L’infatigable auteure-compositrice-interprète R&B s’inscrit dans une scène en émergence
Article par Melody Lau | jeudi 21 septembre 2017
a l l i e admet volontiers que la première chanson qu’elle a écrite était un chouia trop longue. C’était une fusion de mélodies et de poèmes, une nouvelle façon pour elle de canaliser la douleur de sa première peine d’amour. C’était une expérience purificatrice, mais, surtout, le début de ce qu’elle qualifie de dépendance à la création musicale.
Et il semble bien qu’a l l i e n’a jamais cessé de créer depuis… Depuis quelques années, l’artiste établie à Toronto a lancé plusieurs simples et EP où l’on peut entendre des « jams » R&B rythmiques qui comportent souvent des éléments de jazz, de reggae et de soul, les musiques qui ont bercé son enfance dans un foyer très musical. Certaines de ses collaborations peuvent sembler familières, et c’est dû au fait qu’elle s’inscrit dans une scène musicale où se côtoient des musiciens et producteurs comme Charlotte Day Wilson, Harrison, River Tiber et Birthday Boy. « Notre communauté est tissée très serrée et incroyablement solidaire », dit-elle. « Tout le monde fait incroyablement bien ce qu’il fait, alors quand nous travaillons ensemble, ça se passe de manière toute naturelle. »
Le point culminant de tout cela fut le lancement, cette année, de son premier album, Nightshade, un opus qui aura nécessité deux ans de travail. Certaines des pièces lui sont venues tout naturellement, mais a l l i e a néanmoins dû surmonter une certaine angoisse de la page blanche. Comment y est-elle parvenue ? Elle a médité et s’est enfuie du brouhaha de la ville afin de pouvoir se concentrer et « réfléchir dans des espaces naturels silencieux ». L’album a été complété dans un chalet de Bracebridge, à deux heures au nord de Toronto, l’endroit où a l l i e a finalement trouvé la tranquillité d’esprit dont elle avait besoin.
Alors qu’elle continue d’attirer l’attention de ses collègues et des critiques, elle espère que les gens comprendront l’énergie féminine divine et le message derrière la voix pleine de détermination d’une femme au sein d’une industrie dominée par les hommes. « Nous sommes divines, nous nourrissons, nous donnons la vie », dit-elle. « Nous voulons que notre force soit reconnue et nous voulons un monde où l’égalité des sexes se reflète dans tous les aspects de notre vie. »
Photo par Janik Robichaud and/et LePetitRusse
Julie Aubé et Laura Sauvage : les horizons nouveaux
Article par Olivier Boisvert-Magnen | vendredi 22 septembre 2017
Pour Laura Sauvage et Julie Aubé du trio folk acadien Les Hay Babies, l’aventure solo permet de libérer un trop-plein de créativité. Lancés à une semaine d’intervalle, leurs deux nouveaux albums mènent des quêtes sonores complètement différentes.
Julie Aubé (à gauche) et Laura Sauvage (à droite). (Photo : Eric Parazelli)
Pour Joie de vivre, son tout premier opus, Julie Aubé a choisi de tout enregistrer sur une console analogique de 16 pistes. « J’voulais vivre un trip », explique celle qui, durant cette période, a eu « un gros kick sur du Black Sabbath, du Thin Lizzy, du Captain Beefheart » et des groupes rock psychédélique des années 1960. « Quand on a commencé à enregistrer, je me suis rendu compte que le ruban que j’avais fait venir des États-Unis était mal fait, mal coupé. Ça a eu un impact sur le son, qu’on entend à peine, mais qui a donné le ton à l’expérience. »
« Moi, c’est le contraire », poursuit Vivianne Roy alias Laura Sauvage, à propos de son deuxième album The Beautiful qui explore notamment les courants garage rock et new wave des années 1980. « On a utilisé une console numérique, mais avec des vieilles guitares et des vieux mics. On a enregistré le plus de layers possible, car j’voulais m’amuser à créer des effets et des sons, retourner des séquences à l’envers, faire un peu de noise dessus… Après ça, on a nettoyé le superflu. »
Divergentes, ces deux façons de concevoir la création musicale sont teintées d’une liberté artistique débordante, qui fait écho à la conception tout aussi émancipée de La 4ième dimension (version longue), deuxième album des Hay Babies paru en octobre 2016. Loin du compromis pop avec lequel flirtent bien des jeunes artistes après une percée spectaculaire, l’œuvre enregistrée en quelques jours dans un chalet témoignait d’une vive chimie musicale et humaine.
