Quand le compositeur à l’image, auteur-compositeur et producteur Hamish Thomson a eu six ans, son père — un joueur de cornemuse chevronné de Powell River, en Colombie-Britannique — l’a inscrit comme batteur dans le corps de cornemuses et tambours local. Bien qu’il était si petit qu’il parvenait à peine à soulever son tambour, Thomson est tombé en amour. « C’est là qu’a commencé ma carrière musicale », se souvient-il.

Cependant, malgré son amour pour la musique, Thomson avait du mal à lire les notes qu’il était censé jouer. Lorsqu’il a été diagnostiqué dyslexique et synesthésique (une condition qui lui permet de voir la musique comme une couleur), les premiers professeurs de Thomson l’ont encouragé à sentir la musique plutôt que de se fixer sur les notes. « En prenant mon temps, je pouvais presque voir les notes comme un tableau », explique-t-il.

Mais même après avoir terminé ses études de musique, formé un trio de tournée, Big Tall Garden, à Vancouver, et signé un contrat avec Nettwerk Records en tant qu’artiste électronique solo sous le nom de The Hermit, Thomson a continué à être confronté au syndrome de l’imposteur, craignant d’être « exposé » parce qu’il ne savait pas lire la musique. Au lieu de cela, l’équipe de Nettwerk lui a demandé la direction qu’il envisageait pour sa carrière. Bien qu’il ne fût encore qu’à la mi-vingtaine, Thomson a été surpris par la clarté de sa vision : il voulait être compositeur à l’image.

Avec le temps, il a commencé à intégrer des visuels, invitant son public à « voir et sentir la musique, et à les laisser entrer un peu dans mon cerveau ». Finalement, alors que sa musique commençait à décrocher des placements dans des films, Thomson a quitté son emploi et s’est consacré entièrement à la création de musiques prêtes à être licenciées ainsi qu’à la production de musique dans son studio de Vancouver en plus de ses engagements comme musicien de studio.

« Il y a des fois où je ne voyais rien tellement j’avais les yeux pleins d’eau »

Sa première occasion de composer pour l’écran s’est présentée lorsqu’un ami réalisateur a demandé à Thomson de composer la musique de son long métrage indépendant, Grand Unified Theory, (2016). « J’avais les mains moites », dit-il en riant. « Je me souviens avoir pensé que je n’étais pas encore prêt. » Mais Thomson a néanmoins relevé le défi et il a utilisé sa synesthésie pour composer en utilisant des couleurs qui s’agençaient bien à chaque chapitre du film. « Ça m’a permis d’apprendre à faire confiance au processus et à moi-même », dit-il.

Peu de temps après, Thomson a rencontré le réalisateur Martin Wood qui se préparait à tourner plusieurs épisodes de la dramatique Chesapeake Shores pour le compte du Hallmark Channel. Sans en parler à Thomson, Wood a suggéré au diffuseur de lui confier le contrat de composition pour la série et la réponse fut positive.

Malheureusement, la journée avant d’apprendre qu’il avait eu le contrat, Thomson a reçu la pire nouvelle de sa vie : son fils de 14 ans, Lachlan, s’était enlevé la vie. Malgré tout, Thomson était en studio deux semaines plus tard, canalisant sa peine dans le processus de création.

« Il y a des fois où je ne voyais rien tellement j’avais les yeux pleins d’eau », confie-t-il. « Mais dès que j’appuyais sur “Play”, je ne sais pas ce qui se produisait, mais la musique jaillissait de moi. » Il a depuis lors composé la musique de plus de 40 épisodes télévisés et films, dont une production originale de Netflix en 2020 intitulée Operation Christmas Drop pour laquelle il devait notamment créer une partition originale pour orchestre.

Lorsque le travail a ralenti au début de la pandémie COVID-19, Thomson a enfin pu faire le point sur ce qu’il avait vécu au cours des cinq dernières années. C’est là qu’il a réalisé un profond désir de recommencer à faire de la musique pour lui-même.

« Après la mort de Lachlan, j’ai ressenti le besoin d’écrire des paroles et de chanter », dit-il, reconnaissant qu’il ne s’était pas senti assez vulnérable pour le faire dans le passé. Le résultat est un nouveau EP de six chansons, Gone Gone Gone, qui voit Thomson explorer son côté obscur et trouver sa propre voix d’une nouvelle manière.

« Ç’a rallumé la flamme en moi », dit-il. « Quel cadeau d’avoir ces opportunités de faire des musiques de film et aussi d’écrire à nouveau des chansons, de faire ce genre de création. C’est très riche de pouvoir toucher à tout ça, de voir tous mes amours réunis. »



Nous sommes à la mi-janvier 2021 et l’auteure-compositrice-interprète professionnelle Lowell est aux prises avec une pièce qu’elle a de la difficulté à compléter. « Ça fait environ trois ans que je me débats avec cette chanson », dit-elle. « Je sais que c’est un “hit”, mais c’est tout ce que je sais. Je l’ai écrite et réécrite au moins une trentaine de fois avec des accords différents, des “beats” différents, et des approches différentes quant au concept. Je me cogne la tête sur le mur, mais je ne l’abandonne pas parce que je sais qu’elle va me rendre riche, un jour. On s’en reparle en 2030 », dit-elle à la blague.

