Le moins qu’on puisse dire, c’est que 2016 n’a pas été tendre envers les musiciens de l’ère classique du rock. Nous sommes tous endeuillés du départ de David Bowie et du cofondateur des Eagles, Glenn Frey. À leur façon bien particulière, ils ont défini et capturé la zeitgeist des années 70, bien mieux que bon nombre de leurs pairs.

Lorsque l’on pense à cette époque, on pense immédiatement à des albums élaborés, des tournées monstre, des groupes jet set et les légendaires excès des icônes du rock n’ roll. À l’époque, les grandes maisons de disques investissaient beaucoup dans le développement des artistes de leurs écuries. Les gros vendeurs finançaient les coûts du développement des artistes en émergence présentant un potentiel prometteur. Pour ces artistes, c’étaient les « Golden Years » dont parlait Bowie?; des années bénies, un âge d’or.

I’ll stick with you baby for a thousand years
Nothing’s gonna touch you in these golden years

(Je resterai à tes côtés pour un millier d’années
Rien ne pourra t’atteindre pendant ces années bénies
)

La chanson n’est toutefois plus la même de nos jours. Le développement d’artistes semble aujourd’hui une notion désuète. Les artistes mis sous contrat par un major et qui ne réussissent pas un coup de circuit à leur première présence au bâton n’ont pas souvent une deuxième chance.

Constatant tous que le paysage de l’industrie avait considérablement changé, trois vétérans de l’industrie canadienne de la musique ont commencé à réfléchir sur la façon dont ils pourraient faire plus pour aider les artistes. Eric Lawrence et Rob Lanni sont imprésarios depuis la fin des années 80 et sont les cofondateurs et copropriétaires de Coalition Music, une entreprise de gérance d’artistes. Coalition représente des artistes tels que Simple Plan, USS, Our Lady Peace, Finger Eleven, Andee et The Balconies.

« Que pouvons-nous faire pour donner une chance à ces artistes de recevoir de l’aide pour leur développement?? » – Vel Omazic, Canada’s Music Incubator

Le troisième homme, c’est Vel Omazic. Il était cadre chez Sony Music depuis environ 10 ans et avait quitté l’industrie de la musique depuis un certain temps lorsque Lawrence et Lanni ont communiqué avec lui.

« C’était évident pour chacun de nous que les majors avaient réduit leur taille et avaient fusionné, ce qui signifie que les ressources qu’elles investissaient pour découvrir et développer de nouveaux talents n’étaient plus les mêmes », explique Omazic. « Pourtant, il y a autant de talents qu’avant qui ne demande qu’à être découvert par ces compagnies et nous nous sommes dits, “que pouvons-nous faire pour donner une chance à ces artistes de recevoir de l’aide pour leur développement??” »

C’est de cette réflexion qu’est née l’idée du Canada’s Music Incubator, dont Omazic est devenu le directeur général. Le Canada’s Music Incubator (CMI) est l’un des trois programmes d’incubation offerts par le CMI – les deux autres sont Tour & Tech et Gérance d’artiste – qui réunissent les participants au siège social de Coalition Music, à l’intersection des rues Victoria Park et Lawrence, à Toronto. Une fois sur place, ils peuvent interagir et apprendre d’une foule d’experts chevronnés de l’industrie de la musique sur des sujets tels que le marketing, la gestion, la promotion, la publicité, les médias sociaux, le financement, les tournées, le cadre juridique, la comptabilité, l’édition, le « booking », l’acquisition de talent, la direction musicale, l’ingénierie sonore, la création, la radio, les organisations de droits d’exécution, les organismes de financement, et bien plus encore.

Le programme dure 10 semaines et est offert deux fois par an, en février en août. Les participants se rendent sur place de 10 h à 16 h, du mardi au vendredi. Tous les genres musicaux sont les bienvenus et les participants viennent d’aussi loin que Whitehorse et Terre-Neuve. Parmi les « finissants » du programme, on pense notamment à Ben Caplan and The Fortunate Ones.

Bien que le CMI soit sans but lucratif, il y a tout de même des frais d’inscription de 7500 $, mais chaque participant est automatiquement admissible à des bourses pouvant totaliser 5000 $ offertes per les commanditaires et mécènes de l’organisation. Aucun artiste n’a jamais eu à débourser la totalité des frais et plusieurs ont été commandités en totalité.

L’objectif de ces frais, explique Omazic, est d’attirer des artistes sérieux. « Ça peut paraître cliché, mais nous désirons attirer des artistes qui sont investis dans leur carrière. » « Nous voulons des gens qui font déjà carrière, pour qui c’est une entreprise. Nous sommes à la recherche de gens qui font déjà des tournées et qui lancent des albums ou des simples. »

Omazic s’empresse d’ailleurs de préciser que le programme ne prend pas la forme d’un curriculum académique. On est loin du School of Rock de Jack Black arborant toge et mortier.

