Après avoir mis sa griffe sur pas moins de 325 chansons au cours des cinquante dernières années dont quatre Classiques SOCAN, Michel Robidoux, Robidoux pour les initiés, s’est laissé convaincre il y deux ans par l’admiratif Pierre Lapointe, parrain du projet, de revisiter huit de ses immortelles chansons, deux inédites, et une composée par la mère du septuagénaire, Petit Ange Blond, alors qu’il avait trois ans.

Au total, douze chansons, réalisées par l’inestimable collaborateur de Lapointe, Philippe Brault, qui viennent rappeler à notre imaginaire collectif à quel point Robidoux est un géant de la mélodie, de la composition et des arrangements.

« Je me régale parce qu’enfin, j’entends les tounes comme je les avais à l’origine composés. C’est sûr que lorsque tu coupes le cordon ombilical avec tes compositions, les arrangeurs se les approprient et font ce qu’ils veulent avec. J’ai fait écouter à Jean-Pierre (Ferland) la superbe version de Pierre Flynn qui rend à sa manière Le Petit Roi et les deux versions épurées de Le Chat du café des artistes (Lapointe et Ariane Moffat) et il m’a dit : bravo Robidoux ! »

Robidoux premier, met aussi en vedette Alex Nevsky, Bïa, Daniel Bélanger, Marie-Noëlle Claveau et Catherine Major, qui prennent le pouls du riche legs musical de Robidoux. Et de la longue, longue feuille de route.

La Boîte à Clémence, L’Osstidcho, le classique Charlebois-Forestier sur lequel on retrouve Lindbergh, le classique Jaune de Jean-Pierre Ferland, I’m Your Man (1988) de Leonard Cohen, en passant par Renée Claude (Ce soir je fais l’amour avec toi, rendu ici magnifiquement par Major), l’émission-culte Passe-Partout (175 épisodes co-signées avec Pierre F. Brault) et même une collaboration sur Punkt! (2013) de Pierre Lapointe, sans compter son rôle de bassiste au sein du groupe country Les ours.

Puisqu’il mentionne Ferland plus haut, fallait bien revenir un brin sur l’album Jaune sur lequel figurent ces deux titres. Robidoux était partie prenante du processus de création en studio jusqu’à ce qu’il soit limogé par le réalisateur André Perry qui engagea deux Américains, Buddy Fasano (qui trouva l’intro au piano du Petit Roi) et Art Phillips.

Une fois Jaune accouché, Ferland a retrouvé Robidoux et ses musiciens de tournée qui étaient du spectacle Bulldozer à la salle Wilfrid-Pelletier (pour la petite histoire, le producteur Guy Latraverse avait approuvé la présence sur scène d’une gigantesque pelle mécanique… jaune).

Peu importe l’aventure, Robidoux a toujours été en quelque sorte le chauffeur désigné, celui qui était le plus sobre pour contrôler la marmaille en studio ou en spectacle. Mais une fois le travail accompli : party !

« Jette un coup d’oeil sur la pochette de Lindbergh, me dit-il.  À côté de mon nom, c’est écrit : raccordeur musical. Je faisais le lien entre tous ces musiciens flyés et je devais m’assurer qu’ils se pointent au studio à l’heure et dans un état efficace. On a fait un bout de studio au (défunt) Stereo Sound sur Côte-des-Neiges et l’autre moitié chez André Perry. Robert et moi on se tenait en 1967 à l’Esquire Show Bar qui était LA place pour entendre les musiciens soul américains. Ça déteint sur le disque, surtout avec le groove à l’orgue d’Engagement. »

« Mais j’étais épuisé en 1969 d’être Tout écartillé (ndlr : titre de la chanson) dans Paris avec Robert. Le gros show à l’Olympia, le party continuel, j’ai été obligé de prendre un break, je trouvais ça trop heavy. C’est à ce moment que j’ai dit à Jean-Pierre que j’étais disponible. »

Leonard Cohen fait aussi partie des ex-patrons de Robidoux. Il a entendu des prises de son du québécois en 1988 et s’est aussitôt trouvé un nouveau collaborateur pour son disque I’m Your Man, collaborateur qui a de surcroît fait la direction artistique et musicale, des arrangements, en plus de jouer des claviers.

« Au moment de mettre sa voix sur nos pistes, il était étonné que je sois encore au studio, tous les autres musiciens avaient quitté. Il m’a dit : tu es le premier musicien qui a le goût de rester pour les enregistrements des voix. Il m’avait fait trois chèques pour les trois chansons auxquelles j’ai contribué (deux ont été retenues sur l’album et pas les moindres, I’m Your Man et Everybody Knows). L’un des trois chèques a rebondi, relate-t-il en s’esclaffant. Cohen avait un budget illimité de Columbia (CBS Records), il venait en plus de recevoir le Crystal Globe Award. Et il me fait un chèque sans provision ! » Un imbroglio avec un commis de banque zélé, semble-t-il. Ce qui a mis Cohen hors de lui et Robidoux fut aussitôt compensé.

Après une opération à cœur ouvert et un quadruple pontage, Michel Robidoux pense d’abord à sa santé : « j’ai fumé pendant 59 ans. On n’a pas mené des vies d’enfants de chœur. Il y a eu des années d’abus, on se n’en cache pas. Mais je suis un vieux micmac, je suis coriace… »

Pourquoi sortir un disque maintenant ?

« J’avais choisi d’être un musicien accompagnateur et un compositeur. Mais aujourd’hui, c’est l’occasion, mon vieux ! » Robidoux joue sur huit des douze chansons.

« Ce dont je suis le plus fier ? Mon Félix de 1984 du meilleur arrangeur pour le disque de Noël de Passe-Partout (Le Noël de Cannelle et Pruneau) parce qu’il a été voté par mes pairs. Il y avait quand même François Dompierre qui était aussi en nomination ! Ce n’est pas rien. »

Pas mal pour un musicien qui ne sait ni lire ni écrire la musique. Ça donne le goût de faire un autre disque ? « You bet ! »