La musique coule à flots sur l’Île du Cap-Breton.

Malgré une modeste population de 132 000 résidents, l’extrémité nord-est de la Nouvelle-Écosse, d’une superficie de 10 311 km2, est la terre natale de bon nombre d’artistes nommés MacMaster, Rankin ou encore Sampson dont l’impact sur les auditeurs dépasse largement ses frontières.

Les musiciens issus de l’Île sont principalement reconnus pour leur musique celtique, folk et trad dont les racines remontent des centaines d’années jusqu’à leurs origines en Écosse, en Irlande et en France. Ces racines sont honorées par des ambassadeurs culturels tels The Barra MacNeils, The Rankins et Natalie MacMaster dans le cadre de rassemblements comme le Celtic Colours International Festival, Gaelic College Ceilidhs (fêtes de cuisine) et l’Acoustic Roots Festival.

L’actuelle génération de ces familles musicales bien établies élargit ses horizons et explore de nouveaux genres, que l’on pense au rock indé du groupe Alvvays, désormais installé à Toronto et dont la leader est l’ex-violoneuse des Rankins, Molly Rankin, ou encore au trio pop Port Cities dont l’un des membres est Dylan Guthro, le fils du célèbre artiste folk Bruce Guthro. Ces derniers temps, le hip-hop aussi prend sa place avec des rappeurs comme Mitchell Bailey de Glace Bay et SHIFT FROM THE 902, alias Todd Googoo d’Eskasoni qui sont venus ajouter leurs voix à la chorale.

The Barra MacNeils

The Barra MacNeils

« Il doit sûrement y avoir quelque chose dans l’eau », rigole l’auteur-compositeur professionnel Gordie Sampson, lauréat de prix SOCAN, JUNO et Grammy connu surtout pour être le coauteur de deux des plus gros « hits » de Carrie Underwood, « Jesus, Take the Wheel » et « Just a Dream ». « C’est indéniable, à la lumière de la proportion de musiciens qui en sont issus par rapport à la taille de la population. Le simple fait de faire carrière en musique — que vous soyez auteur-compositeur, musicien, violoneux ou chanteur — vous place en haute estime dans cette communauté. C’est vu comme une vocation noble. »

Il y a de nombreuses raisons pour lesquelles le Cap-Breton est un terreau fertile pour tant de musiciens réputés – du légendaire John Allan Cameron, de Glencoe Station, à Matt Minglewood, de North Sydney, dans les années 60 et 70, en passant par le génial violonneux Ashley MacIsaac, de Creignish, les chanteurs John Gracie et Aselin Debison, de Glace Bay, ainsi que The Beaton Family et The Rankins (collectivement et individuellement), de Mabou.

La principale de ces raisons est, tout simplement, l’héritage de cette musique apportée par les colons Français, Écossais et Irlandais à l’époque coloniale, au 18e siècle et que ces insulaires ont précieusement conservé.

« Cette musique est populaire parce qu’elle est une quasi-nécessité à la survie des insulaires », ajoute la sensationnelle violoneuse Natalie MacMaster, de Troy, nièce d’une légende du même instrument, Buddy MacMaster, de Judique. « Les colons écossais sont arrivés en ce lieu qu’ils ne connaissaient pas et cette musique était une expression de leur joie et un lien avec leurs origines. »

« Cette musique tant aimée a pris racine au Cap-Breton et s’est rapidement répandue partout sur le territoire. Cette musique centrée sur le style de violon cap-Bretonnais a également trouvé sa place dans d’autres bassins culturels. Un peu comme les Français, quelques Irlandais et même des gens des Premières Nations qui ont créé différents dialectes à différents endroits sur l’Île. Aujourd’hui, 250 ans plus tard, je crois que les gens sont simplement animés par cette musique et c’est elle qui nourrit leurs âmes. »

Selon Heather Rankin, il ne faut pas ignorer le rôle que joue la solitude dans l’évolution de la musique du Cap-Breton. « Je pense que c’est en partie attribuable au fait que le Cap-Breton a longtemps été isolé », croit-elle. « Nous n’étions pas vraiment accessibles jusque dans les années 50, lorsqu’ils ont construit la chaussée de Canso. »

« Les artistes du Cap-Breton sont de redoutables conteurs. Ils savent comment écrire des chansons qui touchent et font vibrer les gens. » — Sheri Jones de Jones & Co. Artist Management

Rankin croit également que la musique est devenue si importante du fait qu’il n’y avait pas grand-chose d’autre à faire. « Bien des gens avaient accès à des théâtres, des bars et des restaurants », raconte-t-elle. « Nous n’avions rien de tout cela dans notre jeunesse. Je crois que c’est en partie attribuable a ces petites communautés et à la manière dont les gens se divertissaient entre eux pendant de nombreuses générations. Même dans les années 70, le Cap-Breton était un endroit très tranquille… Même pour les jeunes d’aujourd’hui… On demeure un endroit assez isolé où il n’y a pas tant à faire pour se changer les idées, malgré les nouvelles technologies. »

Carleton Stone du groupe Port Cities est d’accord avec l’analyse de Rankin. « La tradition des conteurs et des auteurs-compositeurs-interprètes y est très forte et on est relativement isolés », explique Stone, qui partage la scène avec ses collègues Breagh MacKinnon et Dylan Guthro. « L’hiver est long et les gens disposent de beaucoup de temps pour se réunir et jouer de la musique ensemble. »

Port Cities

Port Cities

Guthro poursuit : « il n’y a pas grand-chose à faire d’autre que de se réunir et “jammer”. Le Cap-Breton est célèbre pour ses fêtes de cuisines où tout le monde sort son instrument et joue. Je n’ai aucun doute que ça contribue au degré de talent. »

Selon Gordie Sampson, qui est originaire de la même bourgade que Rita MacNeil — Big Pond, population: 47 —, l’autre facteur qui contribue au degré de talent des musiciens de l’Île est un auditoire très exigeant. Sampson, désormais établi à Nashville, revient une fois l’an pour y tenir son Gordie Sampson Song Camp où, d’ailleurs, se sont rencontrés les membres de Port Cities.

