La plupart du temps, vous trouverez l’auteur-compositeur Luca Fogale assis à son piano droit, un modèle Yamaha de 1974, dans le sous-sol de sa demeure de Burnaby, en Colombie-Britannique, ales yeux clos en attendant une visite de sa muse. Il a fait l’acquisition de son instrument — qu’il surnomme « mon petit vieil ami » — il y a une décennie.

« Je m’y installe chaque jour, sans faute », confie-t-il. Ce piano est le cœur de son studio maison où il crée et collabore. Ce petit espace souterrain est l’endroit où ont été créées — et enregistrées, pour la moitié d’entre-elles — les 12 chansons de Nothing is Lost, son plus récent album paru en septembre 2020.

« J’habite ici depuis huit ans », explique le membre SOCAN qui était en nomination pour un Western Canadian Music Award 2020 dans la catégorie artiste pop de l’année. « Avant la COVID, je recevais la visite de plein d’auteurs-compositeurs et nous écrivions des chansons dans cet espace. C’est calme et accueillant, il n’y a pas beaucoup de fenêtres. C’est un endroit très rassurant où je me sens libre d’aller au plus profond de moi-même. Je ferme mes yeux et je reste ici aussi longtemps qu’il le faut. J’aime savoir que je peux venir ici quand bon me semble. »

L’honnêteté et de la nature cathartique des chansons de Fogale font que de plus en plus de gens apprécient — et découvrent — sa musique. L’auteur-compositeur né et élevé en Colombie-Britannique a présenté sa musique sur des scènes canadiennes, américaines, européennes, australiennes et japonaises. Ces scènes, il les a notamment partagées avec Half Moon Run, Serena Ryder et Josh Ritter. En 2020, la musique de Fogale a été écoutée plus de 30 millions de fois au total sur toutes les plateformes et il a été en couverture de plusieurs listes d’écoute majeures en plus d’être le sujet de plus de 85 000 recherches sur Shazam.

« Je n’aurais peut-être pas connecté avec ces collaborateurs, n’eût été la pandémie »

Nothing is Lost a été écrit au fil des trois années précédentes à mesure que le projet évoluait. Pour Fogale, l’écriture de chansons est un exercice de « petit train va loin », comme le dit l’expression populaire. Mais parfois, lâcher prise et savoir quand une composition est terminée peut s’avérer difficile. « J’ai un processus particulièrement méticuleux », dit-il. « Je passe beaucoup de temps sur l’écriture et l’enregistrement. Je ne travaille pas très vite. J’ai tendance à m’asseoir et à évaluer et réévaluer la valeur d’une chanson, sa production, sous toutes ses coutures. »

Lorsque la pandémie a été déclarée, Fogale avait suffisamment de chansons pour un album complet, mais elles ne lui semblaient pas assez importantes pour les lancer à un moment où il y avait autant d’initiatives de justice sociale qui bouillonnaient. Il a donc profité de cette période pour écrire de nouvelles chansons qui soient le reflet de la zeitgeist et de sa vérité à lui. Le résultat de cette réflexion plus profonde : les deux chansons qui se retrouvent en ouverture et en clôture de l’album. « Nothing is Lost » et « You Tried » – une pièce remplie d’espoir qui clôt l’album sur une note optimiste.

Comme la plupart des artistes durant la COVID-19, tandis qu’il était impossible de donner des spectacles, Fogale s’est entièrement consacré à la création, seul ou de manière virtuelle avec d’autres auteurs-compositeurs un peu partout à travers le monde. Pour lui, c’est un des bons côtés de la pandémie.

« Je trouve très enrichissant de participer à des séances de création sur Zoom », affirme l’artiste. « Si la pandémie ne m’avait pas forcé à collaborer en ligne, je ne me serais probablement pas connecté à ces gens. »

Et de trois : « Surviving » dans Grey’s Anatomy

Sa chanson « Surviving » a été en vedette dans le premier épisode de la 17e saison de Grey’s Anatomy. Ce n’est pas la première fois qu’une de ses œuvres est en vedette dans cette populaire série télé. Shazam a connu un pic de recherche durant la diffusion de l’épisode tandis que plus de 20 000 personnes ont prononcé les mots « Hé, Siri (ou Alexa), qui chante cette chanson ? » Fogale ne cache pas que c’est toujours un événement spécial lorsqu’il entend une de ses créations sur un nouveau médium.