C’est de cette fougueuse énergie prolifique que semblent avoir hérité les deux nouveaux projets occurrents, créés à temps partiel entre les segments de tournée du trio complété par Katrine Noël. « Qu’on soit gone ensemble ou qu’on soit séparées, on arrête jamais, car la créativité, c’est quelque chose qui se travaille. Si tu l’utilises pas, tu la perds », explique Julie Aubé. « Quand j’avais pas mon projet solo, je pouvais parfois passer deux mois avec une idée de toune dans la tête. Maintenant, je peux l’exprimer dans mes temps libres et je me sens plus ouverte d’esprit lorsque j’enregistre avec Les Hay Babies. »
« C’est rare qu’on soit les trois ensemble en dehors des tournées, alors c’est plus spontané de travailler seule », poursuit sa complice, Montréalaise depuis maintenant deux ans. « Je vois vraiment l’écriture comme ma job. J’pense à des idées et à des thèmes durant la journée et, dès que je suis chez nous, j’ouvre mon computer et je prends ma guitare. »
Prolifique, l’auteure-compositrice-interprète Laura Sauvage a appris à se faire confiance dans les dernières années. Épaulée par Dany Placard, qui l’a poussée à enregistrer son premier EP en 2015, elle s’est servie du tremplin que lui offrait sa carrière solo pour poursuivre l’un de ses rêves d’adolescence : réaliser des albums. « Y’avait pas de meilleur way pour apprendre le métier que de commencer à le faire. Je voulais pas me shooter dans le pied en faisant la réalisation d’un album à someone else… J’aurais eu trop peur de faire une shitty job. »
À la barre de la réalisation de Joie de vivre avec Marc Pérusse, Julie Aubé constate aussi que son expérience en solo lui a amené beaucoup d’assurance et d’autonomie, autant sur le plan de l’écriture que de l’enregistrement. « C’est le genre d’expérience qui nous porte plus loin », observe l’artiste installée à Memramcook, à environ 30 kilomètres de Moncton. « Pour la first time de ma vie, j’ai dû me faire confiance, car je pouvais pas m’accoter sur Viv pis Kat, ni sur Marc Pérusse qui était pas avec moi durant les sessions. Ça a été ça le plus gros défi. »
Prochainement, l’apprentissage va se poursuivre sur la scène. Habituée des spectacles à la formule guitare-voix, Laura Sauvage désire maintenant prioriser les concerts avec son groupe afin de tromper la solitude. « Faire des shows seule, c’est la loneliest thing au monde. Tu te rends en quelque part, tu passes une journée sans parler, tu fais ton soundcheck de cinq minutes, tu manges toute seule, tu fais ton show toute seule, tu te couches toute seule… », énumère celle qui a ouvert pour les Barr Brothers et Patrick Watson l’an dernier. « Maintenant, j’ai mon band et j’apprends à tenir le front. Des fois, j’me demande si j’suis pas en train de virer folle. C’est un peu weird d’être en avant sans les filles. T’es vraiment naked sur le stage. »
Même si elle n’a qu’un seul spectacle solo à son actif, celui de son lancement qui a eu lieu plus tôt ce mois-ci à l’Esco, Julie Aubé sait déjà ce qu’elle ne veut pas. « J’ai pas envie de faire des shows seule. C’que j’veux, c’est que ça rock en criss! Je trouve déjà que je tourne beaucoup avec Les Hay Babies, alors j’aimerais avoir juste quelques beaux shows par année avec tout mon band. »
Bref, ces nouveaux départs viennent avec leur lot d’attentes et d’appréhensions, leurs moments d’excitation et d’incertitudes. Consciente qu’elle retournera forcément jouer dans des petites salles qu’elle a auparavant sillonnées avec sa formation, Julie Aubé voit la situation avec optimisme. « En ce moment, avec Les Hay Babies, on est rendus six sur scène, en plus des techniciens. Tout ça fait en sorte qu’il y a moins de salles qui peuvent acheter notre show. Moi, j’ai toujours aimé joué dans des bars bruns, alors l’idée de recommencer à zéro et d’avoir la chance de revivre ça, ça m’enchante. »
Si les départs en solo annoncent bien souvent le début de la fin d’un groupe, ceux des Hay Babies sont davantage à prendre comme des interludes féconds entre deux albums. « Still, le monde se fait des idées pareil », déplore Laura Sauvage. Les gens aiment croire que c’est way plus dramatique que c’est, alors que c’est all for art qu’on fait ça. »
« Y’a des gens qui ont de la misère à comprendre qu’on puisse avoir des vies en dehors des Hay Babies », poursuit son acolyte. « Encore aujourd’hui, je vais dans un café à Moncton et je me fais demander où sont les deux autres. »
Photo par Richmond Lam
Paupière : Les Yeux Grand Ouverts
Article par Nicolas Tittley | mercredi 20 septembre 2017
Pour être honnête, on n’attend pas d’un musicien qu’il soit au meilleur de sa forme au lendemain de son lancement. Pourtant, lorsqu’on joint Éliane Préfontaine, l’une des trois membres du groupe électro pop montréalais Paupière, complété par Julia Daigle et Pierre-Luc Bégin, elle semble prête à attaquer avec entrain l’obligatoire journée de promotion pour À jamais privé de réponses, un premier album qui mérite bien d’être célébré.
