Imaginez un bungalow dans une banlieue. À l’intérieur, quatre « dudes » d’âge collégial sont assemblés autour d’équipement à petit budget. Ils chantent et jouent de la musique avec l’abandon de la jeunesse et sans aucune idée où tout cela les mènera. Dix-sept ans plus tard, le parcours du groupe indie pop Jane’s Party est toujours aussi grand ouvert. Mais surtout, malgré toutes ces années sur la route pour jouer autant dans des bars miteux que dans des salles aux sièges capitonnés et des milliers de kilomètres sur la Transcanadienne, les membres du groupe sont encore de bons amis. Ils aiment encore écrire et jouer de la musique ensemble, mais, pour ce qui est de s’entasser dans une fourgonnette pour partir en tournée pendant de longues semaines, on repassera.

« J’adore jouer en spectacle, mais je ne serais plus capable de partir en tournée sans arrêt… Je pense que ça me tuerait », confie le bassiste du groupe, Devon Richardson.

Jane's Party, Daydream, video

Cliquez sur l’image pour démarrer la vidéo de la chanson Daydream de Jane’s Party sur YouTube

Quand Words & Music a joint Richardson, il venait de rentrer d’une promenade avec son chien. Pendant qu’il discute avec nous via Zoom depuis son studio maison en ce début d’automne, il bidouille avec une guitare acoustique; les outils de son métier sont toujours à portée de main. Ce sont ces outils et des succès « viraux » qui ont permis aux quatre musiciens – Richardson, Zach Sutton à la batterie, Jeff Giles aux claviers, à la guitare et au chant, et Tom Ionescu à la guitare et au chant – de gagner de nouveaux fans, de nouvelles sources de revenus et une raison de plus de croire que Jane’s Party peut avoir une carrière durable dans l’industrie de la musique sans tournées en faisant leurs chansons travailler pour eux.

Depuis leur première parution indépendante à petit budget en 2009 (The Garage Sessions), ces compères ont fait une tournée en Europe en première partie de Tom Odell et lancé six albums en plus de connaître un succès viral avec leur chanson « Daydream » qui a cumulé plus de 40 millions de « streams » après avoir été en vedette dans l’immensément populaire jeu vidéo Fortnite.

Par les temps qui courent, entre des contrats de synchro à l’échelle mondiale, Jane’s Party se transforme en groupe de billetterie plutôt qu’en groupe de tournée, c’est-à-dire qu’il donne des spectacles ponctuels plus importants à travers le Canada plutôt que de faire des tournées nationales. Les membres du groupe ont également adopté une approche plus stratégique après avoir mis en pratique des conseils que leur a prodigués Torquil Campbell du groupe Stars il y a plusieurs années.

« Torquil nous a expliqué que les membres de Stars ont toujours traité leur groupe comme le magasin du coin », se souvient Richardson. « Certaines personnes entrent dans ton magasin et achètent ce que tu as à vendre, d’autres passent tout droit. N’oubliez jamais que vous n’êtes pas un mégacentre d’achats, t’es juste un magasin du coin et, si tout va bien, assez de gens vont aimer ce que tu as à vendre! »

Être en synchro

Jane’s Party est un exemple parfait de ce qu’un groupe canadien indépendant peut accomplir. La pandémie, comme elle l’a fait pour bien des gens, a poussé deux des membres du groupe à quitter Toronto, la ville où ils ont tous toujours vécu. Zach Sutton et sa famille se sont installés à Los Angeles tandis que Jeff Giles est parti dans l’autre direction pour jeter l’ancre à Saint-Jean de Terre-Neuve.

Le départ de Sutton a poussé le groupe à trouver une façon de faire travailler son catalogue de chanson. Quand le batteur s’est installé à L.A., il a consacré beaucoup d’efforts à réseauter afin de trouver des agences de synchro qui pourraient placer les chansons du groupe. La DropBox pleine de chansons qui « dormaient » sur un nuage représentait, sans que le groupe s’en rende compte, une importante source de revenus inexploitée.

