Si tu commences ta carrière en buvant des shooters de fort sur le bras de quelqu’un d’autre, il y a plusieurs étapes à franchir pour accéder à la sagesse. C’est pourtant un semblant de paix d’esprit et de quiétude qui anime le projet musical de Mélanie et Stéphanie Boulay. Affranchies, libres, apaisées, elles « laissent aller la vie » et reviennent sur les dix dernières années qui les ont forgées. Dix années auxquelles elles ne changeraient rien.

Mai 2012
Les soeurs Boulay Les sœurs Boulay gagnent Les Francouvertes, en finale contre Francis Faubert et Gazoline. « Il y a peu de nos adversaires de la finale avec lesquels ma sœur n’a pas déjà sorti », lance Mélanie dans un éclat de rire qui emporte également sa sœur. « Je me souviens qu’on a gardé la première place du palmarès, des préliminaires à la finale, se souvient Stéphanie. À chaque étape, on n’en revenait pas. Notre sentiment était fort… pas nécessairement un sentiment qu’on allait gagner, mais que quelque chose était en ébullition. »

Déjà, elles laissaient leur instinct les guider, contournant tous les « conseillers » qui leur recommandaient une prestation tout autre en finale : « On avait choisi de faire ça très épuré, avec simplement un micro-condensateur et tout le monde pensait que ça allait être une catastrophe », se rappelle Mélanie. Dans le Club Soda, ce soir-là, on entendait une mouche voler, puis Les sœurs Boulay. Elles avaient gagné.

Mars 2013
Le 26 mars 2013, le duo fait paraître son premier album, Le poids des confettis. « C’était un album super ludique parce qu’on ne savait même pas écrire des chansons. On se demandait tout le temps si les accords qu’on enchaînait se pouvaient », se remémore Mélanie. Au Studio Wild à Saint-Zénon, les sœurs ont « créé torchées ». « On buvait du Grand Marnier le matin », admet Stéphanie en riant.

C’est Stéphanie qui se trouve derrière les paroles et la musique de Mappemonde, la chanson la plus populaire des sœurs Boulay à ce jour. « Je me rappelle à quel point Mélanie l’haïssait, dit-elle en riant. Pendant que j’étais en train de l’écrire, elle n’arrêtait pas de dire à quel point c’était quétaine. »

Juin 2014
L’infidélité est au cœur du simple Ça qui ne sort sur aucun album a posteriori. « On l’avait enregistrée pour l’album et elle avait été rejetée. J’étais en deuil de l’avoir laissé de côté », dit Stéphanie. La pièce profite donc de son propre moment.

Octobre 2015
Les soeurs BoulayLe deuxième album, celui du « ça passe ou ça casse », survient. 4488 de l’Amour nait en automne. Au fil des pièces, on entend les histoires vécues en solo par Mélanie et Stéphanie chacune de leur côté. Peut-être pour mieux se retrouver. « On avait vraiment besoin de revendiquer notre place, exprime Mélanie. On vivait ensemble et on se tenait avec le même monde. Chaque fois que j’arrivais quelque part, on me demandait elle était où ma sœur. On a donc voyagé chacune de notre bord. »

Moins candides et déjà plus réalistes face au monde qui les entoure, elles composent des chansons plus engagées et d’autres qui relatent des déceptions de toutes les tailles. « Ça sent le retour de burn-out de fin de première tournée, rigole Stéphanie. Mais c’était tout de même notre album du changement de paradigme. On avait passé à La Voix et on avait vécu un premier moment où on avait eu peur parce que les gens voulaient trop nous parler après un show extérieur où il n’y avait pas de backstage. On s’est dit, à ce moment-là, qu’on garderait nos vies privées respectives loin des caméras. »

Août 2016
Les sœurs Boulay font paraître une reprise « à leur manière » de la chanson Pour que tu m’aimes encore de Céline Dion. « C’est le premier cover qu’on a fait où on a vraiment compris c’était quoi notre esthétique, se rappelle Mélanie. On avait fait ça pour Les chats sauvages de Marjo. On a réalisé qu’on pouvait rendre des chansons personnelles et y mettre notre son à nous. C’était un constat vraiment gratifiant. »

Son amour de la musique est d’ailleurs né avec My Heart Will Go On dans Titanic. « Ça avait fait monter quelque chose en moi, même si j’étais super jeune », ajoute-t-elle. En septembre de la même année, les sœurs sortent le EP Lendemains, quatre chansons courtes où leur esthétique s’étend de plus belle. Onze minutes de délicatesse sans filtre.

