Plants and AnimalsQuelques semaines seulement après la parution de Waltzed in from the Rumbling, on attrape Plants and Animals entre deux concerts, quelque part sur la Côte Est des États-Unis. Le nouvel album studio du trio, paru après un silence de quatre ans, pousse les musiciens montréalais vers de nouvelles trajectoires rock-pop faites de subtilités et de grooves cajoleurs. Un chemin musical serein et paisible, tout le contraire du road trip qu’ils connaissent ces jours-ci.

La vie de tournée, ce n’est pas toujours une sinécure, mesdames et messieurs. Justement, hier, c’était un peu l’enfer, raconte Nicolas Basque au bout du fil cellulaire, perdu sur la highway : « Une de nos camionnettes a eu beaucoup de problèmes, on a dû faire plusieurs arrêts. On est arrivé à l’hôtel à quatre heures du matin, de sorte que le concert a été annulé. Ce matin, il a fallu en louer une nouvelle pour se rendre à notre prochain concert. » Le trio, qui tourne présentement avec une choriste, un bassiste et un technicien de son, devrait songer à embaucher un garagiste. « En fait, répond Basque, c’est le batteur [Matthew Woodley] qui s’y connaît le mieux parce que c’est lui qui se rend dans les garages. On s’est dit à la blague qu’il faudrait qu’un de nous suive un cours de mécano. »

Certes, la route est longue et ardue, mais « la récompense est de faire des spectacles le soir », ajoute le guitariste et chanteur. Surtout après presque quatre ans passés loin de la scène, un choix concerté. Après la tournée du troisième album The End of That (2012, toujours sur étiquette Secret City Records), « on avait besoin d’un break, et ça s’est fait naturellement. De plus, nous avons tous eu des enfants durant cette pause. Aujourd’hui, on a retrouvé notre erre d’aller, en quelque sorte. Ça ne prendra pas quatre ans encore avant de lancer un nouveau disque. »

« Le truc, c’était d’arriver à travailler le côté plus exploratoire de nos compositions, tout en créant des chansons qui se jouent bien en concert. » — Nicolas Basque, Plants and Animals

Pendant que certains fans en sont venus à se demander si Plants and Animals n’avait pas jeté la serviette, selon Nicolas, ses collègues et lui faisaient un bilan de leur carrière, lancée en 2003 avec un premier EP éponyme. « On s’est vraiment demandé ce qu’on voulait faire de nos chansons. On s’est questionné : comment on veut travailler en studio, comment on peut se laisser le temps d’explorer. Le truc, c’était d’arriver à travailler le côté plus exploratoire de nos compositions, tout en créant des chansons qui se jouent bien en concert. »

Plants and Animals a atteint ce bel équilibre sur Waltzed in from the Rumbling, disque méticuleux qui ramène le goût de la chanson folk exposé depuis le solide premier album Parc Avenue (2008, finaliste au prix Polaris), tout en évacuant les envolées psychédéliques de celui-ci au profit d’un groove plus épuré. « On essaie simplement de créer quelque chose qui nous ressemble aujourd’hui», commente Basque. C’est certes un disque très travaillé, dans la mesure où on tente de dénicher une twist à chaque chanson, sans être show off, sans faire de l’esbroufe, signe d’une maturité musicale acquise au fil des ans, « par exemple en effectuant des transitions dans l’émotion, dans le feeling, plutôt qu’en jouant sur des ruptures de tempo ou de structure, ce genre de trucs qui impressionne à l’écoute. En résulte un disque certainement plus groovy » aux orchestrations de cordes rarement ostentatoires, toujours bien dosées, enrichi par la judicieuse présence de deux choristes (Katie Moore et Adèle Trottier-Rivard), qui ajoutent une touche féminine inédite au répertoire du trio.

Les chansons, composées sur le moment en studio – même les textes, signés par le chanteur et guitariste Warren Spicer -, possèdent ce petit quelque chose de classic rock qui nous rappelle le son confortable et rassembleur des 10cc et Blood, Sweat & Tears d’une époque ancienne. Et pas vraiment celui de Radiohead, que certains collègues ont évoqué.

