Vingt ans après ses débuts modestes au Zest de la rue Bennett dans l’est de Montréal, le concours-vitrine Les Francouvertes est plus que jamais un incontournable. Si, à elle seule, la liste de ses gagnants passés a de quoi impressionner, c’est plutôt son impact sur l’ensemble de la scène musicale québécoise qui a consolidé sa réputation à travers les années.

Mercredi 13 avril 2016, 23 heures. L’excitation est palpable au Lion d’or à Montréal, au moment où la directrice des Francouvertes, Sylvie Courtemanche, s’apprête à dévoiler le nom des trois groupes qui croiseront le fer au Club Soda pour la grande finale de la 20e édition.

Au terme de cette troisième soirée de demi-finales, durant laquelle se succèdent les généreux prix distribués parmi l’ensemble des 21 participants, Mon Doux Saigneur, Caltâr-Bateau et La Famille Ouellette sont consacrés. Ils tenteront, par le fait même, de mettre la main sur le grand prix, incluant une bourse de 10 000$.

Francouvertes

Si la déception se lit sur plusieurs visages, l’euphorie transparaît sur les autres. « Ça fait quatre ans qu’on s’inscrit sans succès, et là, on s’en va en finale… Oui, je suis câlissement sur le cul ! », déclare spontanément Étienne Dupré, bassiste de Caltâr-Bateau. « Le plus drôle, c’est que je joue également de la batterie pour Mon Doux Saigneur… On peut dire que ça s’annonce comme une grosse soirée ! »

« C’est l’fun de voir qu’il y a un bon feedback comme ça », indique, plus calme, Émerik St-Cyr, leader de Mon Doux Saigneur. « Ça me montre que je suis peut-être pas fou et qu’une passion, ça peut être un moyen de survivance bien légitime. »

Évitant de justesse la finale avec son groupe Fudge, David Bujold est quelque peu déçu. « J’trouve ça torturant de savoir que j’ai fini quatrième », confie-t-il. « Ça a passé tellement proche… »

Loin de sortir perdant du concours, le chanteur et guitariste repart tout de même avec quelques prix, notamment une bourse de 1000$ offerte par la SOCAN pour sa chanson Ju. « Ça fait une couple de concours que je fais, et le prix de la chanson primée m’a toujours paru un peu inatteignable… Malgré la défaite, ça reste donc une bonne soirée », dit-il.

À quelques centimètres de lui, les six membres de La Famille Ouellette ont de la difficulté à contenir leurs émotions. « On s’attendait VRAIMENT PAS à ça », admet J-S Houle, claviériste et chanteur de la formation. « Le premier show qu’on a fait tous ensemble, c’était aux préliminaires. Les Francouvertes, ça a été notre raison pour sortir de l’ombre et enfin se partir un projet à nous, entre amis. »

Histoires de coups de foudre

Huit ans auparavant, le trio électropop La Patère rose  avait également donné son premier spectacle à vie lors des préliminaires des Francouvertes. Quelques semaines plus tard, il remportait la 12e finale du concours.

Fondateur et directeur de l’étiquette Grosse Boîte, Éli Bissonnette était membre du jury lors de cette soirée. « C’était la première fois que je les voyais sur scène, et j’ai pogné une grosse grosse claque. Le lendemain, je leur ai écrit pour les féliciter, puis pas longtemps après, on les a signés », se souvient-il. « On ne vient pas nécessairement aux Francouvertes avec l’intention de signer quelqu’un, mais on n’est jamais à l’abri d’un coup de cœur. Ça a été la même chose avec Émile Bilodeau l’an dernier. »

Francouvertes Loco Locass

Le 7 février 2000, une situation similaire s’est produite. Le trio rap Loco Locass remportait les honneurs au terme d’une finale maintenant mythique qui l’opposait notamment aux Cowboys fringants. « On n’avait même pas 10 shows à notre actif quand on a gagné le concours. C’est vraiment là qu’on a appris à chauffer une foule », se souvient Chafiik. « On savait que les Cowboys avaient toute une énergie, donc on a tout fait pour repousser nos limites en finale. »

Dans le jury se trouvait notamment Patrice Duchesne, alors directeur artistique chez Audiogram. « Pour un groupe qui n’avait presque pas fait de scène comme nous, Les Francouvertes, ça a été une école en accéléré », relate Batlam. « Ça a été la rampe de lancement pour notre disque et, par la bande, le coup d’envoi de Loco puisque Audiogram a ressorti notre album en magasin quelques mois après. »