« On a toujours le cœur à la fête, mais disons que je suis un tout petit peu plus sage qu’avant », reconnaît-elle d’emblée. « On a appris à la dure lors de notre première tournée en France que ce n’était peut-être pas une bonne idée d’être constamment sur le party quand tu dois jouer tous les soirs. Le jour où on est débarqués, pour les TransMusicales de Rennes, en Bretagne, on devait rencontrer pour la première fois les gens de notre future maison de disques et la combinaison de l’alcool et du décalage n’a pas donné de très bons résultats. Disons seulement que la soirée s’est terminée par une chicane mémorable. »
Heureusement pour le groupe, les gens d’Entreprise, l’un des labels français les plus intéressants de l’heure, n’ont pas tourné les talons et leur ont ouvert les portes de l’Europe, où leur électropop aux forts accents eighties semble trouver des oreilles très réceptives. La maison parisienne, qui compte aussi dans ses rangs des groupes comme Moodoïd, Grand Blanc, Fishbach ou Bagarre, partage le même genre de direction artistique que leur label montréalais, Lisbon Lux. « C’est formidable d’être aussi bien encadrés par des gens qui croient en nous, d’autant que lorsqu’on a commencé le groupe, on ne pensait certainement pas à en faire une carrière » se souvient Éliane.
Ce premier album marque une nette évolution depuis la parution de Jeunes Instants, leur premier EP, et pousse vers de nouveaux sommets leur version très personnelle d’une chanson électropop un brin rétro. Complètement décomplexée, leur musique puise autant dans la synth pop britannique des années 80 que dans la variété française, approchant tous les genres sans la moindre ironie. « On évite de donner un genre spécifique à notre musique, mais à partir du moment où une de nos chansons s’est retrouvée en rotation forte à Énergie (Rex, aussi en lice pour le Prix de la chanson SOCAN, NDLR), on s’est mis à assumer de plus en plus l’idée qu’on fait de la pop. On est toujours un groupe underground et on a des chansons dont les textes sont sombres et minimalistes, mais tous les trois, on cherche à créer des hooks mémorables. »
Lorsqu’elle parle de la musique de Paupière, Julia emprunte souvent à d’autres formes artistiques, comparant leur premier album complet à un long métrage et décrivant des chansons individuelles comme des nouvelles, qui ont chacune leur protagoniste. Les arts visuels (le milieu dont est issu Julia) font aussi partie de l’équation, tout comme le théâtre, d’ailleurs. « Comme on créée essentiellement sur ordi et pas lors de jams, comme un band rock, le défi a d’abord été de trouver comment transposer nos chansons sur scène de façon intéressante, explique Éliane. On pense de plus en plus à notre approche scénique : on travaille avec un metteur en scène et on essaie d’incarner chacune de nos chansons de manière à plonger le public dans notre univers. »
C’est dans un univers nocturne, éclairé par la lumière blafarde des néons, que nous convie Paupière, qui nous invite à une expérience sensuelle où l’on voit avec les oreilles ou l’on écoute avec les yeux, c’est selon. « Au travers de mes paupières je perçois l’univers d’une autre manière », entend-on dès la première chanson, D’une autre manière. Le groupe a-t-il vraiment changé sa perception du monde et de la musique ? « Il y a un peu de vrai là-dedans ; disons qu’on a peut-être acquis une certaine maturité, confirme Éliane. On a vécu nos « Jeunes Instants » avec le premier EP et on a l’impression d’être allés un peu plus loin sur l’album, même si on a l’humilité de dire qu’on demeure « À jamais privé de réponses. »