C’est ce genre de casse-tête à la base même du processus de création musicale qui motive la musicienne qui partage son temps entre Toronto et Los Angeles. Elle a commencé à jouer du piano à trois ans et c’est à 14 ans, dans la foulée de la mort subite d’une amie proche, que Lowell s’est tournée vers l’écriture de chansons comme exutoire pour sa peine. « Très rapidement, j’ai appris que l’écriture de chansons était pour moi un outil qui me permet de gérer mes émotions et toute la solitude que j’ai ressenties à l’adolescence », dit-elle.

À peine sortie de cette adolescence aujourd’hui, elle a déjà collaboré avec des artistes comme Demi Lovato, Charlie Puth et bülow avec qui, en compagnie de cinq autres créateurs, elle a écrit « This Is Not a Love Song » qui a remporté un prix SOCAN de musique pop en 2019. Ses propres simples très directs — « Lemonade » et « God Is a Fascist » ont également eu un impact indéniable dans la foulée de son « hit » sur CBC Music, en 2014, intitulé « The Bells ». Lowell nous explique que les deux chansons ont été écrites durant une période particulièrement difficile.

« J’étais définitivement à un point de rupture quand j’ai écrit ces chansons », explique-t-elle. « Je voyageais entre L.A. et Toronto toutes les deux semaines pendant environ un an ; j’écrivais sans arrêt, mais j’avais l’impression que ça ne menait à rien. J’avais juste envie de rentrer à la maison, mais je savais que j’y étais presque, il suffisait que je persévère un, deux ou trois mois et j’allais atteindre mon but. »

« Il y a quelques phrases qui disent tout, à mon avis : Don’t know why I still make music/Why I gave you up to pursue it/Still the same shit still hollow/Still saving up for that condo (librement : Je ne sais pas pourquoi je fais encore de la musique/Pour laquelle je t’ai laissé tomber afin de continuer/Encore la même merde, le même vide/Encore en train d’économiser pour acheter un condo). Je n’ai aucunement la prétention de dire que j’ai réussi, mais je suis quand même heureuse de pouvoir dire que je n’ai plus besoin d’économiser pour ce condo. »

Aujourd’hui, le processus d’écriture est une motivation en soi. De la préparation à l’instrumentation, Lowell traite chaque chanson en fonction de ce dont celle-ci a besoin.

« Mon processus n’est pas super organisé », dit-elle. « J’ai écrit plein de chansons de plein de façons différentes. Je cherche constamment l’inspiration dans tout ce qui m’entoure, des films, des livres, des engueulades avec mon partenaire, mes amies ou encore les engueulades de mes amies avec leurs partenaires ou leurs amies. Quand je finis par trouver un bon filon, j’ai déjà oublié comment j’y suis arrivée, alors je cherche constamment de nouvelles approches. »

« J’ai bien entendu des mémos vocaux incroyables que j’ai enregistrés en plein milieu de la nuit quand une chanson m’est venue dans un rêve. Ils se terminent généralement avec moi qui me rendors et ronfle », confie-t-elle avec amusement. « Quant aux instruments ou aux endroits où j’écris chez moi, j’essaie de ne pas passer trop de temps sur le même instrument. L’inspiration vient du changement, pour moi, alors j’essaie de changer de pièce, je sors faire une marche et j’essaie un synthé différent quand je rentre. Mes meilleures chansons viennent de mon subconscient, alors j’essaie de ne pas avoir une routine trop… routinière. »

Mais en fin de compte pour Lowell, les collaborations sont cruciales à sa croissance. « La collaboration est un outil indispensable quand on veut devenir auteur-compositeur », affirme-t-elle. « Je ne dis pas qu’il faut constamment écrire avec d’autres — c’est même utile d’écrire en solo — mais je ne connais pas beaucoup de créateurs à succès qui ne coécrivent pas avec d’autres. Il ne faut pas oublier qu’on écrit pour la masse. Comment peut-on arriver à écrire pour la masse si on a qu’un seul point de vue ? »

Cinq trucs du métier

  1. « “Si le squelette est solide, le reste n’a pas d’importance”, alors commencez avec le “hook”. (Je remercie [le regretté] busbee pour ce dicton.) »
  2. « Ne fixe pas la page blanche trop longtemps. Ton subconscient est vraiment très utile quand t’écris, alors aussitôt que tu as un titre ou un concept, attrapes un micro et laisses toi aller pour voir ce qui va sortir. »
  3. « Je passe beaucoup de temps à étudier et analyser les “hits”. Je trouve ça très utile de voir ce qui marche et ce qui ne marche pas de manière très générale. Ce n’est pas une science exacte, mais il y a définitivement des outils qu’on peut apprendre afin de nous guider et d’améliorer la “hit-titude” de nos “hooks” quand on tourne en rond. »
  4. « Celui-ci est très important : essaie de ne pas être trop déprimant ! Je suis l’une des personnes qui se dévalorisent et se détestent le plus, mais je sais que je ne suis pas seule. C’est facile d’en venir à se détester soi-même quand tout le monde annonce ses réussites en ligne. En vérité, j’écris au mieux une bonne chanson par mois. C’est normal d’être pourri de temps en temps, et ça ne veut pas dire que tu est pourrie en tant que personne. »
  5. « Il est vrai que les bonnes idées ont plus de chances de plus la pièce est grande. J’essaie toujours de ne pas enterrer une idée de chanson avant de l’avoir jouée devant quelques membres de mon équipe. »


