fable et chanteur de formation pour des fêtes corporatives est fin prêt à se faire entendre. Brut, gonflé à bloc, avec un flegme de rockeur qui n’est pas sans charmer. « Ça fait un certain temps que je suis isolé en création, j’ai hâte de sortir pis de jouer live devant les gens. Et j’aurai atteint mon but si, tranquillement, on pense à Rémi Chassé quand on pense rock francophone. »

Tenez-vous-le pour dit



« Je n’ai pas de directives ; j’ai la musique dans le sang. »

Harrison Brome a toujours su qu’il voulait devenir musicien, mais il n’a pas choisi le chemin vers le succès le plus facile. Cet artiste de Vancouver — qui a souffert d’une profonde dyslexie lorsqu’il était jeune — a choisi d’être entièrement autodidacte plutôt que de suivre des cours de piano. « Je jouais des notes au piano, et si elles me semblaient bien aller ensemble, je continuais de les jouer », explique-t-il. « Si vous écoutez attentivement la formule de mes chansons, la structure est habituellement une progression de quatre ou cinq accords très simples. »

Ne vous laissez toutefois pas berner par cette apparente simplicité : la musique de Brome regorge de productions complexes et multicouches, d’une écriture profondément personnelle et de sa voix captivante, dont la palette émotive passe d’une discrétion pleine de « soul » à une puissance toute R&B sur ses hymnes rhapsodiques.

Si son écriture lui permet d’exprimer ses émotions d’une manière très unique — « la musique a toujours été là pour me permettre de surmonter les obstacles que la vie a mis devant moi » —, il n’hésite pas une seconde à faire appel à des producteurs et autres ingénieurs pour donner vie à ses idées. « Je commence habituellement par la progression et la “vibe”, puis lorsque j’ai une solide structure, je la laisse aller pour me concentrer sur la première ligne [les paroles et la mélodie principale]. »

Fort d’un premier EP, Fill Your Brains, paru en 2016, Brome espère passer à la vitesse supérieure cette année avec le lancement de son nouveau EP, Body High, ainsi que d’un autre qu’il dit prêt à lancer. L’artiste affirme qu’il a passé les dernières années « dans la pénombre à peaufiner mon son », ce qui le motive à afin prendre l’avant-scène pour partager sa musique avec ses fans. Mais ça n’est là que l’avenir rapproché ; Brome sait qu’il est dans le métier pour de bon, et il ajoute : « j’ai envie d’être le genre d’artiste qui est à moitié mort, mais qui part encore en tournée à l’âge de 60 ans ».



Helena Deland

Photo : Alex Huard

« Les chansons qu’écrivent les musiciens ne sont pas représentatives de toutes les humeurs qui les habitent, prévient l’auteure, compositrice et interprète Helena Deland. Mais, c’est vrai que les miennes se prêtent bien à la tristesse ». Pas aujourd’hui, en tous cas : attrapée en cette journée de ciel « full beau » à Austin au Texas où la musicienne a donné cinq concerts en autant de jours pour le festival South by South West, c’est le sourire dans la voix qu’elle nous raconte l’histoire derrière son excellent mini-album From the Series of Songs « Altogether Unaccompanied » Vol. I & II, paru début mars.

Il s’agit de sa première grande vitrine professionnelle internationale, la première fois qu’elle tourne avec ses trois musiciens à l’extérieur du Canada. Et Helena Deland en profite au max. « C’est drôle parce qu’on se fait mettre en garde à propos du South by South West de tellement de manières, mais franchement, it lives up to its expectations ! », balance-t-elle dans sa langue maternelle.