Plus récemment, le directeur disques de l’étiquette Spectra Musique François Bissoondoyal a, lui aussi, fait une belle découverte. « Les Francouvertes ont beaucoup contribué à la signature de Philippe Brach », admet-il. « Ça faisait un bout qu’on le suivait de près, mais disons que ça a aidé de le voir dans un cadre optimal, dans une salle spacieuse avec un bon son et un public attentif. »

Il n’y a évidemment pas que les victoires qui soient significatives aux Francouvertes. L’an dernier, Eric Harvey, gérant d’artiste chez Ambiances Ambiguës et fondateur de l’étiquette Duprince, y a repéré la chanteuse Rosie Valland, qui a pourtant été écartée de la grande finale. « J’avais déjà écouté son premier EP, mais c’est vraiment quand j’ai vu sa profondeur sur scène en demi-finales que j’ai décidé de l’approcher », raconte-t-il. « En septembre 2015, on a profité de la sortie de son album pour lancer officiellement Duprince. »

Au-delà de l’étiquette

Fort de sa deuxième place en 2002, le groupe rock Karkwa a également profité de sa «défaite» aux Francouvertes. Impliquée dans le concours depuis 1996, la directrice Sylvie Courtemanche se rappelle de cette édition, qui a finalement consacré le défunt groupe reggae Kulcha Connection. « Louis-Jean Cormier m’a avoué, plus tard, que c’était la meilleure chose qui soit arrivée à Karkwa. La deuxième place leur a soi-disant botté le cul pour aller plus loin », raconte celle qui a repris les rênes de l’évènement en 2005, lors de son déménagement du Zest au Lion d’or. « Gagner Les Francouvertes quand ce n’est pas le bon moment, ça peut aussi te nuire. »

Karim Ouellet

Karim Ouellet, lui aussi, a terminé deuxième aux Francouvertes. Déjà signé sous une étiquette lors de sa participation en 2011 (chose qui n’est maintenant plus possible depuis la nouvelle règlementation), le chanteur  n’avait pas d’objectifs précis en tête.

« C’est mon gérant qui m’a parlé pour la première fois des Francouvertes. Je venais de faire paraître un disque, et on cherchait un moyen de faire de la promo », explique l’artiste signé sous Coyote Records. « L’affaire, c’est que j’avais déjà fait Granby et que je n’avais pas vraiment envie de refaire un autre concours… Mais rapidement, j’ai compris que Les Francouvertes, c’était plus intéressant, notamment parce que c’est un concours à l’affut de ce qui se passe sur la scène locale. »

Signé sous Grosse Boîte, Bernard Adamus était dans la même situation un an auparavant. Avec un disque en poche, Brun, le chanteur a profité de son passage au concours pour prendre de l’expérience sur scène. « Tout ce que je recherchais, c’était de l’assurance et de la crédibilité. J’avais un rush d’adrénaline chaque fois que je montais sur scène », se remémore-t-il. « Je me rappelle que c’était un feeling spécial parce que je connaissais la moitié des bands Bernard Adamusavec qui je jouais. Je les avais croisés, à un moment ou à un autre, au Quai des brumes ou à L’Inspecteur Épingle. »

S’il est vrai qu’un certain microcosme folk local alimente le concours depuis bon nombre d’années, on peut voir quelques changements se profiler à l’horizon.

Cette année, par exemple, plusieurs finalistes (notamment Ponteix, Cy, Simon Daniel et McLean) provenaient de diverses régions hors Québec. « C’est peut-être l’effet Hay Babies », avance Sylvie Courtemanche, à propos de ce groupe acadien qui a remporté l’édition 2013. « Ça arrive souvent qu’un groupe influence les cohortes suivantes. Pendant plusieurs années, on recevait beaucoup de démos fortement influencées par Karkwa ou Les sœurs Boulay. »

Loin du son de ces artistes, les trois finalistes actuels (tous montréalais) amènent un vent de fraîcheur à l’évènement, ne serait-ce que par l’ampleur de leur orchestration et l’audace de leurs mélanges musicaux.

« C’est vraiment particulier cette année, constate Sylvie Courtemanche. On a affaire à des gros bands avec des arrangements beaucoup moins dépouillés que l’année passée… Disons que ça commence à coûter cher de coupons de bière !

