Reid Jamieson, Carolyn MillLa première chose qui nous frappe à l’écoute de l’album Me Daza, c’est la voix de Reid Jamieson.

À l’instar de Thom Yorke à l’époque où Radiohead écrivait des chansons conventionnelles, du regretté Jeff Buckley ou encore de Jeremy Dutcher, Jamieson a une voix riche et résonnante et son registre aigü est tout simplement renversant.

Puis il y a la voix artistique de ses chansons, coécrites avec sa partenaire de création et de vie, Carolyn Victoria Mill. On pense ici à des réflexions profondes sur le doute de soi-même (« Enough »), le veillissement (« Evergreen ») et des vignettes sur la résilience néccessaires pour relever ces défis (« Better Man »). On y retrouve également des regards lucides sur la façon dont l’humanité revit sans cesse les mêmes problèmes (« Circles ») ou encore comment nous nous conformons trop souvent à la masse, tout particulièrement sur les réseaux sociaux (« Dominoes »). Il ne faudrait pas oublier la douce et touchante chanson pro-choix (« She »).

Enregistré en compagnie du producteur Kieran Kennedy dans un petit chalet au bord de la mer a County Cork, en Irlande, l’album est somptueux et cinématique et s’articule autour de la guitare à cordes de nylon de Jamieson. Le titre de l’album, « me daza », signifie « vraiment excellent » en patois local, mais sa vraie traduction signifie « je meurs ». Cet album se veut une œuvre par des adultes et pour des adultes qui tient tête à notre inévitable mortalité.

Il n’aura fallu qu’une semaine pour l’enregistrer. « Le premier matin, je pensais simplement tester la sonorité de ma guitare », raconte Jamieson. « Je me disais que j’allais passer à travers mes chansons pour tester le tout. Mais non, ce sont ces prises qui se sont retrouvées sur l’album… J’ai réalisé que chaque fois que j’accomplis la moindre petite chose et que c’est enregistré, je dois vraiment le faire avec conviction. »

« Nous avons passé la majeure partie de la semaine au pub ! » lance Mill, incrédule. « On travaillait comme des déchaînés de 10 h à 14 h. Go, go, go! Et hop ! au pub. Le premier jour, on travaille depuis quelques heures et Kieran dit “alors, on va au pub ?” Reid et moi étions comme “T’es sérieux ?” Puis tu te souviens que t’es en Irlande. Ça fait partie du processus. »

Mais comment fonctionne le processus créatif en couple ? « J’ai l’impression qu’on est rendus à une étape où nous essayons d’utiliser nos forces autant que nous pouvons », explique Jamieson. « J’arrive toujours à trouver une musique qu’on peut utiliser. Je n’ai toutefois pas toujours de sujets ou de trucs que j’ai envie de dire. C’est là que Mill entre en jeu.

Prenez “Evergreen”, par exemple, qui parle du fait que l’amour dans un couple peut grandir même dans la cinquantaine et après. » « J’étais sur le point d’avoir 50 ans, et je me suis rendu compte qu’il y a des chansons d’amour pour les jeunes femmes, pour les mères, mais où sont les chansons d’amour pour les vieilles biques ? » raconte Mill. « Reid me rassure constamment et certaines des choses qu’il me dit sont vraiment belles. Je voulais rendre justice à ce qu’il me dit quand je suis triste ou insécure… Lorsque je ressens cette cape d’invisibilité que les femmes portent à contrecœur à partir d’un certain âge. Je me suis rendu compte que je ne suis pas la seule qui a besoin d’entendre ces mots. »

Écrire des chansons dans un chiffrier
Jamieson et Mill n’écrivent pas leurs chansons à l’aide de mémos vocaux, de textos, de courriels, de Pro Tools, ni même de papier et crayons ; ils utilisent plutôt une version revisitée de la technique littéraire du « cut-up » et ils utilisent… des chiffriers Microsoft Excel. « Ligne par ligne et colonne par colonne », explique Mill. « Il y a une colonne pour les accords, une colonne pour les paroles, et une colonne pour des alternatives de mots. On peut mettre les vraiment bonnes strophes en caractères gras, ou encore copies les strophes qui ne fonctionnent pas dans une chanson et les coller dans une autre. »

« C’est un immense compliment pour moi que Carolyn écrive des paroles qui, après que je les aie chantées quelques fois, me donnent l’impression qu’elles sont de moi », affirme Jamieson. Ce à quoi Mill répond « mais elles sont de toi ! Tu m’as dit ces choses, moi je les ai traduites en chanson. »

