Jordan Coaker et Kristen Rodden-Clarke se sont rencontrés dans une chorale amateur en 2011 à Conception Bay South, Terre-Neuve, et ils n’avaient alors aucune idée que c’était le début de leur carrière musicale. Les deux plus jeunes membres de leur chorale ont été jumelés pour chanter un duo, et ils ont rapidement découvert qu’ils s’harmonisaient tout naturellement. « Les gens nous disaient que nos voix allaient vraiment bien ensemble », se souvient Rodden-Clarke.

Peu de temps après, elle est montée sur scène avec Coaker lorsque celui-ci jouait au centre-ville de St. John’s et c’est elle qui lui a fait connaître le duo folk américain The Civil Wars. Ils ont aussitôt partagé leur amour du style vocal de ce groupe. « On était carrément obnubilés », rigole Coaker.

Les années ont passé et Coaker et Rodden-Clarke ont emprunté la voie de la moindre résistance pour leurs créations musicales. « C’est fou comme les choses tombent tout droit du ciel pour nous depuis huit ans », explique Coaker au sujet de rencontres opportunes et de chances inouïes qui leur ont permis d’évoluer.

“C’est fou comme les choses tombent tout droit du ciel pour nous depuis huit ans.”—Jordan Coaker, Quote the Raven

Le premier EP de Quote the Raven, Misty Mountains (2016) a été mis en nomination pour des prix MusicNL dans les catégories Étoile Montante et Enregistrement folk/trad de l’année, ce qui leur a permis de rencontrer le réalisateur Chris Kirby qui allait réaliser leur premier album, Golden Hour, paru en 2018. Cette rencontre leur a également assuré une participation dans un camp d’écriture où ils ont pu collaborer avec Charlie A’Court, Keith Mullins, Gabrielle Papillon et Ian Janes, entre autres.

« Il y avait de la magie dans l’air pour chaque chanson que nous avons écrite et chaque artiste avec qui nous avons collaboré », se souvient Coaker. « On a écrit 14 chansons en quatre jours. »

Coaker et Rodden-Clarke ont bel et bien trouvé leur propre rythme de création. Coaker chante depuis l’âge de 17 ans et est souvent celui qui prend les devants côté mélodie, tandis que Rodden-Clarke a mérité le titre d’éditrice en raison du soin qu’elle prend à peaufiner et simplifier les chansons de son collègue (oui, ils ne sont que collègues, pas un couple amoureux). « J’écris des centaines de couplets, et elle arrive, change quelques trucs, et ça fonctionne ! » avoue Coaker.

Quant à Rodden-Clarke, elle a commencé à chanter à l’âge de 16 ans sur la recommandation de son professeur de piano, et la prochaine étape créative est de trouver les harmonies vocales. « Ça me vient naturellement », confie-t-elle. « On sait tout de suite quand on tient une chanson qui nous convient bien. »

Les deux artistes — qui décrivent leur musique comme de la pop/Americana — sont très conscients du fait qu’ils détonnent un peu dans le paysage musical de leur province où la demande est majoritairement pour la musique traditionnelle. « C’est parfois difficile de proposer de nouvelles sonorités ou de nouveaux genres », dit Coaker en ajoutant qu’il ne veut surtout pas avoir l’air négatif. « Il n’y a qu’une poignée d’endroits [à St. John’s] où nous savons que nous pouvons jouer devant un auditoire de bonne taille. »

Heureusement, ils aiment partir en tournée, surtout lorsque ça leur permet de s’arrêter dans de plus petites localités. Ils aiment tout particulièrement la côte ouest de Terre-Neuve où ils prennent le temps de s’arrêter lorsqu’ils doivent aller prendre le traversier qui les amène sur le continent. « Nous avons trouvé des petits hameaux où les gens sont réellement contents qu’on leur rende visite », explique Coaker avant d’ajouter qu’ils n’ont aucune intention de quitter leur province natale. « Ç’a vraiment été bon pour notre moral au fil des ans. »

Quote the Raven — un clin d’œil au célèbre poème d’Edgar Allen Poe — a également adoré voir leur auditoire en ligne grandir au cours des dernières années, particulièrement lorsque deux de leurs chansons ont été ajoutées à la liste d’écoute Folk and Friends sur Spotify. En date de juin 2019, leur simple « Laser Beam » a déjà cumulé plus de 195 000 écoutes. « C’est fou, dit Coaker, car nous n’avions aucune attente. Le pouvoir d’Internet nous a totalement épatés. »

Coaker et Rodden-Clarke travaillent actuellement sur leur prochain album et ils s’empressent de souligner que toute cette attention ne leur monte pas à la tête. Ils se disent plutôt reconnaissants pour chaque opportunité qui se présente à eux afin de partager leur musique, que ce soit à Terre-Neuve ou ailleurs.