« J’ai une merveilleuse petite équipe qui travaille très fort pour s’assurer que mes chansons se rendent partout où elles peuvent », explique-t-il. « C’est la troisième fois qu’une de mes chansons est utilisée dans cette série. J’ai adoré la réaction des gens quand ils l’ont annoncé sur les réseaux sociaux. Les gens adorent ça quand deux choses qu’ils aiment se rencontrent, c’est très excitant. »

« Voir que ta chanson a été choisie parmi des millions — du moins dans mon créneau — parce qu’elle exprime le mieux les émotions d’une scène, c’est une leçon d’humilité », avoue-t-il. « La scène où on entend “Surviving” était magnifique et intense — une intervention émotionnelle auprès d’un des personnages où il était question des stigmates reliés à la santé mentale. Ce sont des sujets auxquels je réfléchis beaucoup et le fait qu’une de mes chansons soit utilisée dans une telle scène m’a beaucoup touché. Entendre mon petit piano dans cette émission et voir ensuite toutes les histoires partagées sur Instagram a été vraiment incroyable. Je ressens mon chez-moi dans cette chanson. »



Si vous visitez le compte Instagram de Turbo, vous y verrez des photos de l’artiste calgarien en bottes de cowboy, casquette à motif camouflage et boucles de ceinture reluisantes. « Je veux être le visage du country hip-hop », dit Turbo. « Je n’ai pas encore battu de records, mais ça s’en vient. »

La musique de Turbo est un heureux mélange de « twang » country et de « beats » hip-hop qui a vu le jour avec le succès de Lil Nas X et d’autres artistes au confluent de plusieurs genres musicaux. Bien que Turbo roule sa bosse depuis bien avant « Old Town Road » — son père est un artiste bluegrass et il a grandi baigné dans cette musique — c’est après qu’un de ses anciens gérants lui a fait connaître le outlaw country et des artistes comme Colter Wall que Turbo s’est lancé dans ce genre. Parallèlement, il créait ses propres « beats » dans sa chambre à coucher et il a décidé de fusionner ces deux mondes en apparence divergents. Il a depuis été mis sous contrat par la maison de disques indépendante 10K/Internet Money Records, basée à Los Angeles.

« Certaines de mes chansons sont ultra country et d’autres sont plus hip-hop », explique Turbo. « Puis, de temps en temps, je trouve un juste équilibre et ce sont ces chansons-là que je mets de l’avant. » Il donne comme exemple parfait sa pièce « Heart Stop ». Il y amalgame guitare acoustique, écriture intimiste et « beats » rebondissants et il nous explique que le texte est inspiré de ses problèmes de santé mentale et de les accepter comme faisant partie de qui il est.

Son simple actuel, « Summer’s End », propose « des guitares qui rappellent Johnny Cash », et elle a été écrite immédiatement après un voyage en camping. « Au Canada, on n’a que quatre mois par an pour profiter pleinement de la vie. On va dans le bois, on campe et on fait le party solide », explique Turbo. « c’est génial, mais quand l’été s’achève, t’es presque content, parce que t’as vraiment trop fait le fou tout l’été. »



Tradition oblige, on vous présente cinq artistes rap québécois(e)s qui se révéleront assurément à un plus grand public cette année.

Calamine

Passionnée par le rap depuis l’enfance, Calamine a pourtant mis du temps avant d’empoigner le micro. Ce n’est qu’au milieu de sa vingtaine, après un baccalauréat en arts visuels et plusieurs expériences à titre de batteuse, guitariste et bassiste dans des groupes rock garage, que l’artiste originaire de Cap-Rouge, à Québec, a fait ses premiers pas comme rappeuse.

« Honnêtement, je me sentais pas legit de faire du rap. Qu’est-ce que j’avais à dire, moi, en tant que petite fille blanche de banlieue ? C’est une musique que j’ai toujours adorée, mais j’arrivais pas à trouver de modèle. Encore moins au Québec, dans un univers aussi masculin…»

Sa rencontre avec le producteur Kèthe Magané, à Montréal, a changé le cours des choses. « On habitait ensemble et, comme jeu de fin de soirée, on allait kicker des verses. Dans ce contexte-là, où personne se prend au sérieux, je trouvais ça moins gênant et plus naturel. J’ai essayé une couple d’affaires, avant de me dire : ‘’OK là, on peut faire ça pour vrai !’’ »

Le mini-album Sessions 1420 (2019) est né de ces séances de création décomplexées, à l’instar de Fraîche heure (2020), rampe de lancement du trio Petite Papa que Calamine et Magané forment avec Sam Faye. Puis, en novembre dernier, au tour d’un premier album solo, Boulette Proof, sur lequel la rappeuse de 29 ans affirme ses positions féministes, écologistes et anticapitalistes sur des productions chaleureuses aux teintes jazz et soul. « J’ai des positions radicales, mais je sais que ça sert pas à grand-chose de prêcher aux convertis. De là l’idée de bien emballer mon discours pour que tout le monde en mange. Je cherche quelque chose de smooth, d’accessible. Je veux que les mononcles aient mes tounes dans la tête ! »

Un défi de taille pour 2021, année qui concordera avec la sortie d’un deuxième album à l’ambiance toute aussi conviviale. « Je veux pas céder à la facilité d’exposer les dark times qu’on vit en ce moment. Au contraire, je veux exposer des idéaux lumineux. »