Sur « Better Man », cette traduction se penche sur le défi que les hommes doivent relever pour devenir des humains plus évolués dans le climat social actuel, tandis que « Enough » offre des paroles encourageantes pour ces moments où nous nous remettons en question. « J’aimerais que tout le monde ait la chanson “Enough” dans la tête au lui de cette voix intérieure », dit Mill. « Cette voix qui dit “OMG t’es grosse. Regarde ce vieux visage. T’as vraiment tout raté. T’aurais pas dû dire ça”. »

Si un tel objectif est plutôt impensable, Jamieson et Mill en ont réussi un autre, plus modeste, la « tournance », ou la combinaison d’une tournée et de vacances. « Au lieu de jouer soir après soir dans des endroits différents, on se “booke” trois soirs là où nous avons envie d’aller », explique Mill. « On arrive une journée avant, on rencontre les gens, et on passe un bon moment. Le deuxième soir on donne un spectacle, puis le lendemain, on passe du temps avec les gens qu’on a rencontrés durant le spectacle. On ne fait pas beaucoup d’argent, mais on n’en perd pas non plus. On passe de vraiment beaux moments et on vit des expériences très enrichissantes. » Ce qui, évidemment, nourrit leur créativité.

Vraiment pas une mauvaise idée, en fin de compte.



Une drôle de confusion nous envahit à la fin Le Phénix, il était plusieurs fois, troisième album solo de Dramatik se concluant sur une sorte de gospel-rap au titre sans équivoque: Miracle. « Le bonheur est si simple, le soleil est si synchro / J’étais triste ce matin, mais les rayons étaient comme une boussole / Ouvre les stores et ouvre la porte, nous voulons porter la nouvelle aux gens », proclame le MC, foudroyé par la grâce.

Dramatik

Photo : Drowster

Plusieurs des onze précédentes pièces de l’album, dont il signe toutes les musiques, dressent pourtant un inventaire navrant des problèmes qui accablent notre époque : violence conjugale et masculinité étouffante (Enuff), drame des origines imprimé dans le sang (Ghetto génétik (tome 5)), jeunesse brisée (Épicentre jeunesse), 9 à 5 aliénant (Ô ciel). L’homme qui crie au miracle a-t-il écouté le reste de son disque ?

« Quand je parle, je bégaie, et quand je rappe, je ne bégaie pas. Tu ne trouves pas que c’est un miracle, ça ? » réplique du tac au tac un Dramatik toujours très loquace malgré ce trouble de la parole qui se soigne – miraculeusement! – dès que les enceintes crachent un beat et qu’il agrippe le micro.

« Je peux dire que la rose est vraiment belle, mais je ne vais pas oublier que tout le quartier est dégueulasse », poursuit-il au sujet de cette profession de foi envers la vie, que nous percevions comme une contradiction, mais qui témoignerait plutôt de l’optimisme réaliste que choisit d’embrasser l’artiste. « J’ai fait exprès pour mettre un silence avant Miracle, parce que le miracle n’arrive jamais quand tu penses qu’il va arriver. Miracle, c’est aussi pour dire je suis un être de lumière, que nous sommes tous des êtres de lumière, et qu’il faut qu’on laisse shiner ça ! »

 Une entrevue avec Dramatik est d’abord et avant tout une classe de maître sur l’art de poser des rimes sur un rythme en boucle. Rappeur au flow aussi virtuose que polyvalent, le Montréalais de 42 ans modère pourtant ses ardeurs sur Le Phénix, il était plusieurs fois, parce que « trois Ferrero Rocher, c’est mieux que trente-trois Ferrero Rocher. Tu prends le temps de les savourer. Des patterns de rimes à n’en plus finir, ça fait que celui qui écoute n’a plus le temps de respirer. »

« Pour bien vieillir, faut jamais que t’arrêtes d’aiguiser ta lame et ça, ça se passe dans ton brain. »

Il dégaine néanmoins sa mitraillette verbale à quelques brèves occasions, notamment dans Let It Go, ensorcelante confession d’un incurable anxieux. « Mon flow super rapide à la fin, ça montre que je me bats pour rester sane. Si j’avais fait de la vitesse pendant quatre barres, ça n’aurait pas été cool. J’ai déjà fait ça à une époque, j’avais besoin de flexer, mais une fois que tu arrives au mitan de ta vie, tu te calmes. »

Chronique sociale ombrageuse, Le Phénix, il était plusieurs fois demeure en son cœur un appel à l’amour universel. La compagne de Dramatik, La Dame, et sa fille de onze ans, Ruby, font d’ailleurs toutes deux une apparition sur cet atypique album de famille.