« Nous allons nous en tenir à notre parcours, pour le moment, et prendre les choses comme elles viennent », affirme Rodden-Clarke. « Je ne vois simplement pas pourquoi nous ne ferions pas encore dans 10 ans ce que nous faisons maintenant. Tant que les gens aiment vraiment ce qu’on fait, on aime encore plus notre métier. »



Soyons honnêtes : si ce n’était pas des sons de scie coupant des os, de corneilles qui craillent ou de porte qui grincent, les films d’horreur seraient beaucoup moins horrifiants.

Mais grâce à de brillants compositeurs à l’image équipés de tout un arsenal d’outils, de techniques et d’astuces, ces paysages sonores terrifiants nous font trembler de peur dans nos fauteuils au cinéma.

Le Torontois Mark Korven, compositeur pour des films d’horreur depuis la fin des années 90, a développé un outil pour susciter ce genre de réactions qui n’utilise pas tous ces gadgets technologiques typiques des studios d’enregistrement. En collaboration avec le luthier torontois Tony Duggan-Smith, il a créé The Apprehension Engine, une invention canadienne qui a bouleversé notre conscience collective il y a deux ans lorsque Korven a publié sur YouTube une vidéo faisant étalage des possibilités offertes par son instrument.

La vidéo a été visionnée plus de sept millions de fois et Korven explique que Duggan-Smith « a reçu un nombre important de demandes pour construire un exemplaire de l’appareil, dont certaines par de grands noms que nous ne sommes pas en mesure de divulguer ». Il affirme cependant que cet instrument unique, qualifié par le célèbre musicien Brian Eno du « plus terrifiant instrument de musique de tous les temps », coûte 10 000 $ US et que dix exemplaires ont trouvé preneur à ce jour.

« Je voulais créer un instrument qui me permette de créer des paysages sonores horrifiants », explique Korven. « Je voulais m’éloigner des échantillons et des effets sonores, et je voulais que ce soit un instrument acoustique. Mais une fois que j’ai mis la main dessus, je n’ai pas pu résister à la tentation d’y brancher des modules d’effet pour avoir encore plus de possibilités », dit-il en rigolant.

Le musicien explique qu’après avoir conceptualisé son Apprehension Engine, il l’a schématisé et a demandé à Duggan-Smith de le construire en deux semaines. « Je lui ai dit que je voulais un “reverb” à ressorts, une vielle à roue et un “e-bow” [un archet électronique pour la guitare], car j’adore utiliser cet outil. Il a adoré l’idée. Il m’a dit, “enfin une pause de construire guitare après guitare !” »

Korven affirme ne jamais avoir peur des sons sinistres que produit son instrument. « Je compose beaucoup de musique de films d’horreur, et c’est devenu relaxant, presque cathartique. C’est une peu comme ressentir une tension interne et pouvoir l’exprimer à travers la musique afin de l’extérioriser. »

« Je veux pouvoir produire des sons monstrueux. »

Et Korven a une réponse toute prête pour répondre aux puristes qui remettent en question le fait que l’Apprehension Engine est un instrument de musique ou pas, voire que les sons qu’il produit sont vraiment de la « musique ». « Ma définition de la musique est un son qui a un impact émotif », laisse-t-il tomber. « Et à l’opposé, de la “muzak” générique et sans personnalité, pour moi, ça n’est pas de la musique. »

Korven convient d’emblée que l’Apprehension Engine n’est pas un instrument au sens traditionnel du terme, puisque « c’est difficile de jouer quoi que ce soit de mélodique ou d’harmonique au sens traditionnel du terme, mais ces restrictions sont créativement libératrices. C’est un peu comme une boîte de bruitage ; ça n’est pas un tout cohérent, mais les possibilités sont sans fin. »

Korven explique que lorsqu’il reçoit une commande pour la trame sonore d’un film d’horreur, il « expérimente. Quand je m’assois devant l’Apprehension Engine, je ne pense pas en termes de notes et d’harmonies. Je me demande plutôt comment je peux tenir le e-bow différemment ou comment je peux toucher un des éléments de manière à créer un son que je n’ai jamais créé auparavant. »

Il décrit ainsi sa signature sonore : « c’est ma folie sonore très unique qui est funky et crottée. » Il affirme qu’en tant que compositeur à l’image, « on peut passer une carrière entière à faire exactement ce que les réalisateurs nous demandent, mais j’ai toute la liberté du monde de créer ce que j’ai envie de créer. Et ce que je veux par-dessus tout, c’est d’être libre, je veux pouvoir créer des sons monstrueux. »



Que faut-il pour sortir de l’enfance? Chanter comme un adulte? Aborder la vie avec le regard et les mots des grands? Il faudrait demander à Nicolas Gémus qui du haut de ses vingt-deux ans joue de la musique d’expériences comme s’il avait quelques existences derrière la cravate. Il est dans la fleur de l’âge, mais il est plus que ça… il la cultive, cette fleur et elle est déjà très grande.