Aswell

Originaire de Saint-Bruno-de-Montarville, Aswell a eu la piqûre pour le rap québécois à la fin de son cursus primaire, lorsqu’il a découvert les WordUP! Battles. « On a commencé à organiser des matchs de battle rap dans la cour d’école. Mais comme j’étais le seul qui écoutait vraiment les WUB dans toute l’école, j’y allais toujours trop rough, trop personnel… J’étais trop hardcore pour la ligue ! »

À 14 ans, le jeune rappeur enregistre ses premières chansons aux côtés du rappeur PC the Infamous, avec qui il formera le collectif La Collection peu après. Dead Obies est alors une influence majeure : « On bumpait ça sans cesse. Au début, je voulais rapper comme eux, car ils venaient également de la Rive-Sud… du sud sale ! Après, y’a eu Loud Lary Ajust, et ça a été un déclic. »

Ce « déclic » mène Aswell et son collectif à enregistrer Moonstone et Public Figures, deux EPs à la facture trap et aux textes sombres. « C’est là que j’ai réalisé à quel point j’étais anxieux et à quel point c’était important que j’en parle. Y’avait un certain mal de vivre qui guettait la jeunesse [à Saint-Bruno]… »

Même si cette mélancolie fait toujours partie de son œuvre, Aswell mise sur des textes plus positifs en solo. Quelque part entre pop et emo trap, le rappeur, chanteur, producteur et mixeur connait un succès prometteur depuis la sortie de ses singles Don’t Be Mad et Dead Summer en 2018. Dépassant l’impressionnant seuil du million d’écoutes sur YouTube (sans même un vidéoclip), sa chanson Leaving a connu un engouement insoupçonné sur TikTok l’an dernier. « Je dirais même que la toune est devenue plus grosse que l’artiste ! » admet le rappeur maintenant âgé de 21 ans. « Là, mon but pour 2021, c’est de ramener mon monde. »

Avec une dizaine de chansons en poche, notamment les récentes Hard to Love et On the Low, qui accumulent les dizaines de milliers d’écoutes depuis leur sortie l’an dernier, le Montréalais d’adoption est en bonne posture pour réaliser son objectif. Un premier EP solo devrait paraître cet hiver.

Misa

Algérien d’origine, Misa a amorcé son parcours musical à Gatineau, sa ville d’adoption. C’est là qu’il a découvert Nas, DMX, 50 Cent et des incontournables de l’âge d’or du rap français comme Mafia K’1 Fry. Dès la sortie de son premier EP Nouveau rebeu en 2014, Misa laissait déjà entrevoir sa plume avisée et son regard affûté sur la société. « J’ai grandi avec un rap qui prenait position. Même les gangsta rappeurs qu’on écoutait, ils avaient un certain message à porter. Donc pour moi, c’est essentiel de parler de ce qui m’entoure, »

Sa musique n’a pas mis de temps à trouver écho auprès d’un public français. À peine âgé de 18 ans, Misa pouvait compter sur l’appui de quelques plateformes rap de l’Hexagone (Yard, Rapélite, Skyrock) et sur une « validation » de la superstar Rohff, qu’il l’a invité sur sa populaire série de vidéos CPLS (Certifié Par Le Street). Soutenu par la société d’édition musicale américaine Warner Chappell, Misa a connu un début de carrière pour le moins enlevant, avant de connaître quelques déceptions. « Le directeur artistique [de Warner Chappell] avec qui j’avais signé mon contrat de droits d’auteur est parti gérer la carrière de MHD, donc je me suis retrouvé à ramer un peu seul… Mais j’ai continué comme si de rien n’était. »

Avec ses EPs 17h à Alger et Loca ainsi que Okulte, son mini-album en collaboration avec Nova, Misa a sondé plusieurs terrains musicaux. « J’ai tellement essayé de choses. À un moment donné, j’étais tellement concentré sur les flows que je n’avais presque plus de contenu dans mes paroles. Je perdais parfois l’essence de ma musique. »

Après quelques remises en question en 2018 et 2019, le rappeur maintenant âgé de 25 ans est revenu en force l’an dernier avec Tout va bien, un quatrième EP solo où il mélange son rap conscient originel avec une force mélodique qui tangue vers le R&B. « C’est une carte de visite qui recense tout ce que je peux faire. J’ai retrouvé mon identité, l’âme de ma musique. »

Libéré de son contrat avec Warner Chappell, le Montréalais d’adoption voit 2021 comme un nouveau départ. « Je me suis cherché pendant longtemps, mais là, j’arrive avec du renouveau. Je veux qu’on me redécouvre », espère celui qui misera sur des sorties de singles tout au long de l’année et, possiblement, sur un nouvel EP – « si la demande y est ».

