Son deuxième album a failli s’intituler « Ainsi parlait Larry Kidd ». Le rappeur d’Ahuntsic, à Montréal, nous avait déjà habitués à des références littéraires, en « name droppant » Cioran avec désinvolture. Mais il a fini par trouver que la référence à Ainsi parlait Zarathoustra de Friedrich Nietzsche était peut-être lourde; c’est pourquoi il s’est rabattu sur un autre concept emprunté au philosophe allemand, celui du surhomme.

Lary KiddDepuis la parution de l’album en novembre dernier, il s’est défendu de jouer les intellectuels, arguant à juste titre que l’idée du surhomme correspondait aussi à la vantardise extrême propre au rap. « C’est une manière de se placer au-dessus de la mêlée; la vantardise, j’aime ça! », aime-t-il répéter. « Ça fait partie des codes du hip-hop depuis toujours et pour moi, ce n’est pas de la facilité. Bien connaître les codes du genre, c’est ça qui me permet d’explorer, d’aller plus loin, de bâtir mon son avec intelligence. »

Ses rimes, parfois assassines, dépassent en effet la simple fanfaronnade. Si tout le monde s’entend pour dire que la production de Surhomme est plus aérée et les rythmes plus enjoués que ceux que l’on retrouvait sur l’anxiogène Contrôle, les rimes sont souvent excessivement denses, à commencer par celles de la pièce-titre dont les références à la drogue tiennent plus de la mise en garde que de la glorification.

« À mon âge (32 ans, NDLR), je suis rendu pas mal plus sage, explique Lary. Lorsque je parle de débauche dans mes chansons, je m’inspire surtout du début de ma vingtaine; le rap, après tout, c’est une musique de jeunes! J’espère être encore pertinent à 40 ans, mais c’est important de ne pas devenir un vieux qui prêche à son public. »

Bricolé avec Ruffsound et son vieux complice Ajust, les architectes sonores qui ont contribué au succès de Loud, Surhomme est à la fois plus punché et plus léger que son prédécesseur et on y respire beaucoup mieux. « Je me suis assis pendant six mois pour écrire les textes; mais la musique, ça s’est fait à la vitesse de l’éclair. Les deux gars (Ruffsound et Ajust) sont arrivés au chalet, ils ont installé leurs claviers et travaillaient tous les jours jusqu’à 23 heures. Ce sont de véritables machines, capables de sortir une dizaine de beats en une journée de travail. »

Chaque fois qu’il le peut, Lary rappelle l’importance des beatmakers dans son travail de création. « Ils travaillent comme des forcenés, surtout dans les semaines qui suivent l’enregistrement, explique-t-il. Ça prend du talent pour transformer un album de rap qui pourrait facilement devenir répétitif et lassant en quelque de riche et varié et je pense qu’ils y arrivent de façon spectaculaire. »

« Le rap chantonné, un peu doux qui domine en ce moment, j’ai compris que c’est pas mon truc. »

S’il n’a pas encore fait de percée dans le milieu pop, comme l’a fait son vieil ami Loud (qui collabore à la pièce Sac de sport), Lary ne se plaint pas de son sort, au contraire. « Je gagne ma vie correctement et avec ma ligne de vêtements (Officiel), je ne manque jamais de travail, au contraire! Et ce qui est cool, c’est que mon sideline m’offre une autre avenue créative; c’est pas comme si j’avais à retourner mopper des planchers! »

C’est cette sécurité qui permet à Lary de suivre sa propre voie, sans se soucier de plaire à tout prix. « C’est sûr que je pourrais avoir quelques tounes de club qui parlent de filles, lance-t-il en ricanant. Mais le rap chantonné, un peu doux qui domine en ce moment, j’ai compris que c’est pas mon truc. Moi, je m’en tiens à un rap plus classique, et j’espère que lorsque ce genre de son va revenir en vogue, je serai reconnu comme quelqu’un qui a toujours suivi cette voie. Je n’essaie pas d’avoir l’air d’un vieux puriste, mais j’ai parfois l’impression d’être complètement déconnecté par rapport au son d’aujourd’hui. Lorsque j’ai regardé mes playlists Spotify, je me suis rendu compte que la toune que j’ai le plus écoutée en 2019, c’est Mighty Healthy de Ghostface Killah, qui date de 1993! »

