L’Association des professionnels de l’édition musicale (APEM) profite des Francos pour donner de coup d’envoi à ses activités visant à souligner son 20e anniversaire. Le 15 juin, l’association proposera deux tables rondes, une première sur son historique avec l’un de ses fondateurs, Daniel Lafrance (Éditorial Avenue) et la seconde prospectant sur l’avenir de l’édition musicale au Québec, avec Diane Pinet (Édition Bloc Notes), Odette Lindsay (Third Side Music), Yao (Intello-Production) et Marie-Ève Rochon (Bonsound).

APEM, 20th AnniversaryPour l’actuel directeur général de l’APEM Jérôme Payette, « c’est l’occasion de parler de ce qu’on fait à l’association, de ce que nous incarnons en tant que regroupement collectif visant l’essor de l’industrie musicale d’ici, ainsi qu’une manière de souder la communauté d’édition musicale en promouvant nos démarches visant à animer notre communauté en favorisant la rencontre et le réseautage. On veut aussi rejoindre les centaines de personnes qu’on a formées au fil des ans et poursuivre notre promotion de bonnes pratiques [dans l’industrie] à travers nos ateliers, nos conférences et les modèles de contrat que l’on propose. »

L’association, qui estime aujourd’hui représenter la grande majorité des intervenants du secteur de l’édition musicale au Québec, marque le coup au moment où le milieu connaît d’importants bouleversements dans une industrie dont les pratiques et les opportunités d’affaires doivent suivre l’évolution des mœurs et des technologies. « Il faut souligner l’importance des démarches collectives que nous menons, insiste Jérôme Payette. Ça peut paraître cliché de le redire, mais y’a tellement de choses qui changent, d’adaptation à faire, tellement un besoin de représentation – et plus que jamais, j’en ai l’impression. »

Le principal cheval de bataille du secteur de l’édition aujourd’hui est le projet de loi fédéral C-11 modifiant la Loi sur la radiodiffusion et les représentations sur celui-ci qui ont été menées ces dernières semaines « en coalition avec nos partenaires du secteur de l’industrie de la musique ». À cela s’ajoute l’enjeu d’une Loi sur le droit d’auteur « qui permettra de générer de meilleurs revenus pour l’industrie » et les démarches visant à obtenir davantage de financement public pour les membres de l’APEM, « un dossier sur lequel nous avons tout de même réussi à avancer depuis vingt ans. Ce fut d’ailleurs l’une des grandes victoires de l’APEM au fil du temps : avoir accès aux sources de financement public auxquels d’autres acteurs de l’industrie avaient droit. Aujourd’hui, les éditeurs de musique peuvent demander de l’aide, par exemple à la SODEC et à Musicaction, et ça a permis de faire progresser notre secteur. »

Mais le principal défi de l’APEM, reconnaît Jérôme Payette, est encore de nature pédagogique. Rouage essentiel et important générateur de revenus pour l’industrie, l’édition musicale demeure mal comprise par plusieurs acteurs du milieu, à commencer par les auteurs-compositeurs eux-mêmes. « Depuis vingt ans, on explique notre métier, et je crois qu’on aura encore besoin de le faire pour les vingt prochaines années, reconnaît le directeur général. Au premier abord, ce que les gens ne saisissent pas tout de suite en arrivant dans le milieu, c’est que l’industrie de la musique est un secteur très très sophistiqué. Souvent, on nous dit : y’a pas moyen de simplifier tout ça ? Ce à quoi je réponds : si c’était possible, on l’aurait fait ! Or, avec les centaines de personnes que nous avons réussi à former à travers nos programmes – pas nécessairement des gens qui travaillent aujourd’hui comme éditeurs, souvent plutôt comme agents d’artistes, par exemple -, je crois qu’on a constaté une meilleure compréhension, et reconnaissance, du métier d’éditeur. »

Ainsi, la mission de l’APEM s’articule sur deux pôles : former les membres et les rassembler autour d’objectifs communs. « J’aime le mot « coopétition ». On le constate aujourd’hui, nos membres se connaissent, se côtoient et collaborent, au sein des différents comités de travail de l’association, notamment. Ce travail de formation a permis de bâtir une communauté qui, au fil des ans, a contribué à faire reconnaître l’importance de cette profession, même si ce sera toujours à refaire. On évolue, après tout, dans un tout petit marché, nos membres sont tous indépendants, les majors sont peu présents », rendant encore plus nécessaire cette coopération entre éditeurs, et éditeurs avec les autres secteurs de l’industrie musicale québécoise.

Enfin, l’APEM profitera de sa journée aux Francos pour décerner à Lucie Bourgouin, fondatrice de l’agence de consultation spécialisée en droits d’auteur Permission Inc., son Prix Christopher-J.-Reed 2022. Ce prix est remis « à une personne engagée dans sa communauté professionnelle, qui témoigne d’un grand respect des créateurs et du droit d’auteur et dont la contribution pour l’exercice et la reconnaissance de la profession d’éditeur musical est exceptionnelle », précise l’intitulé.