« Nous non plus, on ne sait pas trop d’où vient la comparaison avec Radiohead, s’étonne Basque. Pour être honnête, c’est la première fois que ça nous arrive. Cependant, on s’est souvent faire dire qu’on sonnait comme nos influences… sans que quiconque parvienne à les nommer telles quelles. Cela dit, on prend ça avec un grain de sel. Et puis, Radiohead, c’est tellement un gros groupe qui a influencé toute une époque du rock, j’imagine que tout le monde finit par être comparé à lui. À la limite, je peux bien comprendre le rapprochement sur certaines de nos chansons, mais en général, pas vraiment. Or, quitte à être comparé à un groupe, autant que ce soit celui-là, non? »

 



Tegan and Sara

Lorsque l’on félicite Sara Quin d’avoir créé et lancé 8 albums à ce jour, elle rit. « Pour être franche, je n’en ai fait que la moitié. »

Bon, supposons que la plus jeune des sœurs jumelles n’est vraiment responsable que de la moitié de la production créative du duo, cela mérite tout de même d’être souligné. Plus d’un million d’albums vendus?; des prix JUNO, la liste courte du prix Polaris?; des nominations aux Grammys?; des enregistrements avec les papes de la dance music Tiësto et David Guetta?; partir en tournée avec Neil Young et monter sur scène avec Taylor Swift?; donner une prestation aux Oscars?; créer une chanson comme « Walking with A Ghost » — reprise par les White Stripes —, « Closer » – qui a été certifiée double-platine et la rutilante « Boyfriend », leur plus récent succès tiré récent album Love You to Death.

Lorsque Tegan and Sara ont commencé à se faire connaître sur la scène musicale de Calgary pour ensuite signer sur le label Vapor de Neil Young pour le lancement de leur premier album en 2000 (This Business of Art), la scène musicale canadienne en était taillé dans le « rock » tandis que les Our Lady Peace et autres Tea Party allaient bientôt laisser le champ libre au règne de Nickelback. C’est ainsi que la musique articulée autour de la guitare acoustique du groupe a été qualifiée d’indie puis d’alternative. Sauf que dès le début, Tegan et Sara faisaient de la pop. C’est simplement que c’est devenu évident ou fil du temps.

Love You to Death poursuit sur la lancée entamée en 2007 avec The Con, lancée qui est passée en mode turbo avec Heartthrob en 2013, complétant ainsi la transformation du groupe en véritable groupe synth pop Top 40. Et sans guitares, qui plus est.

« J’ai toujours trouvé très difficile de nous décrire », explique Sara. « On s’identifiait au indie rock pendant longtemps, mais je crois que ce n’était vrai que dans la mesure ou on jouait de la guitare et on était un peu underground. J’entends beaucoup de nos influences punk sur nos premiers albums. On composait dans un style très saccadé et tronqué : deux minutes et merci bonsoir. Plutôt agressif. Puis, à l’époque de So Jealous (2004), nous avons commencé à explorer les arrangements et les textures de notre musique et de nos voix. The Con est une extension de cette période. »

« Heartthrob n’a pas été une transition aussi importante pour nous qu’elle a pu l’être pour nos fans. »

« Nous ne sommes pas encarcanées par l’idée que nous ne pouvons pas essayer certaines choses parce que ça ne nous ressemblerait pas. On a l’avantage d’avoir des voix très particulières et ces voix ont un rythme, c’est notre signature. C’est pour ça que Heartthrob n’a pas été une transition aussi importante pour nous qu’elle a pu l’être pour nos fans. »

Et il s’avère que le moment n’aurait pu être plus opportun. Le Canada vibre aujourd’hui au son de la musique pop, avec les Justin Bieber, The Weeknd, Carly Rae Jepsen et Alessia Cara qui dominent les palmarès ici et ailleurs. La différence principale entre Tegan and Sara et leurs compatriotes de la planète pop est que côté création, elles travaillent presque exclusivement ensemble et non pas avec un rolodex complet de collaborateurs professionnels. [À l’exception notable de « Everything is Awesome », la chanson thème du Film Lego, chanson sur laquelle elles ne sont qu’artistes invitées.]