N’allez pas croire que Lary est figé dans le temps, au contraire : tout au long de l’entretien, il revient sur l’importance d’évoluer sans se dénaturer. « Cet album-là m’a amené à un autre niveau, explique-t-il. J’ai l’impression que le processus a fait de moi un meilleur rappeur, tant dans le flow que dans l’écriture. Tout ce que j’écris est quatre fois plus solide, je cherche la bonne tournure de phrase, la bonne rime et j’écarte la facilité. Faire du franglais à tout prix, par exemple, juste parce que c’est facile, ça ne m’intéresse plus. »



« Musicalement, je crois qu’on est les meilleurs au monde. »

Alex Ernewein a de bonnes raisons de proclamer Toronto l’une des meilleures destinations musicales. Il cite Drake comme meilleur exemple d’un artiste canadien qui a mis la ville sur la mappemonde globale, mais il croit que cette bonne fortune a un effet même sur des artistes comme lui, un musicien et producteur audionumérique qui a beaucoup grandi au cours des dernières années grâce à ses « progressions d’accords et textures assez bizarres, mais accrocheuses et populaires ».

La plupart des gens reconnaîtront Ernewein en tant que musicien de tournée pour la vedette R&B Daniel Caesar, mais il a également joué pour Charlotte Day Wilson en plus de produire des pièces sur l’album Freudian de Caesar et le EP Stone Woman de Wilson, et il s’est entouré des talents les plus prometteurs de la Ville Reine (Sean Leon, Liza Yohannes, Dylan Sinclair). Il a récemment pris un immense pas hors de sa sphère habituelle en contribuant un échantillon utilisé sur l’album Jesus is King de Kanye West.

Il crée également de la musique sous son propre nom et c’est là qu’il s’efforce d’être encore plus explorateur. Il explique cela par le fait qu’il a grandi entouré de jazz. « Les gens me connaissent pour mon R&B, mais j’ai travaillé sur tellement de projets différents. »

« Je crois qu’au cours des 10 prochaines années, le son de Toronto va encore s’améliorer et devenir plus sophistiqué », dit Ernewein. « Il y a trop de grands esprits dans notre ville pour que ce ne soit pas le cas. » Bien qu’il n’ait pas encore atteint les plus hautes sphères des vedettes de la ville, Ernewein – qui affirme en être encore à l’étape de faire preuve de son talent aux autres – est définitivement sur la bonne voie pour devenir un de ces grands esprits.



À l’instar du reste de l’industrie musicale, le domaine de l’édition est beaucoup plus fluide de nos jours qu’auparavant. Là où le rôle des éditeurs était jadis principalement axé sur les placements d’œuvres musicales dans divers médias — télé, cinéma, jeux vidéo, publicité — les éditeurs modernes doivent porter plusieurs chapeaux.

« Notre travail est de représenter les œuvres et les créateurs », explique Vivian Barclay, directrice générale de Warner Chappell Music Canada et membre du conseil d’administration de la SOCAN. « Il y a deux axes principaux à notre travail. Certains adoptent encore une vision très linéaire de l’édition, celle de l’administration, un peu comme une banque ou une entreprise de services, mais c’est plus polyvalent, en réalité. L’administration des droits d’auteur, la déclaration d’œuvres et le paiement des redevances sont un seul de ces aspects. L’autre concerne la créativité. On offre des contrats aux auteurs-compositeurs, on les développe et on les aide en leur offrant des ressources et des connexions. »

Vivian Barclay a l’habitude de porter de nombreux chapeaux et de tisser des liens. Elle n’a jamais eu de plan quinquennal et elle n’a jamais reculé devant un travail qui devait être accompli. Elle est née dans le domaine des arts. Son père était musicien professionnel et sa mère peintre. Après avoir obtenu son diplôme en ingénierie sonore de Ryerson, elle a travaillé à la station de radio communautaire, maintenant disparue, CKLN. Elle y occupera de nombreux rôles : animatrice, directrice de la programmation et même gestionnaire intérimaire. Sa formation s’est ensuite poursuivie lors de son passage chez Jones and Jones Productions où elle travaillait aux côtés de Denise Jones. Elle y a appris la gérance et la mise en marché d’artistes ainsi que la présentation et la promotion de spectacles, entre autres.

“Si vous ne pouvez pas jouer sur scène, je ne suis pas intéressée.”

En 2001, un poste s’est libéré dans la division des redevances de Warner Chappell Music Canada. Denise Jones l’a recommandée et Barclay a sauté sur l’occasion d’en apprendre plus sur le monde de l’édition musicale. Ce poste temporaire deviendra rapidement un rôle à plein temps. Elle est passée du secteur des redevances à celui des droits d’auteurs et à la fin de l’année elle a été transférée au bureau de Los Angeles de l’entreprise. Deux ans plus tard, elle est de retour à Toronto pour diriger la succursale canadienne.