« On aurait dû s’habiller en rouge avec des bonnets de lutins et poser devant un foyer », blague le père de quatre enfants, que rejoint un autre père de famille, Disoul de Dubmatique, sur Debout, une ode sereine au temps qui passe et qui apaise. « Dans le monde du rap, on aime avoir l’air dangereux, mais on ne dit pas assez à quel point les enfants nous changent et nous rendent plus stables. On mange mieux, you know, quand on a des enfants ! »

On aura compris que l’homme qui, dans Enuff, reproduit entre les murs de son domicile la violence qu’il a lui-même subie pendant sa jeunesse enfant appartient à la fiction. « C’est un personnage, oui, mais je prends un peu de mon vécu et je souffle dans ses narines avec mon propre air. Au primaire, au secondaire, les jeunes avaient peur de moi, parce que je les frappais, je les intimidais. J’étais pas bien dans ma peau, je voulais me défouler. J’allais à l’école et j’avais la rage. Un jour, un directeur m’a dit: « Bruno, ce que tu veux, c’est de l’amour. » Je m’étais braqué sur le coup: fuck l’amour, man! Mais il avait raison. »

Le 3 novembre 1999, le journaliste Eric Parazelli regrette dans une entrevue que lui accorde Muzion pour l’hebdomadaire montréalais Voir que les radios commerciales ne fassent toujours pas jouer La Vi Ti Neg, un des plus puissants hymnes à la solidarité jamais enregistrés au Québec. « Une situation particulièrement ridicule compte tenu du potentiel populaire évident de cette chanson. Franchement décourageant… Le pire, c’est que moi je suis sûr que les enfants de ceux qui décident de ce qui va tourner à la radio, ils écoutent du Muzion… », lui répondait alors Dramatik.

Vingt ans plus tard, les enfants des décideurs de l’époque n’ont, selon toute vraisemblance, pas encore détrôné leurs aînés à la tête des stations les plus écoutées de la bande FM, le rap québécois n’y étant que très timidement célébré.

« Les radios veulent entendre l’accent joual, pense le vétéran. Ils veulent se reconnaître. C’est selon moi une affaire de protection du patrimoine québécois. C’est fou, parce que je suis né ici, je suis Québécois, je mange de la poutine, j’ai regardé Chambres en ville. »

Truc d’écriture: le feng shui
« Quand je pars le beat, je me laisse aller. C’est un genre de feng shui. Je ride sur le beat et si je vois que je manque de respiration, c’est pas normal: il y a un manque de feng shui. Quand je manque de respiration, c’est souvent parce que je mets trop de figures de style et dans ce temps-là, l’idée que je veux véhiculer risque d’être floue. »

Irait-il jusqu’à parler de racisme? Drama sourit. « C’est pas du racisme. C’est une frilosité extrême. Tu remarqueras: les blacks dans les pubs à la télé, ils ont l’accent joual. C’est comme s’il y avait un ordre: faut pas faire peur aux gens. On veut un black pas trop black. Une chance que les radios n’ont plus le monopole de l’influence, mais il y a quand même un prestige qui leur est associé. »

Au fait, la réunion de Muzion sur Shadow, un des temps forts du troisième album de Dramatik, est-elle le présage d’un authentique retour? « Oui, ça se pourrait ! J’ai rallumé la torche pour m’assurer qu’elle n’était pas mouillée et elle fonctionne ! Je voulais aussi montrer que Muzion est encore un des groupes les plus sharp sur le mic. »

Le rap n’a donc rien pour lui d’une affaire de jeunes. « Hell no ! Mais pour bien vieillir, faut jamais que t’arrêtes d’aiguiser ta lame et ça, ça se passe dans ton brain. C’est comme les vieux chinois qui font du taï chi et qui font la split à 80 ans : leur truc, c’est la constance, la rigueur. On cherche dans le rap le côté extraordinaire, le coté wow. C’est de la magie, le rap, tu ne peux pas tout le temps présenter tes vieux trucs. Et pour imaginer des nouveaux trucs, faut que tu sois en forme. »

 



Dans la lignée des Catherine Durand, Les soeurs Boulay et pourquoi pas, Laurence Hélie, la douceur est omniprésente dans la musique de Léa Jarry ; les quatre chansons de son premier EP intitulé Entre-Temps, en témoignent bien. Du country-folk qui sied à merveille à sa voix, son ukulélé, son piano ou sa guitare, aux antipodes des Véronique Labbé et Guylaine Tanguay qui elles, sonnent davantage comme l’idée qu’on peut se faire du country de Nashville.