Au fil des ans, cet intense partenariat créatif a prouvé maintes fois sa touche magique, mais il a souvent été poussé dans ses derniers retranchements. À preuve, le nouveau simple « 100x » contient les paroles « I told you that I needed out/ And I couldn’t stay / Couldn’t stay here one more day » (librement : je t’ai dit que je voulais partir/que je ne pouvais rester/rester ici un jour de plus) et l’on serait porté à croire que c’est une autre chanson pop sur une relation amoureuse, mais en réalité elle raconte les innombrables fois où le duo a failli éclater en raison de directions musicales divergentes.

Sara explique qu’elles ne possèdent pas de pouvoirs télépathiques, mais que leur partenariat créatif a grandement bénéficié de la technologie, car celle-ci leur a permis de collaborer plus étroitement sans accroître la pression sur leur relation interpersonnelle.

« Le processus est de plus en plus aisé », explique-t-elle. « Des technologies telles que Logic nous permettent de peaufiner notre art sans avoir à dépendre des studios, et ce processus où on écrit et enregistre nous-mêmes avant d’aller en studio est réellement devenu confortable pour nous au cours de 8 ou 9 dernières années. »

« De plus, les ordinateurs nous offrent une certaine intimité. Nous n’avons jamais réellement réussi à être dans la même pièce pour créer ensemble. Maintenant, je peux écrire mes chansons, les travailler de mon côté, puis j’envoie les fichiers à Tegan, puis elle les ouvre et fait ses trucs avec, même si parfois ce n’est qu’un arrangement ou un peu d’édition. Nous collaborons beaucoup plus efficacement ainsi. »

« Pour moi, c’est un peu comme se farfouiller mutuellement dans le cerveau. Je peux voir sa façon de penser — les parties de la chanson qu’elle a créées en premier, par exemple. Puis je peux jouer avec ça sans heurter ses sentiments. Lorsque nous avons commencé et que nous devions exprimer ce que nous pensions, ça finissait souvent en conflit. Je crois vraiment que les ordinateurs nous permettent d’utiliser notre vraie langue, la musique. »

Il y a toutefois un « étranger » qui est toujours invité a participer à leur processus créatif : le producteur. La sélection de ce membre crucial de l’équipe Tegan and Sara a toujours répondu à un seul critère : ce producteur doit aussi être un musicien. Leur premier album avait été réalisé par l’auteur-compositeur torontois Hawksley Workman?; If It Was You (2002) et So Jealous le furent par Jon Collins (New Pornographers, Destroyer) et David Carswell (The Evaporators, The Smugglers)?; tandis que pour The Con et Sainthood — qui avait été inscrit sur la courte liste des finalistes pour le Prix Polaris —, elles avaient fait appel à Chris Walla (Death Cab for Cutie). Heartthrob a été confié à une équipe de producteurs incluant Rob Cavallo (Green Day, My Chemical Romance) et Greg Kurstin (Kelly Clarkston, P!nk, Sia), en plus de faire appel à Justin Meldal-Johnsen (Beck, Nine Inch Nails) et Mike Elizondo (Dr. Dre, Eminem). C’est toutefois Kurstin, un diplômé du conservatoire de jazz et cofondateur du groupe alt-rock des années 90 Geggy Tah, qui a été l’unique producteur de Love You to Death.