 



Avant de devenir l’un des DJ canadiens les plus connus, Charlie B était enseignant à la maternelle. Aux petites heures, il « spinnait » ses tables tournantes dans un club ou en studio pour travailler avec les prochains grands noms à s’exporter de la grande région de Toronto comme Tory Lanez ou Preme (anciennement connu sous le nom de P Reign). Mais le jour, il apprenait à 30 petits écoliers comment écrire leur nom.

« C’est fou, parce qu’à cette époque, P Reign lançait une chanson avec Drake », dit Charlie B. « On a attendu tellement longtemps pour essayer d’obtenir cette chanson, tellement d’heures en studio à travailler super dur. P Reign a finalement eu la chanson avec Drake, c’est le week-end de la fête du Travail et je dois rentrer au travail le mardi matin. Me voilà en train d’apprendre aux enfants comment marcher en file bien droite pendant que cette chanson vient d’être lancée. » Bien que Charlie, né Ajay Saxena, ait continué à jongler avec l’enseignement et la musique pendant trois ans, c’est en 2016 qu’il a décidé de faire le grand saut et de se consacrer à la musique à plein temps.

Depuis, il a fait le tour du monde et a travaillé avec des stars du hip-hop comme Cardi B, Rick Ross et DJ Khaled, qu’il cite comme un mentor. Plus récemment, Charlie a sorti son premier album complet, Across the Board, qui met en vedette des talents torontois triés sur le volet. « Je travaille sur cet album depuis deux ans », dit-il. « C’est ma perspective sur le talent qu’on trouve dans notre ville. J’ai eu la chance de travailler en studio avec tous ces artistes. On a créé ces enregistrements ensemble, collectivement. Je suis super fier du résultat final. »

Pour Charlie, les séances d’enregistrement en personne ont été cruciales pour la création de son album. « J’étais vraiment catégorique que les artistes viennent au studio et que nous construisions la chanson ensemble », dit-il. Je leur expliquais le concept et la vibe que j’avais en tête. Je leur faisais écouter des « beats » créés par mes producteurs et j’étais essentiellement le producteur délégué des chansons. »

La patience a aussi joué un rôle clé dans son processus créatif. Si une chanson ne lui donnait pas tout à fait la saveur qu’il cherchait, il ne tentait pas de forcer les choses. C’est cette approche qui l’a aidé, en compagnie du rappeur du quartier de Driftwood Pressa, à écrire l’irrésistible simple « Glitch ».

« Pressa et moi on était à L.A. pour travailler sur notre musique, mais j’avais l’impression qu’on n’avait pas encore trouvé ce qu’on cherchait », dit M. B, « et je voulais prendre mon temps. C’est pas parce que t’es enfermé dans un studio avec un artiste que tu vas en ressortir avec l’enregistrement que tu veux le jour même. Ça ne marche pas comme ça. »

Les astuces du prof

Enseignant un jour, enseignant toujours, Charlie a trois astuces pour les aspirants rappeurs.

  • « N’arrête jamais de réseauter. Tu vaux autant que ton réseau (jeu de mots, en anglais il dit “Your network is obviously your net worth”). Continue à lui faire prendre de l’expansion. »
  • « Soit constant. N’abandonne jamais. Fonce! »
  • « C’est super important d’avoir de bons mentors et de bons coachs de vie dans ton coin pour te guider. Je pense vraiment qu’on a tous besoin de ça dans la vie. »

L’étincelle créative dont ils avaient besoin allait s’allumer des semaines plus tard, le week-end de l’anniversaire de Charlie. Pressa et lui étaient aux Quad Studios, le légendaire espace d’enregistrement de Times Square qui a été utilisé par tout le monde, de Mariah Carey à Jay-Z, un changement d’environnement qui a permis à toutes les pièces de se mettre en place. « On est à New York, au Quad, et c’est mon anniversaire », se souvient Charlie. « J’ai dit “allez, on essaie”. On a sorti une bonne chanson et on était tous très contents du produit fini. Et c’était dans un studio légendaire, ce qui est encore plus cool. »

Surnommé « M. Canada », Charlie avait pour objectif, avec Across the Board, non seulement de mettre Toronto en vedette, mais de mettre en lumière les possibilités qui s’offrent aux artistes locaux. « Je veux faire vivre des expériences à ces “kids” », dit-il. « Si on peut faire quelque chose pour que ces “kids” croient qu’ils peuvent sortir de la rue, c’est la chose la plus importante pour moi. J’adore voir les “kids” de Toronto vivre leur passion et réaliser leurs rêves. Il n’y a rien qui me rend plus heureux que les voir monter sur scène pour prouver ce qu’ils sont capables de faire. »

 



Comme bon nombre de ses pairs, le compositeur à l’image primé Antonio Naranjo a commencé sa carrière comme auteur-compositeur dans un groupe. En tant que membre de Boys Who Say No – plus tard rebaptisé Future Peers –, Naranjo est diplômé de la Banff School of Fine Arts et du Slaight Family Music Lab du Canadian Film Centre. La petite histoire veut que le groupe ait tiré son nom de la chanson antiguerre de Joan Baez de 1968 « Girls Say Yes to Boys Who Say No » – personne n’a compris la référence –, mais en 2019, alors que Naranjo avait 33 ans, il a jugé que la vie de groupe avait « fait son temps ». Depuis, il compose pour le cinéma et la télévision, mais à ses yeux, le travail de création musicale n’a pas vraiment changé.