Léa Jarry« Je n’ai pas une grosse voix country stéréotypée et je ne serai jamais une party girl à la Shania Twain. Pour moi les textes sont très importants », confiait-elle lors de notre rencontre, fébrile que ses premières compositions soient publiées chez Rosemarie Records (Mara Tremblay, Pierre Guitard, Joseph Edgar, etc.).

Quand on regarde le triomphe aux Grammys de l’Américaine Casey Musgrave avec son country bercé dans le calme et la finesse, il n’y a plus de règles. La chanteuse native de Baie-St-Paul revient de Nashville, justement. En passant une semaine à la Maison SOCAN dans la Mecque du country, elle a plongé tête première dans ce voyage initiatique, sans showcases ni séminaires, mesurant la portée de son rêve avec humilité et émerveillement.

« J’ai vu plein de shows, parlé avec plein de gens, visité des studios d’enregistrement, je me suis imprégnée de l’ambiance (The Bluebird Café, le cultissime Grande Ole Opry House, autant de génuflexions sur son passage). Je parlais aux musiciens après les spectacles, je voulais savoir comment ils/elles s’étaient rendus là. Je me suis rendu compte qu’il y a de la place pour tout le monde même si on pourrait penser que c’est une jungle. Ça m’a rassuré. Je me suis dit : enfin des gens qui me ressemblent ».

Ses quatre chansons lancées le 10 mai sont co-réalisées avec le nouveau membre de Kaïn et multi-instrumentiste John-Anthony Gagnon-Robinette. Le tandem d’écriture a tout épuré afin de garder la voix et les mots bien au chaud. L’habillage sonore est riche et discret. Deux ans de travail, à temps perdu. L’album complet est prévu pour 2020.

« Je suis une personne calme, on ne voulait pas calquer des formules, mais produire notre version du country-folk. L’inspiration, ce n’est pas si difficile, des fois j’écris juste des titres pour amorcer une chanson, des fois je suis à l’épicerie pis je checke les bananes et là, oh ! j’ai un flash ! »

Le premier extrait, 29, Saint-Adolphe (une rue de Baie-St-Paul) démarre au petit trot. Il est question de son exil vers la ville, Montréal, où la choriste et chanteuse depuis dix ans a gagné ses galons avec Gregory Charles et son Mondial Choral de Laval, qui lui permit de chanter aux côtés de Louis-Jean Cormier et Isabelle Boulay. Et à l’émission télé En direct de l’univers à plusieurs occasions. Au passage, elle a fait un bac en chant à l’UQAM.

« Montréal a été un choc. Y a eu ben des chocs. Juste de voir des visages différents chaque jour je trouvais ça fucké ! Tous ces gens je ne les ai jamais vus de ma vie et demain ce sera encore la même chose ! Je trouvais ça bizarre, moi qui suis habituée de connaître tout le monde. La première année, tous les week-ends, je prenais l’autobus pour Baie St-Paul. Ç’a été tough de trouver ma place. D’aller vers les gens et de me présenter ce n’était pas quelque chose de naturel ».

Elle parle aussi d’une autre chanson, C’est mon tour. « C’est moi qui me dis ça à propos de mon célibat, que je serai dû pour rencontrer quelqu’un. Je ne sais pas si c’est moi le problème ou les gars, mais ça ne marchait pas ! (Rires) Des fois, il n’y a pas le bon postulant. Tout le monde autour de moi était en couple. J’étais à l’université, je cherchais mon style, et C’est mon tour est aussi devenu ma quête de percer dans la musique ».

Est-ce que pour la femme en fin de vingtaine, c’est le country et rien d’autre ? « C’est la musique qui m’a accompagnée toute ma vie, je ne pense pas que je ferais volte-face et que je me lancerais dans la pop-électro. À Baie St-Paul, j’étais vraiment à contre-courant de mon époque. On pourrait penser que là-bas, le country est populaire, mais pas pantoute ! Et mes parents écoutaient Jean Leloup ou Lynda Lemay, donc, je n’avais pas de repères à la maison ».

Une musicienne intrigante, Léa Jarry. Innovatrice ? Le temps le dira. Prochain objectif : des petits concerts intimes à l’automne.