« Greg, c’est un génie », dit Sara. « Il est sans pareil, c’est un musicien phénoménal. »

C’est lui qui est derrière le méga succès d’Adele, « Hello », chanson qu’il a également coécrite. Sara est chanceuse qu’il l’ait rappelée, lui lance-t-on à la blague. « On était en studio avec lui, on travaillait par blocs de temps et je savais qu’il était à Londres pour travailler avec Adele », explique-t-elle. « Lorsque “Hello” est sortie, je lui ai demandé : “mais comment fais-tu pour donner toute ton attention à notre album alors que tu étais en train de travailler sur une chanson aussi immense et magnifique??” Mais c’est là que réside son talent. Il est incroyablement discipliné. »

C’est Kurstin, avec l’aide de Tegan, qui a convaincu Sara que sa chanson « Boyfriend » avait quelque chose de spécial. Elle est devenue le premier extrait de Love You to Death et c’est une parfaite pièce de pop estivale qui raconte comment on se sent lorsqu’un est en amour avec quelqu’un qui n’est pas prêt à sortir du garde-robe et à s’engager complètement. “Kiss me like your boyfriend/And trust me me like a very best friend,” chante-t-elle, “But I don’t want to be your secret anymore.” (Librement : Embrasse-moi comme ton petit ami/Et fais-moi confiance comme ta meilleure amie/J’en ai marre d’être ton petit secret)

« J’ai réécouté le démo l’autre jour », raconte-t-elle. « J’étais horrifiée?! Musicalement, ce n’est vraiment pas une de mes meilleures. Mais lorsque Tegan et Greg l’ont entendue, ils ont tous les deux dit que c’était une chanson pop et un simple. Je ne pensais même pas qu’on la garderait pour l’album. J’étais aussi très inquiète qu’elle soit trop convenue ou légère au niveau des paroles. Je savais que je voulais parler d’identité sexuelle, mais également des rôles que nous jouons dans nos relations sans égard à notre sexualité. Il y a donc un passage qui réfère au film The Crying Game et au jeu de la bouteille et des signaux que les gens perçoivent ou non. Bref, certaines personnes y liront un deuxième degré tandis que d’autres n’entendront qu’une chanson pop amusante. »

Aujourd’hui âgée de 35 ans et forte d’une carrière qui a plus de 15 ans, Sara n’a aucun doute sur la solidité de Tegan and Saraen tant qu’artistes et femmes d’affaires tout comme elle n’a aucun doute en sa capacité de traduire en musique ce qui se trouve dans sa tête et dans son cœur afin de le partager sur disque avec le monde entier.

« Quand je repense au passé, je regrette de m’être sentie aussi anxieuse pendant tant d’années », confie-t-elle. « Je n’étais pas sûre de moi. D’un autre côté, cela me donnait un petit côté vulnérable, j’imagine. Mais j’ai tellement gaspillé ma vingtaine?! Désormais, je dis haut et fort ce que je veux, qui je suis, et ce dont j’ai besoin, et toute circonstance. Et je sais exactement comment obtenir ce que je veux. »

 



The True North Gallery-The Music Gallery a ouvert ses portes à Waterdown, en Ontario, en mars 2016. Propriété de Geoff Kulawick, le dirigeant de True North Records et Linus Entertainment, et de son épouse Brooke, on y retrouve des œuvres d’art créées par un véritable panthéon du monde de la musique. Parmi les grands noms de la musique qui y ont des œuvres exposées on retrouve notamment Miles Davis, Tony Bennett, Buffy Sainte-Marie, Patti Smith, Michael Jackson, Bob Dylan, Ron Wood, Paul McCartney, John Lennon, Ringo Starr, Jerry Garcia et Jimi Hendrix, ainsi que les membres SOCAN Joni Mitchell, Leonard Cohen, Murray McLauchlan, Marc Jordan et David Francey.

Cette exposition nous a donné envie de nous pencher sur les parallèles qui existent entre la création musicale et les arts visuels. Nous avons donc demandé à cinq membres SOCAN qui sont prolifiques dans les deux domaines de partager leurs réflexions et expériences sur la question.

TOM WILSON

Tom Wilson art

Cet homme orchestre Tom Wilson (Junkhouse, Blackie and The Rodeo Kings, Lee Harvey Osmond) lauréat d’un JUNO et établi à Hamilton est depuis un certain temps déjà un artiste visuel très recherché. Ses œuvres surdimensionnées et éclatantes sont le reflet de sa personnalité grandiose, et il parle de son art avec la même verve qu’il crée de la musique.