Langue maternelle au sens propre, si vous voulez : maman est d’origine irlandaise, papa du Québec, Helena Deland a grandi dans les deux langues qu’elle maîtrise avec une égale aisance, ça s’entend dans ses chansons, composées en anglais. « Avant d’enregistrer quoi que ce soit, j’écrivais mes textes en français, raconte-t-elle avec cet accent franc de la capitale nationale. Je les aime encore, mais il me semble que c’est plus facile pour moi [d’écrire en anglais], ça va avec ma culture musicale personnelle. Y’a aussi quelque chose de séduisant à écrire en anglais, à cause de son rythme inhérent. Ça coule mieux. »

Elle a quitté Québec pour Montréal il y a cinq ou six ans dans le but de poursuivre ses études littéraires à l’UQAM. Helena traînait alors dans ses bagages quelques chansons « mais ce n’était pas très assumé. C’est un concours de circonstances qui a fait en sorte que je rencontre Jessie » Mac Cormack, qui a réalisé son premier mini-album, Drawing Room, paru à l’été 2016. « J’avais envie d’enregistrer mes chansons, mais je ne pensais pas faire carrière, je n’avais aucune expérience en studio. D’ailleurs, je ne donnais pas vraiment de spectacles non plus. C’est allé de fil en aiguille. C’était beaucoup de nouveauté. »

Prometteur, ce premier EP révèle la voix feutrée et le fort joli timbre d’Helena Deland, cependant trempé dans l’univers distinct de Mac Cormack, fait de folk planant, de guitares électriques ondulatoires, de quête de l’intime à travers la prise de son. La formule a fait mouche et a vite attiré l’attention des producteurs.

Paru sur la nouvelle étiquette new-yorkaise Luminelle, From the Series of Songs « Altogether Unaccompanied » Vol. I & II, lui aussi réalisé par le Montréalais, voit la jeune musicienne s’affranchir de son réalisateur, alors que sa personnalité s’exprime avec une plus grande clarté dans des chansons qui s’éloignent des clichés folk contemporains pour embrasser des grooves plus minimalistes.

« Notre relation était complètement différente, explique Deland. J’étais toujours présente en studio, j’ai pris plus de temps pour faire ce mini-album – notre relation est parfois devenue plus conflictuelle même, puisque nous sommes tous deux très têtus et on a l’impression de savoir ce qui serait le mieux, chacun de notre côté. Ça a été un travail de collaboration plus serré; Jessie a les capacités techniques de faire n’importe quoi en studio, et maintenant que je sais ce que je veux, il me donne l’occasion le concrétiser. »

Le style Deland touche à l’intime, « dans le personnel, l’échange d’une personne à l’autre, estime-t-elle. Souvent, je chante les choses qui sont non dites dans mes relations avec des gens qui me sont proches. J’ai souvent utilisé la composition pour ventiler et m’aider à comprendre des situations interpersonnelles. »

Son téléphone intelligent déborde de petites idées musicales enregistrées à la sauvette. « Je collectionne des phrases chantées, puis certaines me donnent envie de les retravailler. Des fois, ça donne des chansons. Des fois, rien du tout. Souvent, je pars juste d’une idée, une phrase; ensuite, le gros du travail sera d’y trouver des accords, une mélodie, puis le texte. C’est l’idée première, la phrase chantonnée dans mon téléphone, qui m’inspire ensuite la mélodie et le texte. Quand ça marche, ça va tout seul, le processus de création se fait de manière presque ésotérique. Comme si la chanson naissait, simplement parce que ça devait arriver ».

« J’ai toujours été impressionnée par des structures de chansons originales », l’un des traits les plus captivants de son style d’écriture, qui semble posséder son propre rythme, une façon si naturelle et dynamique d’enchaîner le couplet au refrain. « Aussi, je lis beaucoup de fiction, ça m’aide à écrire. Ce qui me fascine, c’est l’élément de surprise au niveau des textes. Quand je me penche sur un texte et que ça m’étonne. »

Comme ceux de la Néo-Zélandaise Hollie Fullbrook, alias Tiny Ruins. « Avant-hier, complètement par hasard, j’ai abouti au concert qu’elle donnait à Austin, raconte Helena. Dans la salle, seulement une dizaine de personnes – dont cinq penchées sur leurs téléphones intelligents, comme tout professionnel de l’industrie… Après le concert, je suis allé lui parler, et forcément, j’ai pleuré. Elle m’a beaucoup influencé, surtout au moment d’enregistrer le premier EP, j’étais très émue de la rencontrer. »