Pour Patrick Watson, c’est désormais clair : rien ne sera plus jamais comme avant. « Il faut qu’on réalise combien le hip-hop et le r&b ont transformé la manière d’écrire des textes de chansons, insiste-t-il. Les métaphores jolies du folk, c’est mort. Les textes ont maintenant besoin d’être directs, il faut aller droit au but. Le niveau de vulnérabilité affichée dans les textes de hip-hop et de r&b a repoussé les limites. Une fois que tu as franchi cette limite en termes de vulnérabilité, tu ne peux plus revenir en arrière. »
L’auteur-compositeur-interprète montréalais vient de lancer Wave, son meilleur album en carrière. Un disque lumineux, bien qu’écrit dans la douleur d’avoir perdu sa mère et son amie. Un disque audacieux, car en rupture avec le dynamisme sonore caractéristique des cinq précédents : au lieu de ces longues chansons qui s’écoulent dans des envolées orchestrales, on prend la mesure d’un sens de la retenue peu commun chez Watson qui, le reconnaît-il lui-même, s’est longtemps drapé des arrangements qu’il qualifie de « dramatiques ».
Deux choses ont transformé sa manière d’aborder l’écriture de chansons. La première fut Blonde de Frank Ocean, nous y reviendrons. La seconde lui est tombée dessus pendant l’écriture de Wave, explique-t-il : « Adam Cohen m’a appelé : Y’a une chanson de mon père dont on n’a pas encore trouvé le bon arrangement. Donc, il m’envoie un démo de Leonard Cohen, je l’entends chanter sur une musique – le classique pouet pouet des synthés, c’était super charmant! Alors, j’ai enlevé la musique pour n’en garder que la piste vocale, et c’était en soi assez fort. Tabarnouche, la conviction qui s’entend dans chaque mot qu’il prononce, c’est tellement riche et touchant! »
La chanson s’intitule The Hills, elle paraîtra sur l’album posthume Thanks for the Dance, attendu le 22 novembre. Patrick Watson y a composé de nouveaux arrangements, mais « pour être honnête, je ne suis pas certain [que Leonard Cohen] aurait apprécié. J’ai voulu rehausser le côté sombre du texte, peut-être qu’il aurait justement préféré le contraire, ç’aurait été bien aussi… J’essayais simplement de m’accorder au texte et au ton de sa voix, avec des orchestrations plus modernes par leurs éléments électroniques », un type d’ingrédient sonore qui se remarque d’ailleurs dans le son de Wave.
Or, Watson assure que d’avoir travaillé avec la piste de voix inédite de Cohen a bouleversé sa propre manière d’écrire et de chanter. « Juste d’entendre sa voix sans musique, entendre cette conviction. Y’a pas besoin d’insister là-dessus avec de la musique », soulignant du même souffle que la suave Melody Noir de son nouvel album est carrément influencée par la manière Cohen.
« Je crois que l’erreur que beaucoup de musiciens font est de s’imaginer jouer de la musique pour devenir quelqu’un d’autre. »
Le texte se suffit à lui-même, assure Watson. Il considère Cohen comme un « heavy-duty writer, comme Bob Dylan. Chez eux, le texte est tellement important, or tu réalises que plus le texte est fort, plus la musique est simple. Chez eux, y’a jamais de gros arrangements ou des idées musicales folles; le texte commande à la musique quoi faire – le seul génie du genre qui fait exception à ça est peut-être Tom Waits? », chez qui le texte est aussi élaboré que la musique. « Ou encore un artiste québécois comme Fred Fortin, pour qui les deux sont aussi forts, la musique et le texte. »
L’autre élément transformatif dans son travail, il l’a beaucoup cité, fut Frank Ocean. Dans le texte autant que la musique. « Y’a aucune chance que le rap et le r&b n’aient pas considérablement changé la manière dont on fait la musique aujourd’hui », quelle qu’elle soit, affirme Patrick Watson. « Ce n’est pas une question de forme – le rythme du r&b n’a rien à voir avec ce que je fais. C’est une question de son, de manière de mixer la musique. Si tu chantes au piano, t’enregistres dans une pièce; avec des éléments électroniques, c’est directement dans le son, à l’avant, or il faut que la voix aussi soit mise de l’avant. Et c’est de cette manière que la production influence le texte : tout est plus direct. Ça influence donc la manière d’écrire certaines rimes et de les interpréter. » Ici, ce sont des chansons comme Turn Out the Lights, délicate, presque minimaliste eu égard aux précédentes productions de Watson, et Wild Flower, s’inspirent du type de production moderne, discrètement électronique, du r&b.
« Il faut bien comprendre : l’influence, ici, n’est pas à proprement dit dans le son, mais bien dans la compréhension de l’intention derrière ce type de réalisation. Je crois qu’il est important pour moi, en tant que musicien, de bien comprendre et cerner l’intention derrière ces chansons. C’est un long processus, des mois et des mois à enregistrer des maquettes, avant de pouvoir saisir cette idée. » Sur la dizaine retenue pour Wave, quatre, cinq fois plus de compositions ont été mijotées en démo.
Quatre ans après Love Songs for Robots, Patrick Watson est parvenu à renouveler son écriture et sa forme musicale avec ce Wave à fleur de peau, aux émotions pures, mais contenues, paradoxalement plus troublantes que lorsqu’il enrobait ses compositions d’orchestrations luxuriantes. Encore, dit-il, la clé est dans l’intention : « Tu ne peux pas comme ça décider de changer de son, comme si tu mettais une photo sur un mur en la regardant pour essayer de l’imiter. Je crois que l’erreur que beaucoup de musiciens font est de s’imaginer jouer de la musique pour devenir quelqu’un d’autre. Ta musique est seulement l’expression de qui tu es. Si t’essaies d’être quelqu’un d’autre, musicalement, tout le monde va l’entendre. Si tu veux faire autre chose, si tu veux changer ton son, ne change pas ta musique, change-toi toi-même, la musique suivra. Tes intentions donnent toute la couleur à la musique que tu crées. »