Rosalvo

C’est en analysant les dessous de l’industrie musicale que Rosalvo a trouvé la motivation pour être rappeur. Aux côtés de son gérant Philippe-Olivier David, qui a participé au lancement de la carrière de MB, l’artiste originaire de la Petite-Bourgogne, à Montréal, a habilement orchestré son parcours. « J’ai commencé à faire de la musique en 2016, mais pendant trois ans, j’ai uniquement développé mon son et tenté de comprendre l’aspect business de la game. Je voulais arriver prêt. »

Ces réflexions ont mené Rosalvo à être le plus assidu possible dans sa musique. « J’ai longuement regardé ce que faisaient les rappeurs anglophones de Montréal et j’ai remarqué que la clé, c’est la constance. Quand un bon rappeur se plaint que ça ne fonctionne pas pour lui, c’est souvent qu’il sort une chanson aux six mois. Mais il ne faut jamais prendre de vacances… »

Depuis la sortie de son premier single 4th Quarter en 2019, le rappeur applique à la lettre ce mantra. En deux ans, il a proposé près d’une vingtaine de chansons, en plus de faire paraître deux projets : Libation (2019) et Deep Waters (2020). Entre trap et R&B, sa musique rappelle les belles années de Future, l’un de ses rappeurs préférés. « Je peux aussi bien chanter avec une voix monotone et parler de trucs raw que de montrer ma voix et proposer quelque chose d’un peu plus pop », explique le rappeur de 27 ans, dont les textes traduisent avec fidélité ses grandes ambitions.

Aussi à l’aise en anglais qu’en français, comme le prouve la chanson Mystique en duo avec Shreez, Rosalvo veut mettre les bouchées doubles en 2021. « Je prévois sortir quatre projets, un pour chaque trimestre. Oui, je me suis créé un nom dans la dernière année, mais c’est pas le temps d’être confortable. C’est le moment de take it to the next level. Ma priorité, c’est de m’exporter et de mettre Montréal de l’avant. Dans cinq ou six ans, la ville sera sur la mappe. »

Jeune Loup

Inspiré par Gucci Mane et Roi Heenok depuis l’adolescence, Jeune Loup est l’un des personnages les plus fascinants de l’histoire du rap québécois.

Deux ans se sont écoulés depuis sa percée fracassante sur la scène rap québécoise avec Back sur le BS, clip qui dépasse maintenant les 330 000 visionnements. Le rappeur montréalais y jetait alors les bases de son esthétique musicale : un beat trap élémentaire, un flow volontairement déphasé et des paroles à la fois ludiques et cinglantes, racontant ses activités illicites dans l’univers des drogues douces et pharmaceutiques.

« Je peux pas te dire ce que je cherchais à faire. C’était plus un freestyle, que j’avais dans ma tête depuis un bout. Mais avec le recul, je pense que je voulais montrer aux gens que c’est possible de rapper et d’avoir du plaisir. La scène à Montréal est toujours trop sérieuse, mais yo, c’est correct, ça va bien aller, c’est chill… »

Le succès du clip l’a mené assez rapidement sur quelques scènes du Québec, en première partie de Dead Obies, en plus de le révéler aux yeux de plusieurs rappeurs et producteurs talentueux comme Mike Shabb. C’est d’ailleurs ce dernier qui a produit ses deux premiers albums : Rx (qui contient Sensuelle, récemment devenue un phénomène sur TikTok) et Rx archives, tous deux parus en 2019.

Mais cette excellente lancée a été freinée par un passage en prison l’an dernier : « Finalement, j’ai été acquitté de toutes mes charges [de possession d’arme à feu]. J’ai perdu huit mois de ma vie, mais au moins, j’ai pas de dossier criminel. »

Parue l’automne dernier, sa chanson 1st Day Out marquait son grand retour. Sur une production trap jazzy signée Numb Blond et Mike Shabb, Jeune Loup y dévoile un flow plus aigu et mélodieux que jamais. « Je voulais que les gens voient le titre de la chanson et s’imaginent une chanson de sortie de prison typique. Mais au lieu d’arriver raw, j’arrive super sweet. C’est une chanson qui fait du bien. »

S’amusant à détourner les codes du rap, l’artiste de 21 ans amorcera 2021 avec un troisième album, Slime contre le monde. « Slime, c’est pas un alter ego, il est vraiment à l’intérieur de moi. C’est un état mental, un état d’esprit. Et là, après son passage en prison et sa rupture, Slime se retrouve seul contre le monde pour entamer sa mission. Chaque chanson est une lettre ouverte à moi. »

Autres révélations rap québ à surveiller de près cette année:

Cupidon, Lova, Lebza Khey, Boris levrai, JPs, Dary, Gnino, VT, Smitty Bacalley, Corops, JuicemanSF, Chung and Emma Beko.