Avril 2017
Le duo reprend L’engeôlière de Richard Desjardins sur l’album qui lui rend hommage. « Je n’ai pas été capable de lui parler, se souvient Stéphanie en racontant le spectacle qui a suivi la sortie de l’album. Je n’ai rien dit parce que j’avais peur que ce grand monument que j’admire me trouve conne, ajoute-t-elle en riant. On a pris une grande respiration et on a chanté à ses côtés. C’était un grand moment pour nous. »

Septembre 2017
Les soeurs BoulayDans le cadre des Journées de la culture, les sœurs composent De la terre jusqu’au courant, ce qui représente l’une de leurs premières créations « à distance ». « J’ai commencé par écrire un texte sans structure et Mélanie a fait la musique de son côté », explique Stéphanie. « C’était le début du travail par mémos vocaux, complète Mélanie. On est très attachées à la chorale de Petite-Vallée, en Gaspésie. Ces enfants ont chanté sur la pièce en enregistrant leur partie avec peu de moyens dans un gymnase d’école. » Entre les mains d’Alex McMahon, tous les petits bouts ont donné naissance à un brin de magie.

Mars 2018
La première commande de musique à l’image arrive. « J’espérais tellement que ce serait la première d’une grande et longue série », lance Stéphanie, visiblement très heureuse de sa collaboration avec l’équipe de la série télé Trop. La chanson Le temps des récoltes se pose sur un moment clé de l’émission de télé qui dessine les contours d’une relation entre deux sœurs. « On avait quelques informations sur la scène qui serait jouée avec notre chanson. On suivait la série et on aimait beaucoup ça. Ça parle autant de l’amour entre sœurs que de santé mentale, raconte Stéphanie. On n’avait pas vu la scène et la première fois qu’on a écouté la chanson après l’enregistrement, c’était dans le studio d’Alex McMahon et il nous a mis les images en même temps, pour la première fois. On a tous pleuré. C’était magique et on avait l’impression que les idées qu’on avait eues se fondaient dans l’histoire parfaitement. »

Septembre 2019
Les sœurs Boulay font paraître un troisième album, La mort des étoiles. Il s’agira de leur dernière parution chez Dare To Care (désormais Bravo Musique) avant qu’elles quittent le navire au cœur de la tempête. Mélanie parle de cet album comme celui de toutes les désillusions : « le climat social, l’environnement, le #metoo… Je cherchais du sens pour mes enfants, mais on dirait que tout nous amenait dans une grande tristesse. En même temps, on a toujours été des grandes mélancoliques, dit-elle, amusée. Mon adresse courriel a longtemps été lesjourstristes3@hotmail.com. » Pour Stéphanie, La mort des étoiles était un album de pandémie avant que celle-ci éclate. « On dirait qu’on avait l’intuition d’un grand bouleversement, ajoute-t-elle. Parfois tu écris en te disant que ça va te parler davantage plus tard. Ça a vraiment été le cas. »

Octobre 2022
Échapper à la nuit, le quatrième album des sœurs Boulay, voit le jour chez Simone Records. Dans une véritable renaissance après avoir laissé couler l’eau sous les ponts, Les sœurs Boulay renouent avec la musique, entourées d’une nouvelle équipe. « Je me rappelle que quand on a commencé à faire de la musique, on avait toujours l’impression que tout était une question de vie ou de mort, se rappelle Mélanie. Antoine Gratton, qui était l’un de nos mentors à l’époque, nous disait « c’est y’inque de la musique ». On n’opère pas à cœur ouvert et c’est la plus grande leçon qu’on garde. » Stéphanie est persuadée qu’elle a encore des choses à apprendre de qui elle était il y a dix ans et, terre-à-terre, assure qu’elle ne s’attend pas à revivre un jour l’ampleur du succès qui les a portées au départ.

Dans une prise de position forte, mais tempérée, les deux femmes posent un regard empathique sur leur parcours et n’y changeraient absolument rien. Si Le poids de confettis les ébranle encore en 2023, c’est qu’il est rempli à ras bord d’une vérité « jeune » et d’un désir de tout briser pour faire en sorte que le monde se porte mieux.  « Je crois que ce qu’on a le plus besoin de faire, 10 ans plus tard, c’est de se rappeler de la nécessité de créer qui nous habitait au début », dit Stéphanie. « On ne veut pas oublier de continuer à se fâcher, complète sa sœur. De vivre sans peur. »