Nous poursuivons notre série d’entretiens portant sur ces mariages heureux du mystère de la création que l’on appelle… les duos d’auteurs et compositeurs, mais cette fois-ci avec une légère variante : voici un duo composé d’un auteur-compositeur-interprète, Rémi Chassé, et de son « concierge musical », Guillaume Beauregard.

Vous avez bien lu : ces deux musiciens que tout semble éloigner travaillent bel et bien ensemble.  Dans le coin droit, Rémi Chassé, finaliste de la deuxième saison de l’émission La Voix, recruté par le coach Louis-Jean Cormier, et aspirant chanteur populaire en préparation de son premier album. Et dans le coin gauche, Guillaume Beauregard, leader du célèbre groupe punk Les Vulgaires Machins, héraut de la chanson engagée québécoise des quinze dernières années.

« La job, c’est de lui poser les bonnes questions par rapport à ses chansons. L’amener à synthétiser son travail » – Guillaume  Beauregard

Avant La Voix, Chassé avait tenté l’aventure américaine. Ses amis musiciens et lui habitaient un camping à Nashville à la recherche de partenaires pour lancer la carrière de leur groupe. Usés, ils ont fini par abdiquer. De retour au Québec, « j’ai passé une année à faire des reprises dans des restos-bar pour payer le loyer. Et puis, je me suis dit, bof!, je n’ai rien à perdre à m’essayer à La Voix. Ça m’a souri ».

Guillaume Beauregard a cofondé les Vulgaires Machins en 1995; le dernier album du groupe est paru il y a quatre ans et, depuis, il a lancé un premier album solo, D’étoiles, de pluie et de cendres, l’année dernière. Ces derniers temps, il a aussi accompagné d’autres musiciens dans le processus de création d’album : « Écrire, arranger, c’est ce que j’aime. J’ai donné des coups de main à Caravane, Brutal Chéri, Marie-Ève [Roy, des Vulgaires Machins] qui travaille sur un album. J’aime ça travailler sur d’autres affaires que les miennes. Ça demande une autre implication, y’a une objectivité, une distance, un regard » qu’il se permet de poser sur le travail des autres, heureux de pouvoir compter sur son expérience.

Rémi Chassé and Guillaume Beauregard

Ils nous ont donné rendez-vous sur la terrasse de Hubert, proche collaborateur de Rémi et, en cet après-midi ensoleillé, les deux fignolent le texte et la musique de La Tête pleine, les mains vides, chanson qui devrait apparaître sur le premier album de Rémi Chassé, attendu à la rentrée.

Rémi a ses Ray-Ban sur le nez, la guitare sur les genoux, un ordinateur d’allumé devant lui, sur la table de patio. À notre arrivée, il grattait des accords et chantonnait quelques rimes. « Cette chanson sur laquelle on travaille, explique Guillaume, en est une de celles que Rémi m’a présentées qui m’inspire le plus. Or, je trouve qu’il y a un problème sur le plan de la livraison de la mélodie. » Dans les jours précédant cette session de travail, Guillaume avait de son côté retravaillé le texte et la musique pour que la mélodie coule plus naturellement. « J’en étais à lui montrer concrètement mes modifications et pourquoi elles me semblaient faire plus de sens. Puis, on en discute. »

« Y’a des éléments dans la chanson auxquels je tenais, mais ensuite, je prends les idées de Guillaume et je les assimile le mieux possible dans la chanson », renchérit Rémi. Chaque chanson de cet album annoncé exige une approche différente : parfois le texte est à retravailler en profondeur, parfois ce sont les mélodies et les arrangements. « Je n’avais jamais composé ça avant dans mes chansons, des bridges… », dit Rémi Chassé en souriant.

C’est cet avis éclairé d’un auteur-compositeur d’expérience qu’est allé chercher Rémi Chassé après s’être rendu en finale de La Voix. « J’avais déjà commencé à écrire en français avant La Voix, explique-t-il. J’avais quand même confiance en mes chansons, mais j’avais aussi besoin d’un stamp [sceau d’approbation], de quelqu’un qui regarde ça et me dit : Oui, c’est cool, ou non, ça ne marche pas pour ça ou ça. Quelqu’un qui a l’expérience d’écrire des chansons en français depuis longtemps. J’ai demandé à Guillaume parce que j’aime sa plume. J’imagine que quelque chose lui a plu aussi dans ce que j’écrivais parce qu’il a accepté tout de suite. »

Le contact s’est fait par Richard Pelletier, de Musicor. « Lorsqu’il m’a parlé du projet, je ne savais pas pantoute c’était qui, Rémi Chassé, avoue Guillaume. Mais j’ai compris son parcours, j’ai entendu la chanson que Louis-Jean [Cormier] lui avait écrite. Il m’a envoyé son démo, c’était déjà un bon travail de base, avec orchestrations, de la batterie, de la basse. Ce côté pop totalement assumé était déjà là dans ses chansons, nous n’avions pas à trouver une direction au projet. »

Rémi Chassé and Guillaume Beauregard

Ainsi, Guillaume se considère un peu comme le « concierge musical » de Rémi, un peu guide dans l’écriture, un peu directeur musical pour les arrangements.

