On se rejoint dans un café de la rue Beaubien, le Vieux Vélo, à deux pas de chez Philémon Cimon. Il fait beau soleil, une lumière dorée d’été plane dans l’air. Philémon est sur le point de lancer son troisième album, dont deux extraits sont parus en juillet dernier. L’un est en quelque sorte un art poétique et s’intitule La musique. « La musique est un amour à sens unique, chante-t-il. Elle me déchire, m’inspire ». Il la dépeint comme une maîtresse despote à qui l’on donne tout sans rien attendre en retour. « C’est une chanson qui traite de mon rapport à l’art. Il y a quelque chose de beau dans l’amour à sens unique. Même qu’à la base, l’amour devrait être ainsi. Ensuite, chanceux celui qui trouve la réciprocité. »

En moins de cinq ans, Philémon a fait paraître trois albums. Les femmes comme des montagnes fait suite à L’été, paru au cœur de l’hiver il y a un an et demi. Apparemment la musique est aussi une muse et l’envoûtement dure. L’heure des bilans n’a pas encore sonné, mais quand il jette un œil dans le rétroviseur, Philémon s’avoue surpris de son parcours. « Impossible de savoir où la création va t’emmener… Sinon qu’elle va t’emmener! Pour moi, le nouvel album fait la somme des deux premiers. »

« Impossible de savoir où la création va t’emmener… Sinon qu’elle va t’emmener! »

Lancé en 2008 de façon indépendante, le EP Les sessions cubaines avait rallié la critique dès sa sortie. La sensibilité à fleur de peau, la vulnérabilité offerte courageusement. Et cette douce mélancolie juvénile contrebalancée par les cuivres des musiciens cubains du mythique Studio Egrem. Audiogram avait signé Philémon pour lancer à nouveau les chansons bonifiées de plusieurs nouveaux titres. « Pour moi, ce disque représente mon passage à l’âge adulte. »

Vint ensuite L’été, un album qui nous entraînait ailleurs, loin de Cuba, créé cette fois avec des musiciens montréalais. « Mes musiciens et moi, on se connaît mieux maintenant. Pour Les femmes comme des montagnes, j’ai voulu faire un album de band. On a travaillé sur les arrangements ensemble, je leur ai laissé beaucoup d’espace; on peut maintenant aller plus loin ensemble. On a commencé à répéter les nouvelles chansons et puis soudainement, j’ai eu envie de retourner à Cuba, avec eux. Dans les pays où il fait très chaud, les choses sont moins contrôlées et il y a un peu plus de place pour la vie. »

Philémon a contacté les gens du Studio Egrem, quartier général des musiciens du Buena Vista Social Club. Les dates concordaient pour tout le monde; il s’y est rendu à nouveau, cette fois accompagné de ses complices montréalais – dont Philippe Brault, toujours à la coréalisation. Là-bas, Philémon a renoué avec ses amis-musiciens de La Havane, son cousin Papacho, pianiste, et avec la chanteuse à l’accent charmant que l’on entendait sur Je te mange.

Philémon n’a pas tort de dire que son nouveau cru fait la somme des précédents : on renoue avec les cuivres cubains qui nous avaient manqué sur L’été, avec le jeu de piano de Papacho, un esprit qui évoque les sixties par petites touches, suggère la classe d’un Gainsbourg. Il y a de la place pour faire résonner les guitares et on se paye la traite en studio sur une chanson comme Maudit. Les textes sont bien ficelés, respirent. Philémon est libre, agile dans son interprétation. Mine de rien, le métier rentre. Il se permet d’étirer la note, de durcir un peu le ton, d’explorer de nouveaux registres. Comme s’il s’était autorisé à quelque chose de nouveau.

« J’ai dû aller plus loin que là où j’étais habitué d’être parce que je voulais dire autre chose. Les années passent, on découvre des choses qu’on ne connaissait pas avant parce qu’on n’avait pas besoin de les découvrir à ce moment-là. Et que ce qu’on voulait exprimer était déjà exprimable avec les outils qu’on avait. Sur mon premier album, je dialoguais avec une fille. Je m’adresse désormais aux gens en général à partir de mes profondeurs et de ma vérité, qui s’avèrent être celles d’à peu près tout le monde (Vieille blonde, Maudit, Ève) et ça commande un langage vocal un peu plus métaphorique. »

Parlant de figures de style, qui sont ces femmes comparées à des montagnes? Qu’est-ce que ce titre énigmatique évoque pour Philémon? « Les grands classiques de la littérature m’inspirent, les œuvres dans lesquelles il est question de s’élever vers un idéal. Dans Don Quichotte de Cervantes ou La Divine comédie de Dante, il y a cette idée de gravir une montagne pour se rendre jusqu’à une femme. Chez Milton, Adam et Ève sont au paradis sur la montagne avant de s’en faire chasser… »

De la jolie soie noire, que cet album. Une fibre délicate dont on se fera une belle écharpe pour l’automne.