De la musique bien de chez nous

Font ou ont déjà fait partie de l’écurie Warner Chappel Music Canada :

  • Aaron Goodvin
  • Barenaked Ladies
  • The Be Good Tanyas
  • Begonia
  • Death From Above 1979
  • Donovan Woods
  • Gordon Lightfoot
  • Jully Black
  • Michael Bernard Fitzgerald
  • Michael Bublé
  • Nickelback
  • PartyNextDoor
  • The Rheostatics
  • Saukrates
  • Sebastian Gaskin
  • Spirit of the West
  • The Tea Party
  • Tomi Swick

Aujourd’hui, en tant que directrice générale de Warner Chappell Music Canada, elle gère un vaste catalogue d’œuvres très diverses qui va des standards du répertoire américain comme George et Ira Gershwin aux contes de Gordon Lightfoot et tout ce qu’il y a entre les deux. Le bureau canadien de Warner Chappell Music représente également deux classiques de Noël écrits par Johnny Marks : « Rudolph the Red-Nosed Reindeer » et « Rockin’ Around the Christmas Tree ». Le rôle de Barclay est de faire connaître ces classiques à une nouvelle génération.

« Tout est une question de redynamiser le catalogue », explique-t-elle. « Nous travaillons très fort afin de donner une nouvelle vie à ces chansons indémodables. »

Il n’y a pas de journée typique pour Vivian Barclay. Chaque créateur qu’elle représente est à un stade différent de son cycle artistique ; écriture de nouveau matériel, lancement d’un nouvel album, ou tournée. Elle passe autant de temps à chercher et développer de nouveaux artistes qu’à chercher de nouvelles façons de faire réinterpréter des classiques. Gagner sa vie en tant qu’auteur-compositeur, de nos jours, est un défi même dans les meilleures conditions. Ils ont de plus en plus de difficulté à joindre les deux bouts, et le rôle de Barclay et d’autant plus important, car elle fait tout ce qu’elle peut pour s’assurer « que la valeur de ce qu’ils ont créé n’est pas décimée ».

Les concerts sont encore une des meilleures sources de revenus pour ces auteurs-compositeurs et aller voir des concerts est encore la meilleure façon de découvrir de nouveaux artistes pour les éditeurs. De nombreuses soirées par semaine, elle fait le tour des clubs de Toronto pour y entendre de nouveaux artistes, sans parler des festivals d’un bout à l’autre du pays et tout autour du monde, toujours à la recherche de nouveaux créateurs pour Warner Chappell. « Peu importe votre genre musical, pour moi votre présence sur scène compte », dit-elle. « Si vous ne pouvez pas jouer sur scène, je ne suis pas intéressée. »

Warner Chappell Music Canada compte de nombreux artistes canadiens dans son écurie passée et présente. L’entreprise a d’ailleurs récemment conclu une entente avec la maison de disques Birthday Cake des Brothers Landreth, ce qui lui a permis d’ajouter plusieurs artistes de l’Ouest canadien. (See sidebar for some of the company’s Canadian clients.)

La numérisation de la musique et la facilité que cela permet afin de découvrir de nouveaux artistes ont fait de ce monde un endroit beaucoup plus petit. Le Canada, on le sait, est un pays d’une grande diversité culturelle et Vivian Barclay ne cherche pas uniquement des talents canadiens à faire découvrir au reste du monde, mais également des artistes internationaux qu’elle souhaite faire découvrir au marché national. À titre d’exemple, on pense notamment au « Roi de la Soca » Machel Montano de Trinidad et à Patoranking, un artiste nigérian qui évolue dans le domaine reggae dancehall et afrobeat.

Barclay reçoit quotidiennement, de la part d’artistes et de leurs gérants, des liens vers leur musique sur les plateformes en ligne. La SOCAN et d’autres joueurs de l’industrie l’aiguillent également vers des artistes à fort potentiel qu’elle « devrait » écouter. Et lorsqu’elle est à la recherche de nouveaux clients, qu’ils soient Canadiens ou internationaux, le genre musical n’a pas d’importance pour elle. C’est la chanson qui prime.

« Peu importe à qui vous parlez dans le domaine de la musique, nous sommes tous passionnés par les bonnes chansons », dit-elle. « Créer un héritage de bonnes chansons ; c’est le point de départ. Vous pouvez évoluer dans le genre qui vous plaît, tant que vos chansons sont bonnes et qu’elles touchent les gens. »