Écrire pour lui-même et écrire de la musique sur mesure pour l’écran « fonctionne un peu de la même façon », dit-il. « Quand tu fais quelque chose pour un film, c’est un peu comme être un chef cuisinier sur commande. J’aborde mes projets comme si c’étaient des casse-têtes. Souvent, tu essaies d’évoquer cette émotion ou de te cantonner à ce genre de musique. Tu peux te rabattre sur les outils que tu as accumulés au fil du temps pour accomplir ton travail. »

« Au début, c’est moins personnel et c’est plus comme une tâche. Quand tu écris de la musique pour un film, les gens savent souvent ce qu’ils veulent, alors tu as un objectif assez clair et qui n’est pas nécessairement dans ta propre voix. Ton but, c’est d’essayer de satisfaire le style ou l’émotion que cette personne recherche. Mais dès que tu commences à travailler, ça finit toujours par t’appartenir. C’est régurgité de l’autre côté d’une manière totalement différente de ce que quiconque avait prévu. C’est assez dôle. T’essaies de faire entrer la musique dans une boîte, mais le simple fait de mettre en place ce processus débouche toujours sur quelque chose d’unique. »

Joint au téléphone depuis sa maison de Toronto – où il est né et a grandi –, Naranjo nous explique qu’il vient de terminer sa sixième trame sonore Hallmark Movies & Mysteries (y compris Love in Harmony Valleyet Christmas with a Prince: Becoming Royal). En février dernier, il a terminé son travail pour la troisième et dernière saison de Detention Adventure, une série de CBC Gem. Passer d’un environnement de travail en groupe à un en solo a été très formateur.

« C’était une situation du genre “l’herbe est toujours plus verte”. Travailler en groupe signifie qu’il faut faire certains sacrifices. Quand j’ai commencé à travailler pour le cinéma, je faisais tout le travail seul. Au début, j’étais aux anges d’avoir un résultat qui était à 100 % mon identité musicale. Sauf que composer et travailler pour ce médium peut être assez solitaire. Après un certain temps, je m’ennuyais de la nature collaborative de faire partie d’un groupe. Plus je réalisais de projets, surtout durant la dernière saison de Detention Adventure, plus je contactais d’autres créateurs pour collaborer avec eux. Il y a quelque chose de magique quand on travaille avec d’autres gens », confie le compositeur.

Il fait référence au fait que, contrairement aux deux précédentes, la dernière saison de Detention Adventure  comportait plus d’interludes musicaux et notamment des chansons dont les paroles sont adaptées à des scènes spécifiques. Bien que Naranjo ait écrit la musique et joué tous les instruments de la série, il a reçu l’aide de sa compagne, Carla Sutton, une travailleuse de la santé mentale, pour certaines mélodies et les paroles (ainsi que les voix pour les démos), bien que Naranjo l’ait encouragée à explorer davantage ses talents musicaux.

Comme la plupart des auteurs-compositeurs, Naranjo n’est jamais entièrement satisfait de son travail. « Il y a cette notion que j’appelle la “divine insatisfaction”. Je pense qu’on peut parler d’y “arriver” en termes de degrés. Règle générale, j’arrive à atteindre mon objectif, la majorité du temps, donc mon taux de réussite est assez élevé. Mais j’ai quand même l’impression que ce n’est jamais assez et c’est ce qui rend le métier d’artiste si attirant. C’est comme pourchasser un dragon. Tu n’es jamais entièrement satisfait. Ça te pousse à te surpasser », conclut Naranjo.

“À la prochaine”: des adieux déchirants

Le co-créateur et réalisateur de Detention Adventure, Joe Kicak, a lancé un sérieux défi à Naranjo pour le dernier épisode de l’émission. Il voulait une chanson qu’il pourrait dédier à sa défunte mère, qui aborderait le sujet de la perte et du passage à autre chose, ce qui était le thème de la finale. Kicak voulait qu’il inclue la phrase « à la prochaine », qui était l’adieu typique de sa mère, au lieu de « au revoir ». Il a ajouté une simple instruction : la chanson devait le faire pleurer. Ni l’un ni l’autre n’était satisfait des premiers essais, mais pendant qu’il peaufinait chaque itération, la mère de Naranjo est également décédée. C’est peut-être la clé qu’il fallait pour aboutir à un morceau de beauté déchirante appelé, de manière appropriée, « See You Later ». Les versions antérieures comprenaient un ensemble complet d’instruments, mais le résultat final est dépouillé et basé sur le piano. « Ce n’était pas aussi poignant, c’était plus chargé, et puis j’ai laissé le piano prendre le dessus », dit Naranjo. « Je pense qu’il y a quelque chose de plus beau à avoir plus d’espace ». Le résultat final a satisfait toutes les exigences de Kicak.