« J’ai commencé à peindre en 1996, au moment où j’ai cessé de boire pour une deuxième fois », se souvient Tom Wilson. « Je souhaitais faire quelque chose de constructif avec mon temps. J’ai commencé à peindre à la table de la cuisine avec les enfants qui couraient autour de moi. La plupart des artistes trouveraient ça dérangeant, mais je crois que l’art doit naître de la vie qui nous entoure, pas dans un espace locatif ou un quelconque loft. »

La première fois où il a participé à une exposition publique était de plutôt bon augure : « J’exposais aux côtés de Michael Stipe et Daniel Lanois à la Spin Gallery de Toronto. Le curateur de l’exposition m’a demandé combien je voulais vendre mes œuvres, et j’ai suggéré 500 $. Il m’a répondu “on ne peut pas faire d’argent à ce prix-là”, et il les a affichées à des prix variant de 3500 $ à 5000 $, et elles se sont toutes vendues, alors j’ai continué à peindre?! »

Tom Wilson a participé à d’autres expositions, mais il préfère vendre ses œuvres sur son site Web. L’an dernier, la Canadian Academy of Recording Arts and Sciences (CARAS) et le bureau de la musique de la Ville de Hamilton lui ont commandé une murale de 40’ x40’ (12,2 m x 12,2 m) intitulée The Mystic Highway qui rend hommage au riche héritage musical de cette ville. Elle se trouvait au centre-ville de Hamilton au moment où s’y sont déroulées les activités entourant le Gala des prix JUNO.

À ses débuts, Wilson grattait des mots dans ses peintures à l’huile, mais « ces temps-ci, je travaille sur bois, huile sur huile ». « J’aime rendre floues les frontières entre les matériaux que j’utilise. Je gravais mes paroles dans mes toiles, puis j’allais vers ces toiles lorsque je composais des chansons. Elles étaient comme d’immenses cahiers de notes pleins de couleurs accrochés aux murs de ma maison. »

Wilson apprécie également le fait que l’art peut être jugé selon ses mérites propres. « L’art ne dérange pas les gens de la même manière que la musique pop. Il n’est pas nécessaire d’avoir un front parfait ou les pantalons les plus cools. Les gens peuvent aborder l’art sans flafla. »

MARTIN TIELLI

Martin Tielli art

L’auteur-compositeur-interprète et guitariste Martin Tielli est un membre de longue date du groupe The Rheostatics, ce qui lui a valu un statut de vedette de la scène indie rock. Son talent d’artiste visuel a été mis en valeur sur plusieurs pochettes d’album du groupe, de ses projets solo et d’autres musiciens également.

Mais outre une récente réunion des Rheostatics pour un seul concert, Tielli a quitté le monde de la musique. « J’ai complètement arrêté la musique pour me consacrer entièrement à la peinture depuis environ sept ans », explique l’artiste. « Psychologiquement, la transition s’est faite tout en douceur. Peindre et jouer de la musique fonctionnent de la même manière d’un point de vue psychologique, même si les mouvements du corps sont différents. Du moins, je ne les ai jamais trouvées très différentes, comme formes d’expression artistique. »

« La peinture a toujours passé en premier et me vient plus facilement », poursuit-il. « Ça a toujours été ce qui comptait le plus pour moi. La musique est arrivée plus tard dans ma vie et elle a pris toute la place pendant quelques décennies. »

Lorsqu’il était adolescent, Marti Tielli étudiait pour devenir illustrateur scientifique : « Pendant deux ans, je dessinais des illustrations d’animaux disparus pour le département de paléontologie du Musée Royal de l’Ontario, jusqu’à ce que les Rheos commencent à partir en tournée. »

La conception artistique pour les albums du groupe est venue tout naturellement. « Ça semblait tomber sous le sens qu’une personne qui participe à la création de la musique du groupe ait une vision claire de ce que l’aspect visuel devrait être », explique-t-il.