« Nous avons choisi d’utiliser le modèle de l’incubateur, plus précisément de l’incubateur de petites entreprises », explique Omazic. « Nous aidons des entreprises en démarrage à prendre leur envol en leur offrant une vision, une direction, en les guidant et en les motivant. Vous venez chez nous pour travailler et faire avancer votre carrière. »

« Nous mettons beaucoup l’accent sur l’importance des œuvres musicales. Nous pouvons les aider à mettre leur entremise sur pied, mais en fin de compte, tout ça ne sert à rien s’il n’ont pas investi dans leur métier et créé des œuvres qui vont les aider à faire progresser cette carrière. C’est leur musique qui est le moteur de tout le reste. »

Andee, une artiste sous contrat chez Universal Music est animée par la chanson depuis son plus jeune âge. Originaire de Saint-Jean-Chrysostome, au sud de Québec, la jeune auteure-compositrice-interprète pop a explosé sur la scène musicale en 2012 après avoir été finaliste à la très populaire téléréalité Star Académie.

Sous les conseils de son imprésario, elle s’est installée à Toronto en 2014 afin de participer au programme Artiste Entrepreneur du CMI. Elle a entrepris la formation en février de la même année, alors même qu’elle négociait sa mise sous contrat chez Universal Music.

« Ça m’a vraiment aidé à prendre certaines décisions très importantes pour ma carrière, surtout que j’étais sur le point de signer avec un major », raconte Andee. « Je ne connaissais rien des maisons de disques et ils m’ont aidé à comprendre comment les choses allaient se dérouler et quelles seraient mes responsabilités dans tout ça. »

Depuis, elle fait tout ce qu’elle peut pour demeurer en contrôle de tous les aspects commerciaux de sa jeune carrière, notamment en travaillant avec un comptable et en établissant un budget. « Disons que ce n’était pas ma principale force », lance-t-elle en riant. « Faire la rencontre de tous ces professionnels de l’industrie de la musique m’a grandement aidé à organiser mes affaires en plus de me donner énormément de confiance. Même si vous n’aimez pas le côté commercial et financier de votre carrière, c’est quelque chose que vous ne pouvez pas ignorer. Vous devez devenir votre propre patron. Si vous souhaitez réellement faire carrière dans l’industrie de la musique, vous n’avez pas le choix de connaître toutes ces choses. »

Quant à l’orientation future du programme, M. Omazic nous a confié qu’une des choses que le CMI entend mettre sur pied cette année, bien que l’annonce officielle n’ait pas encore été faite, est un système qui permettra aux artistes d’obtenir du financement pour réaliser des enregistrements de la plus haute qualité afin de rivaliser avec ce qui se fait de mieux sur le marché. Il entrevoit également l’évolution du programme grâce à de nouvelles initiatives venant en aide aux artistes en ce qui a trait au marketing et à la promotion.

Pour M. Omazic, le succès des artistes qui passent par son programme ne se mesure pas nécessairement au jalon des certifications Platin ou de premières positions au palmarès Billboard.

« Notre objectif à long terme est de développer des carrières et des entreprises durables », dit-il. « Quand nous les rencontrons, nous leur demandons ce qu’ils espèrent accomplir. Quel est leur but ultime. Neuf fois sur 10, la réponse est “Je veux gagner ma vie en faisant ce que j’aime : créer, jouer et donner des spectacles avec ma musique.” C’est ça, notre véritable objectif : les aider à atteindre ce but ultime. »

L’âge d’or est derrière nous. De nos jours, qu’il soit question de développer ou de mettre en marché leur talent, ou encore de s’y retrouver parmi toutes les sources de revenus qui s’offrent à leurs créations, les artistes doivent s’impliquer totalement dans leur carrière. Il y a fort à parier qu’équipés des connaissances acquises dans le cadre du programme Artiste Entrepreneur du CMI, les créateurs de musique actuels seront mieux armés pour trouver la meilleure voie possible dans l’écosystème musical actuel.

« C’est très différent de nos jours », confie Andee. « Mais quand vous savez ce que vous faites, où va votre argent, d’où vient votre argent, ça vous donne énormément confiance et ça vous accorde beaucoup de liberté dans ce que vous faites, car vous êtes totalement en contrôle. Je crois que c’est indispensable, de nos jours. »

Et qui réussira, à long terme?? C’est l’avenir qui nous le dira. Heureusement, grâce à Canada’s Music Incubator, les artistes en émergence aujourd’hui peuvent apprendre tout ce qu’ils ont besoin de savoir pour se rendre au bout de leur rêve.