Jérôme Beaulieu était extatique devant mon écran d’ordinateur. Gilles Peterson, instigateur du mouvement acid-jazz au début des années 90 et fondateur du label Talkin’ Loud venait de jouer la toute nouvelle pièce Mad qu’on retrouve sur Partager l’ambulance (Bonsound) à son émission sur BBC Radio 6.

Misc« Ça a toujours été clair dans ma tête, confie le pianiste, que l’aventure Misc ne pouvait pas se résumer qu’au Québec. On fait de la musique de niche, instrumentale, donc il faut que ton marché soit mondial pour que tu puisses y espérer en vivre un jour. De la visibilité, nous en avons eu avec la  Révélation Radio-Canada Jazz 2013-2014 (alors que le groupe s’appelait Trio Jérôme Beaulieu) ce qui a permis de rafler la tournée des salles. Mais ce n’est pas assez. On développe du côté de la France et de la Grande-Bretagne, qui sont friands de notre style de musique ».

Faut dire que les trois teasers mis sur YouTube en amont de la sortie de Partager l’ambulance (Mad, Le Preacher et Superman se pointera pas) ont de quoi intriguer. Des courts clips d’animation qui semblent évoquer la crise globale et anxiogène que cherche à évoquer Misc avec ce radeau symbolique qui porte une ambulance et flotte sur les nuages à l’aide d’un parachute de fortune…une idée de l’illustrateur Christophe B. De Muri.

« Réinventer le trio jazz, c’est dans l’air du temps. Ça reflète aussi notre façon de consommer la musique qui est rendue tellement éclectique, les styles sont de moins en moins définissables de toute façon. Avoir toute la musique au bout d’un clic ça peut devenir étourdissant ».

Depuis la parution du premier Misc en 2016 et du Misctape Vol.1 lancé en 2017, le trio a vécu deux changements de bassiste, l’un d’eux est même devenu ostéopathe. L’avenir du trio de Jérôme Beaulieu était un peu incertain. « Je n’ai pas de plan B. Et il n’y en aura pas ! »

Coup de chance : Maurin Auxéméry du Festival international de jazz de Montréal avait un défi à leur lancer en 2017 : revisiter la musique d’un artiste qui nous inspire le temps d’un concert. L’album éponyme de l’artiste britannique James Blake et ses univers électros introspectifs paru en 2011 fut choisi par le trio.

« Une musique sans points de repère pour un trio jazz, précise-t-il. Mais c’est tellement trituré et traité électroniquement, on s’est dit : mon Dieu ! C’est donc ben trippant, il n’y a pas de références sonores claires. Ce show-là a été l’occasion pour nous d’intégrer une toute nouvelle palette sonore et l’adapter au son organique du trio. Ses références sonores nous ont sortis de notre univers tout en restant nous-mêmes ».

Partager l’ambulance est directement inspiré de cet hommage à Blake de par son innovation. Fortement influencés par (feu) Esbjörn Svensson Trio (EST), défricheur suédois du piano en trio, Beaulieu, le batteur William Côté et le bassiste Simon Pagé se sont enfermés dans leur studio, sorte de Batcave de tous les possibles.

« On a ajouté une palette d’effets sonores. Notre modus operandi est que tout dans notre musique doit être tweakable (manipulable). On ne veut surtout pas être prisonnier d’une séquence qui se prolonge, faut que l’interaction à la base du jazz demeure. Il y a toutes sortes de trucs. Pour ma part, je mis un micro piezo (conçu pour les guitares) dans le piano qui est voué à passer dans des pédales d’effets, puis j’ai une pédale de volume que j’utilise en temps réel pour le contrôle du mix entre le piano et l’électro pour le bon dosage sonore ».

Lorsque vrombit le piano, on se sent comme collé au plafond. La vigoureuse section rythmique suit ses dérapages et les mélodies sur Partager l’Ambulance sont hors du temps et des modes. Enfin quelque chose qui s’éloigne de l’omniprésent courant de trios jazz actuel. Misc ne se contente pas de prendre le train en marche. Voilà un album qui agresse de manière tout à fait décomplexée.

« Au moment où on l’a enregistré en 2019, nous n’avions bien sûr aucune idée qu’une pandémie s’en venait. C’est plutôt les bulletins de nouvelles qui nous ont fait prendre conscience de l’urgence d’agir, au niveau environnemental surtout ».

Le trio vient incontestablement de franchir un palier, celui du charme de l’équilibre précaire sans pour autant se couper de son passé. Misc semble apte à tailler du jazz de création au mètre. Et vous savez quoi ? C’est sûrement aussi prenant en concert que sur disque. Vivement le rapprochement physique !