Pour Tielli, « la musique et l’art font appel aux mêmes zones de notre cerveau, la partie qui est non-linguistique. Pour moi, la musique est visuelle, cinématique, tant au niveau des paroles que des sonorités. Je vois des images, des paysages autant que des monstres, quand j’entends de la musique. »

Le trac monumental qui accable Tielli explique aussi pourquoi la création méticuleuse et solitaire de toiles lui convient parfaitement. « Quand je crée, les gens ne me regardent pas, je n’ai jamais aimé ça, et à plus forte raison maintenant que je vieillis (rires). En plus, quand je crée de l’art, je passe 90 % de mon temps à exécuter cette création?; avec la musique c’était environ 3 %. »

SARAH SLEAN

Sarah Slean art

La populaire auteure-compositrice-interprète Sarah Slean a toujours été attirée et influencée par les arts visuels. « Je crois que c’est un désir profondément enraciné. Tous les enfants dessinent », explique l’artiste. « J’ai recommencé à dessiner et peindre dans la vingtaine, c’était un exutoire pour la frustration que la musique pouvait créer en moi. Fermer mes oreilles et laisser toute la place à mes yeux, permettre à mon cerveau de passer en mode espace plutôt que temps?; c’est très utile pour libérer cette énergie créative bloquée. »

« J’adore cet état de quiétude mentale absolue auquel j’arrive lorsque je peins ou dessine. Même si pendant ce temps j’écoute de la musique, que ce soit du rock à tue-tête ou des quartets à cordes de Beethoven, l’expérience mentale en est une de parfaite tranquillité, ce qui n’est pas le cas de la musique, parce que la chanson, les sons, sont dans ma tête, tournoyants, tentant d’en sortir, essayant de s’exprimer concrètement. »

Pour Sarah Slean, le processus de création musicale et celui de la création visuelle sont « totalement différents, et c’est pour ça que les arts visuels me sont si bénéfiques. Pour moi, les arts visuels sont souvent exploratoires et révélateurs. Quelque chose germe en moi de manière un peu magique et je n’interviens pas directement, je tâtonne, je laisse les choses arriver d’elles-mêmes, instinctivement. C’est un épanouissement. La création musicale est tortueuse pour moi. La création d’œuvres d’art est une sorte de miracle. Elle m’a permis de préserver mon innocence. »

À ce jour, Sarah Slean a exposé ses œuvres une poignée de fois lors de petites expositions publiques, mais elle vend ses œuvres principalement via son site Web. « Ça me gêne d’exposer mes œuvres, car je me perçois d’abord comme une musicienne et une auteure », explique-t-elle. « Je prévois exposer plus souvent. Je crois que les règles changent, que les frontières se déplacent et deviennent floues, ma créativité est de plus en plus ouverte et expérimentale. Les disciplines se bousculent et se chevauchent, c’est très excitant. »

JANE BUNNETT

Jane Bunnett art

La saxophoniste jazz de réputation mondiale, compositrice et chef d’orchestre Jane Bunnett, lauréate de cinq prix JUNO et membre de l’Ordre du Canada, est passionnée d’arts visuels depuis toujours. « J’ai grandi dans un environnement très créatif », raconte-t-elle. « Mes parents visitaient régulièrement des galeries d’art à Toronto, et petite, je dessinais constamment. »

Bunnett a étudié le design en parallèle à ses études en piano classique et à ses « jams » en compagnie d’amis dans le domaine de la musique. Ce n’est que lorsqu’elle a trouvé sa satisfaction créative dans le jazz que la musique a pris le dessus. « En fin de compte, j’ai réalisé que la solitude du peintre n’était pas pour moi », confie l’artiste. « J’avais besoin de la camaraderie que l’on retrouve dans un groupe de musique. »

Elle n’a pas pour autant cessé de dessiner et de peindre. L’exposition à la True North Gallery, sa première exposition devant public, présentait principalement ses portraits hauts en couleur de ses héros du monde du jazz tels que Thelonious Monk, Louis Armstrong et Oscar Peterson.