Grande finale des Francouvertes
Club Soda, 9 mai

 



 

Aux premières loges du rap québécois, les six jeunes hommes de Dead Obies incarnent à eux seuls toute une génération en fulgurante expansion. Venus au monde sur les consonances du rap américain de la fin des années 90, début 2000, et inspiré par une littérature disparate et polyglotte, le groupe marque le coup avec Montréal $ud en 2013 et récidive cette année avec Gesamtkunstwerk, loué par critique et public, mais pénalisé par les institutions qui ne blairent pas le franglais qui contamine l’œuvre du groupe.

Résilient au combat, mais porté par la soif d’être en phase et de s’approprier une culture polyphonique et déliée, le groupe persiste et signe : « At the end of the day, on s’exprime en français avec notre public, dans toutes nos publications, etc. Et je suis issu d’une famille francophone de la Rive Sud qui park le char dans le driveway. On exige habituellement 51% de contenu franco pour être considéré comme tel, mais une institution comme Musicaction exige 70% pour des raisons plutôt obscures. Et il y a à peu près juste Dead Obies qui tombe dans cette catégorie-là. Par chance, on a un label (Bonsound) qui peut et qui veut nous supporter. Mais ça envoie un drôle de message », résume Jo RCA, rappeur au sein de la formation.

Créer, ici, maintenant

DEAD OBIESPar-delà les foudres du financement public (le groupe doit rembourser les 18 000$ initialement octroyés par Musicaction pour cause de non-respect du seuil de contenu francophone), la proposition de Dead Obies rencontre manifestement son public, l’album ayant trôné au sommet des ventes du Québec lors de sa sortie (cinquième place canadienne), écoulant quelque 2200 copies dans sa première semaine de parution. Et ce, tout comme l’essentiel du rap fait ici, sans grand soutien des circuits commerciaux de diffusion qui, à ce jour, boudent toujours le genre.

Un décalage qui, logiquement, s’explique plus ou moins. D’un côté, les institutions et autres grands réseaux qui ne semblent pas trop savoir comment aborder le phénomène; de l’autre, un public issu de la génération du millénaire posé sur une identité culturelle née entre deux langues et quelques clics, qui en redemande jusqu’à plus soif.

Et c’est précisément dans l’entre-deux, dans cette instantanéité à quelques égards déconcertante, que Dead Obies trouve son compte et prend tout son sens. Envers ET contre tous. « On côtoie des gens des deux bords de la Main. »

L’Hydre de Lerne

 Si la formule consiste en un beatmaker au service de cinq voix distinctes aux plumes franches, le processus de création repose précisément sur l’amalgame de cet éclatement. « On travaille en groupe, on s’influence, on se donne des pistes de réflexion, même des rhymes, explique Jo RCA. On aime que ce soit représentatif de chacun d’entre nous. Les divergences viennent aussi nourrir notre processus, c’est ce qui fait l’unité de Dead Obies, c’est ce qui rend la cellule complexe et lui permet de ratisser aussi large. Il y a une connexion entre nous qui est hallucinante. »

Et les prémisses de leurs créations résident souvent dans quelque chose de plus ou moins saisissable, les lectures du moment, la réflexion individuelle des membres, pour une équation qui fait mouche : « On est beaucoup dans l’abstrait, c’est probablement l’un des trucs qui nous rassemble le plus dans la création. On déteste quand c’est tout cuit dans le bec, quand il n’y a pas place à la réinterprétation. Il faut que les pièces respirent et puissent vivre d’elles-mêmes. Et je crois qu’on se rapproche vraiment de ça sur le deuxième album. »

« Le principal souci est simplement de créer des bonnes chansons à la base, en espérant que le public réagira. Lorsqu’on crée une chanson, on l’écoute entre nous pendant des mois, un peu en vase clos. Et arrive le moment où on la lance dans le monde. C’est parfois étrange de voir comment vieillit une pièce créée dans un moment donné, un état d’esprit, avec la spontanéité de tout ça. Et ça m’arrive souvent de réécouter les trucs après coup et de percevoir quelque chose de complètement autre que ce que j’avais en tête au moment de le créer! »

Chose certaine, peu de gens sont aussi bien placés que Dead Obies, en ce moment, pour clamer haut et fort sa pertinence dans un paysage culturel pas toujours inclusif. Des deux côtés de la Main.