« Je n’ai pas dénaturé les affaires de Rémi, insiste-t-il. Ces chansons, c’est lui. Quand j’écoute [le premier extrait] Sans adieu, j’ai l’impression qu’on a trouvé la manière de me glisser dans ce projet, trouvé en quoi je peux aider. C’est la chanson de Rémi, mais je sais comment j’ai pu lui faire profiter de mon expertise. La job, c’est de lui poser les bonnes questions par rapport à ses chansons. L’amener à synthétiser son travail. »

Et s’il y a des musiciens qui savent mieux que les autres synthétiser et aller droit au but, c’est bien les musiciens de punk! « Le punk, c’est de la chanson autant que ce que Rémi fait, abonde le leader des Vulgaires Machins. Après, il met sa couleur personnelle dans ses chansons. Pour moi, c’est la même affaire et qu’importe le genre musical, je me pose une question : qu’est-ce que ça me dit, cette chanson-là? »

Chacun des éléments de ce duo de créateurs tire avantage de leur partenariat. En travaillant avec une légende du punk québécois, l’ex-candidat de La Voix se couvre d’une aura de crédibilité, pour ainsi dire, au moment de lancer son premier album : « Totalement, concède Rémi. C’était primordial pour moi. Ce n’est pas parce que j’ai fait La Voix que je fais de la variété. Le concours, la télé, c’est un tremplin, c’est tout. J’écrivais déjà des chansons plus rock, avec un edge, c’est le visage que je veux présenter au public. C’est clair que je voulais travailler avec quelqu’un qui en a beaucoup, du edge

Quant à Guillaume, il se voit beaucoup « dans un rapport d’apprentissage. Je suis conscient que, d’un point de vue strictement artistique, c’est moins ma tasse de thé, mais ça me permet d’apprendre beaucoup à d’autres niveaux. Cette pop assumée est une zone où je ne serais pas allé moi-même; or, de pouvoir travailler ça sans avoir à le défendre vraiment parce que c’est le projet de Rémi, c’est vraiment cool. J’ai envie de découvrir ce dont je suis capable dans ce contexte pop, jusqu’où je demeure pertinent et ce que je vaux dans ce rôle de concierge musical pour quelqu’un d’autre. »

http://remichasse.ca/

http://guillaumebeauregard.com/



Il n’y a pas que le scénario de Louis Morissette et la réalisation de Ricardo Trogi qui donneront au film Le mirage, sa signature. La trame sonore de Frédéric Bégin alimentera aussi l’univers de cette comédie dramatique. «Ricardo avait déjà placé deux pièces de musique classique du XIXe siècle au montage, Le danube bleu de Strauss et L’Arlésienne de Bizet. Et oui, c’est vrai qu’elles sont très connues, mais elles sont utilisées en contrepoint. Ça alimente aussi le côté aristocratique des personnages qui viennent d’un milieu économiquement aisé. » Afin de répondre aux besoins du montage, ces deux pièces ont été réarrangées par Frédéric Bégin et enregistrées par les 69 musiciens de l’Orchestre Symphonique de Prague.
Le MirageBégin compose ensuite quelques pièces supplémentaires, empreintes de la même saveur classique. « Je voulais soutenir les premières intentions musicales de Trogi. On a donc l’impression en écoutant mes compositions que ce sont des pièces musicales connues. Mais ce n’est pas le cas. » Bégin admet que le film Le mirage se déploie en laissant de plus en plus de place au silence et au drame.  « Comme compositeur, il faut savoir mettre son ego de côté afin de voir ce dont le film a besoin. On a un rôle de soutien, comme la section rythmique d’un groupe de rock. On accompagne un « chanteur », une locomotive qui est le film. »