« L’auditoire peut être sans pitié, dans la mesure où il vous faut réellement le faire vibrer », affirme-t-il. « Les gens ne vont pas vous applaudir simplement parce que vous êtes sur scène… Lorsqu’on fait ses armes dans cette communauté ; impossible de jouer la comédie ou d’être sur le pilote automatique. Ça force tout le monde à travailler un peu plus fort. »

Les musiciens du Cap-Breton arrivent à tirer leur épingle du jeu dans une région canadienne généralement reconnue comme étant défavorisée — en avril 2018, le Cape Breton Post rapportait que la Nouvelle-Écosse reçoit toujours 1 838 milliards  $ en paiements de péréquation, dont 15 millions  $ vont à l’Île. Malgré cela, l’attrait de voyager au-delà de ses frontières est irrésistible.

« Si quelqu’un veut passer à un niveau supérieur, il faut quitter l’Île, car on y plafonne nécessairement », affirme Sampson. « Que vous soyez motivé par l’argent ou l’envie de partir en tournée, vous plafonnerez sans faute. Le bassin démographique y est simplement trop petit. »

Où en sont-ils aujourd’hui ?
Heather Rankin : Après la parution d’Imagine, son deuxieme album solo, en 2017, Rankin est partie en tournée et, cet été, elle a joué avec Nova Scotia Tattoo. Elle sera en tournée en Alberta et en Ontario cet automne tout en préparant son prochain album.
Natalie MacMaster : Après avoir récemment donné naissance à son septième enfant, MacMaster et son mari Donnell Leahy ont organisé la deuxième édition du Green Ridge Celtic Folk Festival — une célébration de la musique traditionnelle du Cap-Breton, d’Écosse et d’Irlande — qui aura lieu à Keene, en Ontario, les 24 et 25 août.
Gordie Sampson: le Gordie Sampson Song Camp a eu lieu début juillet et il continue son travail à Nashville en collaborant avec des artistes en émergence comme Claire Dunn, Ashley Hanbrick, Hunter Cage, Tenille Townes et Caylee Hammack.
Port Cities (Dylan Guthro, Breagh MacKinnon, Carleton Stone): le trio est actuellement en tournée et prépare le matériel pour son deuxième album qui sera réalisé par Gordie Sampson.
Celtic Colours International Festival: se déroule un peu partout au Cap-Breton du 5 au 13 octobre 2018. Parmi les artistes locaux et internationaux figurant à l’horaire de l’événement cette année, on retrouve J.P. Cormier, Howie MacDonald, Men of the Deeps et Edwina Guckian.
The Acoustic Roots Festival: cet événement annuel a lieu près de Marion Bridge du 31 août au 2 septembre et les vedettes de la prochaine édition sont entre autres Buddy MacDonald, Harold MacIntyre et Meaghan Blanchard.

Heather Rankin a découvert l’intérêt global de la musique traditionnelle du Cap-Breton lorsque The Rankin Family a lancé son premier album éponyme en 1989. « On se disait que c’était d’intérêt uniquement pour les gens dans notre cour et que c’était de la musique de l’ancien temps », raconte-t-elle. « Mais il se trouve que nous avons touché et enrichi la vie de gens aux quatre coins du monde, en Australie et en Nouvelle-Zélande, dans certains coins de l’Europe et aux États-Unis. Cette musique touche les gens. »

La musique folk et trad aux saveurs celtiques attire également les touristes vers le Cap-Breton grâce à ses nombreux festivals, dont notamment le Celtic Colours International, qui a lieu du 5 au 13 octobre, cette année. Le festival met en vedette des artistes locaux et internationaux et attire plus de 20 000 festivaliers chaque année. « Les gens du coin viennent y entendre les artistes étrangers et les touristes y viennent pour entendre les artistes locaux », explique David Mahalik, l’agent d’information du festival, ajoutant que son assistance est en pleine croissance. « Nous sommes en pleine croissance », dit-il, expliquant que le ratio entre festivaliers locaux et ceux venus de l’extérieur est « 60/40 de gens provenant de l’extérieur de l’Île. »

Mahalik affirme que la réputation de Celtic Colours est ce qui attire les touristes, et il remercie Internet pour cela. « Nous tenons la culture gaélique en très haute estime et reconnaissons qu’elle est la base de toute cette musique et de ces danses, le terreau où poussent leurs racines », dit-il. « Nous la traitons avec une immense respect, parce qu’elle est notre mythe fondateur. »

Pour Gordie Sampson, la musique et le tourisme vont main dans la main. « La musique fait partie des attraits touristiques », croit-il. « Lorsqu’on visite le Cap-Breton pour la première fois, la musique est une composante majeure : les gens viennent et ils veulent voir des spectacles et, on l’espère, acheter cette musique. »

Sheri Jones de Jones & Co. Artist Management gère notamment les carrières de Sampson, Port Cities, Mary Jane Lamond et Wendy MacIsaac, et elle croit que la scène musicale locale continuera de répondre aux désirs des amateurs de musique pour encore bien longtemps.

« Leur maestria est immense et ces artistes sont de redoutables conteurs », affirme-t-elle. « Ils savent comment écrire des chansons qui touchent et font vibrer les gens. »