À la tête de l’entreprise Permission qu’elle a fondée en 1995, Lucie Bourgouin sait depuis longtemps que la libération de droits est une branche nichée et importante pour les productions audiovisuelles. Plus de vingt après la création de sa propre compagnie, elle connait tous les rouages d’un juste échange entre les différentes parties au moment d’intégrer une œuvre dans une autre.
« Après mon bac en musique à l’Université de Montréal, je n’avais pas d’emploi en tête », admet d’emblée Lucie Bourgouin qui a simplement suivi sa route en acceptant de passer de l’autre côté des portes qu’on lui ouvrait. Plusieurs fois, on a recommandé son expertise et quelques échelons parcourus plus tard, elle s’est retrouvée au cœur de la gestion des droits sur les produits dérivés à Radio-Canada. « Il y avait même une compagnie de disque à Radio-Canada, à l’époque, rappelle-t-elle. C’était à la fin des années 80. » Après avoir été mise en charge de la gestion des droits de la société d’État d’un bout à l’autre du pays, « des querelles de clocher » ont fait en sorte que son poste a été supprimé.
« Ça a fait 27 ans le 1er février que je négocie à mon compte des droits d’auteurs pour les producteurs, annonce fièrement Lucie. Parmi mes clients j’ai Robert Lepage, Le Cirque du Soleil. Ces gens-là, quand ils ont besoin d’une chanson, je m’occupe de libérer les droits liés à l’œuvre. »
Pour elle, le noyau au cœur d’une carrière comme la sienne est la compréhension d’une création artistique comme un tout indivisible. « Il faut savoir comment le monde fonctionne, il faut connaître les gens, avoir du tempérament, être capable de comprendre les sensibilités de tous les côtés de l’œuvre : le créateur et celui ou celle qui veut utiliser la création. »
Le respect de l’artiste derrière chaque déclinaison artistique, c’est le feu qui anime Lucie Bourgouin encore aujourd’hui. « Je négocie chaque jour avec des entités qui ont des intérêts, mais je tiens à ce qu’on paye tout le monde à sa juste valeur, soutient-elle. Si t’as pas de créateurs, y’a rien qui se passe et j’ai toujours eu un préjugé favorable envers les artistes. »
Depuis la création de Permission en 1995, Lucie a négocié un peu de tout pour un peu tout le monde avec une fougue et un amour de l’art difficiles à égaler. La musique, oui, mais également la peinture ou des livres qu’on voulait transformer en série télévisée… elle sait toujours combien les objets artistiques valent et comment rendre les transactions heureuses pour toutes les parties. « J’ai même déjà négocié un Picasso. Quelle aventure! », lance-t-elle.
Également derrière les libérations de droits des archives montrées à l’émission Les enfants de la télé, elle ne retient qu’un projet lorsqu’on lui demande ce qui a fait de son métier quelque chose de plus grand: « La plus belle carte de visite que j’ai eue dans ma vie, c’est Jean-Marc Vallée et CRAZY, souffle-t-elle, émue. Ça a été la belle grande aventure de ma carrière. C’est rare qu’on travaille auprès des réalisateurs en cinéma dans la libération de droits musicaux, mais on a travaillé côte à côte, Jean-Marc et moi, du début à la fin. » L’étroite collaboration est devenue de l’amitié. « Il est le seul à m’avoir remerciée en pleine télé, aux Jutra, se souvient-elle. Ça a été pour moi un sommet dans mon désir de travailler avec les gens pour qu’ils obtiennent ce qu’ils veulent. »
Au fil des ans, la musique et nos manières de la consommer ont changé et le travail de Lucie s’est métamorphosé en même temps. Si elle se rappelle autant de CRAZY, c’est aussi que, pour l’époque, il y avait un travail colossal de libération de musique à y faire avec une vingtaine de chansons incluses au film. « Aujourd’hui, ce n’est vraiment plus pareil, dit-elle. Je travaille avec Xavier Dolan sur sa prochaine série et on a 52 chansons à dates et on n’a pas fini ! »
« Il va falloir que tout le monde réexamine ses valeurs pour qu’on donne une visibilité aux artistes locaux »
Le manque d’expérience de certaines productions est l’un des principaux défis pour elle puisque certains ont la « pensée magique ». « On ne peut pas avoir une chanson des Beatles pour pas cher, changer les paroles et faire tout ça en 24h, cite-t-elle en exemple. J’ai énormément de contact et de relations saines dans l’industrie. C’est nécessaire pour faire tout le reste. J’ai obtenu G.I. Joe – qui est une propriété intellectuelle – pour un film, gratuitement, pourvu qu’on ne portât pas atteinte à son image. On a voulu avoir Stairway To Heaven pour Café de flore et on n’a jamais réussi. On a tout essayé. Il y a des petites victoires partout dans mon travail et des déceptions aussi. »
En plus de libérer les droits, Lucie Bourgouin conseille, suggère, propose de nouvelles avenues quand le plan A ne fonctionne pas. « J’aime beaucoup travailler avec ceux qui ont un grand respect de la musique. Xavier Dolan en fait partie. C’est un mélomane et si la chanson qu’il veut n’entre pas dans son budget, il va choisir autre chose plutôt que de me demander de négocier à la baisse. »
Au fil du temps, avec les ventes de disques à la baisse partout dans le monde, la libération de droits prend un autre sens. « L’avenir de mon métier est difficile à nommer, croit Lucie. Les ayants droit sont plus exigeants, plus gourmands et c’est normal, car leurs sources de revenus diminuent ailleurs. Il va falloir que tout le monde réexamine ses valeurs pour qu’on donne une visibilité aux artistes locaux avec leurs chansons dans nos productions d’ici, et ce, sans enlever le pain de la bouche des compositeurs de musique à l’image. »
Toutes les relations établies avec le temps auprès des ayants droit sont les solides fondations du succès de Lucie Bourgouin. Presque psychologue et passé maître en diplomatie, elle a passé les 27 dernières années à aller à la rencontre des gens pour que chaque transaction demeure d’abord un geste humain. « Pour faire mon travail, il faut de la patience et de la passion. C’est long et ça prend du temps. » Un métier qui est comme une danse qu’on apprend en dansant.