Les besoins musicaux des films sont aussi divers que la nature des projets et de leurs histoires. Et travailler avec le même réalisateur depuis plusieurs années n’implique pas une routine de travail préétablie. Bien au contraire. Bégin rencontre Ricardo Trogi à sa sortie de l’Université de Montréal, après un baccalauréat en technique d’écriture. Il signe pour lui le thème musical d’une publicité. Quelques mois après, Bégin gagne le pitch qui poursuit leur collaboration sur la série télévisuelle Smash. Pour le compositeur, il s’agit d’un moment déterminant. « C’est mon premier projet de fiction, la première série de Trogi. Et cette expérience m’a mis au monde comme compositeur. J’ai puisé dans toutes ces années de création anonymes, des thèmes que j’ai composés adolescent et jeune adulte. Smash m’a permis de me libérer des airs de piano qui m’habitaient depuis longtemps. »

La suite révèle une relation de travail fructueuse entre Trogi et Bégin, de séries télévisuelles comme Les étoiles filantes et Le berceau des anges jusqu’aux films L’horloge biologique,  1981, 1987 et Le Mirage. Frédéric Bégin laisse aussi sa trace musicale sur d’autres films québécois tels Le bonheur des autres de Jean-Philippe Pearson et Le journal d’Aurélie Laflamme de Nicolas Monette.

Le compositeur originaire de Trois-Pistoles, qui travaille dans son studio maison montréalais et chez Studio Apollo, aime bien être contacté au début des processus de création. « C’est un luxe, on s’entend. » Il cite en exemple le film Interstellar où le réalisateur Christopher Nolan interpelle Hans Zimmer autour d’un café en lui demandant de débuter la composition d’une musique sur une relation père-fille. Jamais Christopher Nolan ne mentionne que le film baigne dans un monde de science-fiction !

Le Berceau Des AngesAvec Trogi, Bégin lit souvent le scénario avant même d’avoir vu un premier montage. Ce fut le cas pour la série Le berceau des anges où Bégin s’est mis à la composition après une lecture inspirée de cette histoire de vol de bébés. À quelques mois de devenir papa, il est alors touché par l’histoire. « C’est une des séances où je me suis senti le plus inspiré. J’ai composé pendant deux mois sans voir une seule image de la série. Et étonnamment, tout a collé ensemble. Ça me fait d’autant plus plaisir que j’ai obtenu ce printemps deux nominations pour cette série. » Les gagnants de ces catégories seront connus cet automne au Gala des Gémeaux.

Bégin chérit les moments de création sans filet. Il est actuellement à l’écriture d’une musique de scène pour un spectacle qui souligne les 100 ans de la présence du Comité olympique international à Lausanne. Un travail orchestré par l’équipe d’Olivier Dufour, créateur de Québec de réputation internationale, qui se spécialise dans les productions multimédias. Bégin souligne la nature narrative de cette musique de performance qui établit, sans l’utilisation de paroles, un parallèle entre le parcours d’un musicien-soliste et celui d’un athlète de haut niveau. La musique accompagnera patinage, feu d’artifice et projections vidéo. Le défi nourrit son désir constant de se dépasser.

« C’est une musique qui doit énormément suggérer, transporter, ponctuer sans l’utilisation de mots. Les opéras avaient ce genre de mission et ils prenaient des années à écrire. Là, je n’ai que quelques mois. C’est une expérience unique, mais si exigeante que mon équilibre entre ce genre de musique et celle pour le cinéma m’est vital. »



Pour plusieurs, le nom de Terry Jacks évoque le succès monstre de la chanson soft rock « Seasons in the Sun », écrite par cet auteur-compositeur en 1974 sur la musique du « Moribond » de Jacques Brel. Mais les succès de palmarès de ce créateur vancouverois remontent aux années 1960 alors qu’il faisait successivement partie du groupe de garage The Chessmen et de The Poppy Family, formation dont il était le chanteur principal avec la chanteuse Susan Pesklevits (son ex-femme). Leur premier album comportait « Which Way You Goin’ Billy », une ballade triste inspirée par le malheur des jeunes Américaines dont le mari partait se battre au Vietnam. Cette chanson s’est hissée en deuxième position du palmarès Billboard et en première position au Canada en plus de valoir à son auteur le prix JUNO du Meilleur réalisateur. Son plus récent album, Starfish on a Beach, est une anthologie en deux CD des succès de ses quatre décennies de carrière musicale. Terry Jacks s’est entretenu avec la SOCAN à partir de sa résidence sur la côte du Pacifique en Colombie-Britannique.

