Le spectacle de Linda McRae au Rogue Folk Club de Vancouver le 4 septembre 2016 ne sera pas une prestation comme les autres : il marquera l’intronisation de l’auteure-compositrice-interprète roots au British Columbia Entertainment Hall of Fame à titre de pionnière. « Ça m’a beaucoup surpris, confie-t-elle, mais je suis ravie de cet honneur. Ma fille a crié de joie en apprenant la nouvelle au téléphone. »

Voilà une reconnaissance bien méritée pour un parcours qui a amené la musicienne à se produire au sein de plusieurs groupes vancouverois dans les années 1980 et à faire partie de Spirit of the West à l’époque où le groupe était au faîte de son succès commercial (1989-1996) avant d’entamer une carrière d’artiste exécutante qui a généré six albums à ce jour.

Cette musicienne chevronnée ne donne aucun signe de fatigue. Son plus récent album, Shadow Trails, sorti en 2015, était son troisième en trois ans (l’album de 2014, Fifty Shades of Red, était une compilation), et elle continue de se produire fréquemment en tournée au États-Unis et au Canada.

Linda McRae se rappelle l’effet énergisant de sa première visite dans une prison. « En octobre 2011, mon mari [le poète] James Whitmire et moi avons été invités à participer au programme « Arts-in-Corrections » à la New Folsom Prison en Californie. Ce fut pour nous une expérience absolument incroyable, et on nous a témoigné tellement de respect et de gratitude simplement pour le fait d’être là. Nous y sommes retournés environ huit fois. Puis nous avons décidé que nous voulions travailler avec des détenus et des jeunes à risque et les aider à se trouver une voix et à mettre des mots sur leurs pensées. »

Il en est résulté un  atelier d’écriture littéraire intitulé Express Yourself. La chanteuse avait décidé de faire porter ces ateliers sur la création littéraire plutôt que sur l’écriture de chansons afin de pouvoir intéresser le plus grand nombre de candidats possible. « Ce n’est pas tout le monde qui sait jouer d’un instrument, donc je parlais d’un atelier de création littéraire pour que tous puissent participer, explique-t-elle. J’anime aussi des ateliers d’écriture de chansons comme je le ferai en mars prochain au camp musical de Haliburton. J’y adapte parfois des exercices que je fais faire aux participants des ateliers de création littéraire. »

Linda McRae observe que certains détenus et jeunes à risque font preuve d’une aptitude phénoménale pour la création littéraire. « Ils sont souvent très étonnés de voir ce qu’ils arrivent à écrire, explique-t-elle, d’autant plus que plusieurs d’entre eux n’ont jamais pratiqué cet art auparavant. C’est une démarche intéressante où il faut structurer les ateliers de manière à ce que personne ne termine l’exercice dans la déprime. Il faut les inciter à la réflexion et les aider à être fiers d’eux-mêmes. »

Le gardien adjoint du Nebraska Correctional Center for Women, Tim Miller, confirme le succès de ces ateliers dans un témoignage où il admet qu’il est « incapable d’expliquer comment deux personnes peuvent se présenter dans une prison, y rencontrer de parfaits inconnus et créer instantanément une complicité avec eux. Je ne comprends pas comment James et Linda arrivent à ouvrir des êtres refermés depuis longtemps sur eux-mêmes et les amener à coucher sur papier leur vie, leurs objectifs et leurs rêves en en prenant pleinement conscience. Je ne peux expliquer ce phénomène, mais j’en ai été témoin. »

Linda McRae a été invitée à présenter ses ateliers en partenariat avec des festivals canadiens de musique aussi prestigieux que le South Country Fair, le Coldsnap Festival, le Vancouver Island Music Fest et le Folk Alliance International dans le cadre de leurs programmes de sensibilisation communautaire.

L’auteure-compositrice s’est inspirée de ces expériences en écrivant Shadow Trails, album dont une chanson, « Flowers of Appalachia », reprend une musique qu’elle avait composée sur un poème de Ken Blackburn, un détenu de la New Folsom Prison. « Cette musique est sortie directement de l’atelier de la prison, explique la chanteuse. C’était un poème de Ken qui m’allait droit au cœur, un poème incroyable qui parlait d’une vie ratée. Beaucoup d’histoires racontées dans les chansons de cet album m’ont été inspirées par des textes que j’ai lus et des anecdotes que j’ai entendu raconter durant l’atelier. »

D’autres chansons lui ont été inspirées par le Sud des États-Unis, une région qui a une profonde influence sur la musicienne depuis son déménagement à Nashville avec son mari il y a neuf ans.

Très admirée par ses pairs du monde de la musique, Linda McRae s’est toujours assuré la complicité des meilleurs artistes roots sur ses albums. Shadow Trails ne fait pas exception à la règle avec la section de rythme de John Dymond et Gary Craig (Blackie and the Rodeo Kings, Bruce Cockburn), le claviériste Steve O’Connor et le guitariste Steve Dawson, qui a également assuré la réalisation et le mixage.

Ce n’était pas la première fois que Linda McRae collaborait avec ces musiciens. « C’était comme un genre de réunion, explique-t-elle. Gary et John ont joué sur mon premier album solo, Flying Jenny [réalisé par Colin Linden], et Steve Dawson et Jesse Zubot faisaient partie de mon orchestre lors de la tournée qui a suivi le lancement de l’album. Tim Vesely, des Rheostatics, en était l’ingénieur, et j’aimais faire des spectacles avec son band quand je faisais partie de Spirit of the West. »

On remarque parmi les artistes invités à participer à l’enregistrement de Shadow Trails les noms bien connus de Ray Bonneville, de Fats Kaplin, de Gurf Morlix (réalisateur d’un précédent album de la chanteuse, Cryin’ Out Loud) et de Geoffrey Kelly, l’ancien coéquipier de la chanteuse dans Spirit of The West.

« J’ai eu tellement de plaisir à enregistrer l’album [au Woodshed, le studio de Blue Rodeo à Toronto], s’exclame l’artiste. Le studio est tellement confortable que la vibe est dans l’air. On a tout enregistré en direct en à peine trois jours. »

Linda McRae suscite les éloges unanimes de la critique depuis le début de sa carrière d’artiste solo. « Je ne me souviens pas d’avoir fait l’objet d’une critique cinglante, s’étonne-t-elle. Comme à n’importe quel auteur-compositeur, il m’arrive de perdre un peu confiance en moi-même et de me sous-estimer. Quand ça se produit, James me dit simplement : “Relis tes critiques !” ».