Jane Bunnett passe de la musique aux arts visuels sans discernement au gré de son horaire de concerts et d’enregistrements. Le redémarrage de Maqueque, son populaire projet avec de jeunes musiciennes cubaines, signifie que ses protégées logent actuellement dans la pièce qu’elle utilise habituellement pour peindre.

« Je peux toujours peindre à notre chalet ou encore dessiner dans mon carnet, créer des ébauches pour de futures toiles », explique Jane.

Son carnet d’esquisses la quitte rarement lorsqu’elle est en voyage. Il est rempli d’esquisses de paysages aussi disparates que les Caraïbes, la Saskatchewan ou la Serbie.

Pour Jane Bunnett, le processus créatif qu’elle utilise est le même dans les deux cas, « ils impliquent tous deux le même état d’esprit. Je dois trouver un état d’esprit qui est lent, presque méditatif, afin d’internaliser les choses, tandis que lorsque je joue, j’ai besoin d’une dose d’adrénaline. »

Lorsqu’on l’interroge au sujet de l’affinité qu’ont tant de musiciens pour l’art visuel, elle avance l’hypothèse que « les musiciens utilisent beaucoup la zone de leur cerveau dédiée à la vue. Si vous demandez à un musicien de décrire une pièce qu’ils viennent de quitter, ils la décriront probablement avec énormément de détails. »

KURT SWINGHAMMER

Kurt Swinghammer with his art

Auteur-compositeur, compositeur de musique à l’écran, guitariste, peintre et artiste multimédia, Kurt Swinghammer jouit d’une longue et prolifique carrière tant dans les domaines de la musique que des arts visuels. Artiste solo et compositeur de musiques pour le cinéma et la télé, il a également créé des visuels pour des pochettes de disque, des affiches et même des vêtements (les fameux costumes des Shuffle Demons), en plus d’exposer ses propres toiles. L’une de ses œuvres exposées au True North Gallery, « Red Canoe », a été acquise par le vétéran de l’industrie de la musique Frank Davies.

 

C’est d’abord vers les arts visuels que Swinghammer se destinait. « J’ai eu ma première exposition à l’âge de 16 ans », raconte l’artiste. « À ce moment, je comptais garder la musique comme quelque chose de plus personnel afin de préserver sa pureté. » Il a étudié au Ontario College of Art and Design (OCAD) de Toronto et, aujourd’hui, il est aussi actif dans les arts visuels que la musique.

Il nous fait part d’observations intéressantes sur les ressemblances et les différences entre ces deux domaines créatifs. « La peinture est un geste d’ultime indépendance, mais en contrepartie cela signifie qu’elle nous offre très peu d’occasions d’intégrer les idées et les énergies des autres, ce qui est une des merveilles de la musique. J’ai besoin de cet équilibre entre l’aspect social et l’aspect solitaire. »

« J’ai appris que, dans le monde des arts, trouver sa voix, son individualité est ce qu’il y a de plus important. Or, ce n’est pas un trait dominant en musique à cause des tendances. Dans le monde des arts visuels, si vous n’avez pas votre style propre, oubliez ça. C’est ce que je tentais de faire avec ma musique en solo, d’ailleurs. »

Il voit néanmoins plusieurs parallèles entre ces deux activités : « Le processus par lequel on tente de trouver des idées est similaire dans les deux cas, mais à cause du type de musique et d’art que je fais, il n’y a pas vraiment de similitudes au chapitre de l’exécution. Le genre d’art visuel que je crée en ce moment me fait voir la musique en termes de relations entre les couleurs, du tempo des pinceaux et de la dynamique des compositions. »

Swinghammer admet volontiers qu’il « ressent parfois de la pression pour que je me concentre uniquement sur une des deux formes de création, mais je crois qu’il est simplement naturel de faire les deux. Joni Mitchell est une de mes héroïnes et je sais depuis longtemps que c’est elle qui crée ses pochettes d’album. Pour moi, ça dit tout : c’est parfaitement normal de faire les deux. »