« On a commencé à y téléverser des démos et des chansons inédites pour les envoyer à des bibliothèques de synchro », explique Richardson. « Tout d’un coup, un de nos morceaux qui dormait dans le cyberespace a fait l’objet d’une micro-synchro », c’est-à-dire une demande de permission pour utiliser uniquement une partie d’une chanson. « Au début, c’était juste quelques centaines de dollars, mais après un certain temps, y’avait pas mal de chèques qui entraient et on a compris le potentiel qu’il y avait là. »

Jane’s Party a également la chance de pouvoir compter sur trois auteurs-compositeurs talentueux qui font que le groupe ne manque jamais de nouveau matériel. Aujourd’hui, leurs compositions ont été placées dans des séries télé comme Saving Hope, Burden of Truth et Kim’s Convenience et le groupe a également reçu des commandes des compositions sur mesure pour des balados populaires. Ils ont même reçu une demande d’un fan pour réarranger une chanson de Disturbed afin d’en faire la première danse à son mariage.

« Cigarette Buzz », extrait de l’album Tunnel Visions (2016), a été synchronisé dans plusieurs publicités, dont une pour Vaseline en Thaïlande, et le groupe a également été chargé de créer une nouvelle chanson thème pour Hockey Night in Canada, une reprise de « Saturday Night » des Bay City Rollers.

Jane’s Party travaille maintenant avec des entreprises comme Songtradr et United Masters qui représentent les chansons du groupe. C’est parfois assez drôle où leurs pièces peuvent se retrouver, comme, par exemple, une synchro à la télé polonaise pour une publicité de médicament anti-diarrhée pour les enfants. « On part cette vidéo sur YouTube et soudainement, tu vois à l’écran un petit garçon qui sort des toilettes en se tenant le ventre, et paf, notre chanson embarque. On était tous… estomaqués! » lance Richardson.

En reprise

Jane's Party, Somebody To Love, video, Jefferson Airplane, cover version

Cliquez sur l’image pour démarrer la vidéo de la reprise de la chanson Somebody to Love de Jefferson Airplane par Jane’s Party sur YouTube

Récemment, Jane’s Party a lancé The Best of Wild in the Woods Vol. 2, un album de 11 reprises et collaborations. Wild in the Woods a commencé sous la forme d’une série de vidéos à petit budget qui servait en même temps de façon de faire de la musique entre amis durant le confinement pandémique. Personne ne s’imaginait que ça connaîtrait un succès viral, mais c’est pourtant ce qui s’est produit avec leur reprise de la chanson « Somebody to Love » de Jefferson Airplane qui met en vedette Skye Wallace. Le succès de la reprise n’est pas étranger au fait que Jefferson Airplane a partagé la vidéo qui cumule à ce jour plus de 150 000 visionnements.

The Best of Wild in the Woods Vol. 2 inclut des réinterprétations de classiques comme « The Best » de Tina Turner – mettant en vedette la chanteuse maintes fois primée Carolina East, du succès n° 1 de Kenny Rogers et Dolly Parton, « Islands in the Stream », mettant en vedette les stars du rap Shad et pHoenix Pagliacci, et la pièce « Stay With Me » de groupe rock classique The Faces, avec Ewan Currie des Sheepdogs comme artiste invité.

De son premier vrai concert il y a près de vingt ans – au légendaire Horseshoe Tavern de Toronto où le groupe partageait l’affiche avec SLAVE to the SQUAREWav – à sa première partie pour Tom Odell (gagnant du Choix de la critique aux Brit Awards) au Massey Hall, en passant par la sortie d’albums de reprises et la diffusion de leurs compositions originales à la télévision, au cinéma et dans des jeux vidéo, Jane’s Party n’est encore qu’au début de son parcours.

« On est là depuis genre 17 ans maintenant et on espère bien être encore là pour au moins les 37 prochaines années! », dit Devon Richardson.