« Quand j’ai écrit la première chanson de l’album, j’avais 15 ans, lance Nicolas au sujet de Hiboux, son premier disque paru à La Tribu en juin. Puis, c’est à l’École de la chanson (de Granby), en 2016, que j’ai trouvé mon style d’écriture. » C’est seulement ensuite qu’il a fallu débroussailler tout ça et sélectionner le meilleur de tous les brouillons, un travail qui fut facilité par le réalisateur Stéphane Rancourt.

La légèreté de la jeunesse a quitté ses pensées et sa plume depuis quelque temps. L’insouciance glissant vers une conscience du réel plus éprouvante. « Au Camp en chanson de Petite-Vallée, j’avais écrit Girouette, assez légère, et ensuite est venue une charge émotive, se rappelle-t-il. J’ai eu des années assez difficiles au point de vue personnel. Il m’est venu un désir d’authenticité dans ce que je livre. Aller au bout de chaque chanson me permettait de faire le point sur ma vie et de repartir à neuf. »

À l’École nationale de la chanson, Mario Chénard et Frédéric Baron ont permis à Nicolas de se forger une plume solide. « Mario m’avait dit de faire des refrains qui avançaient, donc qui demeurent les mêmes, mais avec quelques mots qui changent. Ça m’a permis d’écrire Bunker de tes bras (Prix chanson coup de cœur SOCAN au Festival de Granby en 2017), raconte Nicolas. L’école mettait vraiment l’accent sur le fait de nous aider à trouver nos personnalités artistiques. »

La ligne directrice, le guide, la continuité, c’est une préoccupation forte de l’auteur-compositeur, mais « j’ai eu de la chance. Tire le coyote et Jonathan Harnois sont arrivés dans ma vie comme des mentors. »

Tire le coyote était l’invité d’honneur à la toute fin de son année à l’école de la chanson et il a pu jouer en sa présence. « Il m’avait parlé de ma chanson Derrière le bruit. Quand j’ai sorti Bunker de tes bras, il m’a présenté à La Tribu. Il s’est ensuite proposé pour le coaching d’écriture », relate le jeune homme.

L’auteur Jonathan Harnois qui est romancier, mais qui a également travaillé avec Dumas, entre autres, est intervenu par la suite pour « débloquer » des textes qui posaient problème. « C’est une belle bulle de création à laquelle j’ai eu droit, soutient le jeune auteur. Benoit (Tire le coyote) est très constructif sans être sévère et Jonathan a une sensibilité très complémentaire à la mienne. »

Dans un marché musical qu’il juge saturé, Nicolas Gémus compte sur son  authenticité pour percer les méandres de l’intérêt du public. « Il faut que j’envoie quelque chose qui est proche de moi, dit le Madelinot. L’album, c’est moi. J’ai donné ce que j’avais à donner. »

Même s’il amorce tout juste la vingtaine, Nicolas voulait éviter de se laisser mouvoir artistiquement par une certaine immaturité. « On me dit que j’aborde des thématiques bizarrement pour mon âge », dit-il en riant.

Il a en effet tout mis en œuvre pour quitter l’aspect juvénile de ses premières esquisses et voyager vers un propos qui pourrait durer dans le temps. « Ça m’a pris un bout avant d’arriver à un point où ce n’était pas juste d’écrire des chansons, c’était de savoir ce que je voulais dire, se souvient l’artiste. Mon propos est devenu chargé de sens. »

Ce que les critiques en disent
* « La qualité qui se dégage des 10 chansons de Hiboux nous donne l’impression que Gémus sera dans le paysage musical québécois pour longtemps. » – ICI  Musique
* « Un ensemble d’une cohérence surprenante, qui puise ses racines dans le folk mélodique des années 70 souvent teinté d’une facture orchestrale… et enrichi d’une poésie introspective à l’élégance naturelle, peaufinée à souhait. » – La Voix de l’Est

Depuis, ses chansons sont des impulsions. « La pièce va naître d’un coup, avec un couplet ou un refrain et je vais prendre du recul, trouver l’âme de la chanson. Et c’est le processus tortueux de terminer la chanson qui commence…, plaisante-t-il. L’amour et la peur m’est venue en trois heures alors que, la plupart du temps, ça me prend trois heures pour écrire une phrase. »

Il aime néanmoins se laisser surprendre par ce qui a envie d’émerger lorsqu’il est au repos. « C’est un peu tôt pour dire ce que je voudrais devenir, mais je suis un fan de folk des années 70. J’aime les jeux de guitare précis et les mots de Daniel Bélanger et Richard Desjardins aussi. Maintenant que mon album est sorti, c’est l’accalmie, pour moi. Je vais faire des premières parties, tourner un peu, mais je suis en mode post-tempête. »

La rigueur et l’intégrité sont gage de longévité pour l’auteur-compositeur-interprète et il croit que « ça se peut encore », une carrière qui dure toute la vie. « Chaque album sera un défi et on me dit que le deuxième est le plus dur, mais je pense qu’en termes de s’imposer des difficultés, j’ai déjà plafonné », assure le perfectionniste.