 



Avec une récolte de sept trophées depuis deux ans aux Maple Blues Awards et d’un prix Juno en 2015 pour le meilleur album blues, Steve Hill, le guitariste québécois caracole au sommet du blues canadien d’un océan à l’autre. Et ce n’est que le début.

La raison de cette reconnaissance? Les quatre tomes autoproduits par Steve Hill intitulés Solo Recordings, Vol. 1, Vol. 1 ½ (EP), Vol. 2 et le Vol. 3 paru il y a quelques semaines, ce qui porte à neuf le nombre de disques publiés en vingt-cinq ans de carrière par l’épatant guitariste qui a trouvé son point de salut avec un inestimable filon exploité en solitaire.

« C’est ce que j’aime de la nouvelle réalité de l’industrie: la proximité avec le monde, tu développes un contact. »

« Avec la réalité de l’industrie qui est en changement, confie-t-il à Paroles et Musique, je ne pouvais plus me payer des musiciens. Il a fallu que je me réinvente. Avant d’être solo, j’étais endetté de 30,000 dollars. Quand je jouais au Club Soda, je posais moi-même les posters partout à Montréal avec mon bassiste. »

Et les ventes de disques n’étaient guère plus encourageantes. « Avant de créer No Label, mon étiquette, je gagnais un dollar et demi par copie après 40 000 copies vendues, avec ma dernière compagnie de disque, je faisais 40 cents par copie vendue. Aujourd’hui, je n’ai plus de gérant, plus de label et je sors du Québec! Quand je vais à Toronto ou dans l’Ouest canadien, mes albums sont en magasin (Outside Music est son distributeur, N.L.D.R.). La job est mieux faite par moi, affirme fièrement Hill, 20% de mes ventes sont en format digital, le reste c’est de la copie physique. »

Avec la reconnaissance médiatique, ici et ailleurs, et les prix et accolades accumulés, tout baigne pour Steve Hill: « Mes salles sont pleines. Après mes spectacles, je descends de la scène, je ne passe même pas par la loge et je vais directement à la table de produits dérivés (t-shirts, disques, posters) et je rencontre le monde pendant une heure, je prends des photos, je jase avec eux, je signe des guitares, des seins, n’importe quoi ! (éclats de rire) C’est ce que j’aime de la nouvelle réalité de l’industrie: la proximité avec le monde, tu développes un contact. Le monde m’écrit sur Facebook et je leur réponds rapidement. »

Steve Hill

Photo: Scott Doubt

Avec un tel succès, le guitariste donne 125 spectacles par année, le téléphone ne dérougit pas et les temps libres sont rares. « Récemment, je n’avais pas de spectacle pendant quelques jours, alors au lieu d’aller dans le sud, j’ai pris un break d’être frontman et j’ai été juste guitariste en acceptant de jouer en studio deux tounes avec (l’auteur-compositeur-interprète) Pépé et Marc Déry qui réalisait son disque, et ensuite je me suis pointé au Bistro à Jojo juste pour le plaisir de jammer. Quelques jours plus tard, poursuit-il, je faisais une session en studio pour Erik West Millette (Trainz), pis Kevin Parent était dans le studio d’à côté en train de travailler sur son prochain album. Il m’a invité à collaborer sur une chanson. J’aime ça jouer et c’est rare que je sois disponible pour ce genre de truc. »

Mais pour l’heure, Steve Hill, l’artiste, est un homme-orchestre. Il tient d’un pied la cadence sur une grosse caisse tandis que de l’autre, il tape au besoin un shaker, sorte de canette de fortune remplie de « p’tit change » enrubannée à son pied droit. Et pour compléter l’arsenal, une baguette de tambour est fixée au bout de son manche de guitare avec laquelle il frappe avec conviction un « high hat », ce jeu de cymbales superposées de toutes les batteries de l’univers.

Tout en multipliant des riffs de guitares hypnotisants, alternant entre blues rural, blues moderne, rock, country et folk. « Tout se joue en temps réel, aucun échantillonnage. Je vais vraiment à l’essence de qui je suis comme artiste », s’emballe celui qui se qualifie lui-même de « vraie guidoune de la guitare. J’en possède plus d’une trentaine, en plus de vingt amplis. »

Deux autres tournées canadiennes sont à l’agenda 2016 et Steve Hill étudie présentement des offres pour des concerts aux États-Unis, en Europe et au Brésil en 2017.

Rentrée montréalaise le 28 avril, au Club soda, Montréal.