« Il fallait que je m’y prenne ligne par ligne, bout de phrase par bout de phrase. » – Terry Jacks

Reportons-nous à 1969, l’année où la chanson a été écrite. Où en étiez-vous dans votre carrière ?
Bien, je venais de quitter l’université – mes parents voulaient que je devienne architecte. J’avais déjà écrit un peu de musique et j’avais connu un certain succès à Vancouver avec The Chessmen. Buddy Holly était mon idole, et je voulais faire comme lui, créer de petits tableaux, de petits portraits émotifs en chanson. L’écriture m’intéressait plus que l’interprétation.

Cette chanson a été écrite pour être chantée par une femme. Est-ce que ça été difficile pour vous ?
Oui, très difficile. Quand j’écrivais une chanson pour Susan, l’inspiration venait de moi, mais je devais la décliner au féminin. Il fallait que je m’y prenne ligne par ligne, bout de phrase par bout de phrase. Mon premier titre avait été « Which Way You Goin’ Buddy? » et la chanson devait être interprétée par un gars. J’avais déjà la mélodie, et les paroles devaient porter sur mon idole. Un peu plus tard, j’ai lu un article sur les jeunes Américains qui partaient se battre au Vietnam et sur la peine des femmes qu’ils laissaient derrière, et ça m’a donné l’idée de modifier la chanson en l’écrivant pour Susan.

Il faut que je vous pose tout de suite une question sur une déclaration publique de Susan, qui prétend que la chanson ne porte pas sur le Vietnam, mais que le titre contient le nom de son frère.
Absolument ridicule! Le nom de Billy vient d’un de mes groupes canadiens préférés, les Beau Marks. J’étais en train de songer à un nom et tout à coup, je vois sur mon juke-box le titre de leur chanson « Billy Billy Went A-Walking ». Je me suis mis à rire en me disant : « Maintenant je sais où Billy s’en va – il s’en va “marcher”. » C’est moi qui ai écrit la chanson, je sais sur quoi elle porte. Je sais comment j’ai trouvé le titre. Je ne comprends pas ce qu’elle est en train d’essayer de faire.

On trouvait rarement des groupes canadiens dans le Top 10 de Billboard dans les années 1960. Comment expliquez-vous que The Poppy Family soit parvenu à faire une percée avec cette chanson ?
Eh bien, ça a commencé ici même au Canada. La chanson s’est hissée en première position des palmarès et ce, sans l’aide des quotas de contenu canadien, qui n’existaient pas encore, et en plein milieu de l’invasion britannique par-dessus le marché. C’était plutôt surprenant, mais je crois que la chanson a commencé à se faire connaître dans les marchés secondaires, les petites villes, et ensuite les grands marchés ont commencé à s’y intéresser.

J’ai entendu dire que vous avez refusé une invitation à passer au Ed Sullivan Show avec cette chanson. Est-ce vrai ?
Voici pourquoi je ne tenais pas à passer au Ed Sullivan Show : on m’avait offert de représenter le Canada [à l’Expo 70] d’Osaka, au Japon, et je pensais que cela en ferait plus pour nous ouvrir les marchés internationaux que le fait de participer à une émission de télévision. Nous étions déjà très connus aux États-Unis de toute manière, et je voulais aller du côté de l’Asie. La décision a été facile à prendre.

Vous vous autogériez à l’époque, je crois. Vous produisiez les disques en plus d’administrer toutes les réservations du groupe ?
Exactement. Je m’occupais également de l’édition. C’était très important, comme je l’ai appris dès le départ. Il faut que vous contrôliez tout, c’est le seul moyen. Personne ne peut vous dire ce que pouvez ou ne pouvez pas faire. Mais tout commence avec le contrôle de votre musique et la liberté d’écrire ce que vous voulez écrire en toute sincérité.

Après toutes ces années, quel est, d’après vous, le secret de l’écriture de vos chansons ?
La simplicité. Il n’y a rien de plus difficile, qu’il s’agisse d’écriture, d’arrangements ou de réalisation. C’est la condition essentielle pour qu’une chanson puisse respirer. C’est comme le rock and roll des premières années : il était tout simple et transmettait un sentiment ou émotion unique. La musique d’aujourd’hui, par contre, est tellement scientifique, technique et encombrée. Pour moi, c’est très simple : il s’agit de faire passer quelque chose à l’aide de paroles et d’une mélodie. Je n’ai jamais aspiré à devenir riche ou célèbre, je voulais plutôt raconter de petites histoires, créer de petits tableaux en chanson qui auraient sur les autres le même effet que les chansons de Buddy Holly avaient sur moi. Je n’ai jamais rien tenté de compliqué. Je n’ai jamais essayé de faire mieux que personne.