Si un jour vous passez par le village de Neuville, capitale du blé d’Inde située tout près de celle de la province du Québec, arrêtez saluer Médé Langlois au magasin de sa ferme, l’Économusée de la conserverie. C’est dans le nom, on y vend « du « cannage », fait selon des recettes « qui ont cent cinquante ans » et à partir des fruits et légumes qui poussent sur ses terres depuis 350 ans, la Ferme Langlois étant considérée comme la plus ancienne ferme en activité au pays. Or Médé, fier producteur maraîcher et laitier depuis onze générations, est aussi un punk.

« Tsé, les ancêtres qui habitaient ici, ils jouaient du folklore », raconte le chanteur et guitariste du groupe « punklore » Carotté, qui a mis le feu aux planches de l’Astral le 9 juin 2017, dans un programme double des Francofolies de Montréal mettant aussi en vedette les dangereux Bleuets d’Orloge Simard. « Moi, j’ai grandi dans le folklore sans le vouloir, si tu veux. Ça jouait du folklore ici tout le temps. Tout le monde du village se ramassait ici, dans la cuisine d’été de la maison familiale, pis tout le monde jouait du folklore, au moins une fois par semaine. Mais plus tard, à l’école secondaire avec mes chums, on écoutait beaucoup de punk. »

Médé s’était levé comme à tous les jours à 4h15 du matin pour traire ses vaches, travailler aux champs et veiller au bon roulement de son magasin, mais au bout du fil à l’heure du midi, il semble encore fringant d’énergie et plein d’histoires à raconter, sur la musique, ses vaches (« Si elles aiment le punk? Y’ont pas ben le choix, on pratique dans la grange ! ») ou sur le métier d’agriculteur (nous y reviendrons). Tenez, voici le récit de la naissance de Carotté, qui a lancé un premier album intitulé Punklore et Trashdition (du « cannage » musical !) en 2015 sur étiquette Slam Disques.

« Après avoir ouvert l’Économusée, j’ai décidé de participer au nouveau marché public qui se tenait à Deschambault près d’ici. La journée, on vendait des légumes et pendant ce temps, des musiciens faisaient de l’animation : un petit groupe de trad, trois musiciens. Pis là, ben, à la fin de la journée, on les rejoignait pour une ‘tite bière, un ‘tit rhum, et à un moment donné, je leur ai dit : Pourquoi on ferait pas un groupe ensemble ? J’ai deux chums qui jouent du punk. Vous trois, nous trois, moitié punk, moitié folklore, un mélange des deux. Ça ne s’est pas fait beaucoup ici – on se souvient de Groovy Aardvark qui avait enregistré Boisson d’avril » avec Yves Lambert, alors que les Irlandais l’ont fait (The Pogues), ainsi que les Bretons du nord de la France (Soldat Louis, Matmatah, Les Ramoneurs de menhirs).

Ainsi naquit Carotté et son « punklore » au répertoire constitué de compositions originales – « On écrit les textes en groupe, sinon, c’est Étienne, le violoniste, qui écrit, y’é pas pire là-dedans » – et de chansons traditionnelles de la trempe de la célébrissime Tape la bizoune d’Oscar Thiffault. « Les compositions, c’est bien, mais le plus important, c’est de sauver de l’oubli des airs, des mélodies du répertoire folklorique, comme l’air d’une chanson que chantait Madame Louise qu’on a utilisé ».

Des vieux airs, mais avec l’énergie et le sens de la fête d’aujourd’hui. « Ça fait un beau mélange, il faut préserver ça, estime Médé. Parce que le folklore, c’est comme notre terroir musical. C’est comme quand je sème mes graines de concombre à Neuville ; on est peut-être trois ou quatre [agriculteurs] sur la planète à posséder ces petites graines-là et à semer ce concombre-là, c’est important pour moi, de continuer ça. »

« Parce que tu sais, la musique et l’agriculture, pour moi, ça va de pair », abonde le barde agriculteur. Ah bon? « Quand je vais dans le champ pour planter [mes légumes], c’est comme si je m’en allais faire de nouvelles chansons. Et lorsqu’on ouvre le magasin le matin, c’est comme lorsqu’on fait une balance de son – un soundcheck. Et là quand arrive le monde, les clients, c’est le show! »

Médé Langlois fait également des liens anthropologiques entre la musique traditionnelle et le punk, « deux styles musicaux qui étaient en marge de la société, et qui dénonçaient l’ordre. La Bolduc, par exemple, elle dénonçait des choses dans ses chansons, pis nous autres aussi. »

« Parce que nous autres, en agriculture, on en a des choses à dénoncer, enchaîne Médé, mais on travaille cent heures par semaine, sept jours sur sept. Je n’ai pas le temps d’aller au Parlement pour manifester pis dénoncer tout ce qui ne fonctionne pas dans l’agriculture – parce qu’elle est malade l’agriculture au Québec », déplore le musicien, qui trouve néanmoins le temps pour faire de la musique. Parce que c’est nécessaire. Vital. « Si je ne fais pas de musique, je ne peux pas faire de l’agriculture. Et pas d’agriculture, pas de musique. »

Sur le premier album déjà, entre les airs de fêtes déridés comme celui qu’entonnait Oscar Thiffault, une chanson comme Souffrance : « Je vis dans un pays pas mal pourri…, ça reflète nos inquiétudes, des histoires comme celle du petit fromager qui se fait piler dessus ».

Source d’inquiétude, le tracé du « pipe-line Énergie Est, qui va passer sur mes terres », celles qu’a labouré un certain François Langlois à Neuville, le premier de la famille venu d’outre-Atlantique s’installer en Nouvelle-France en 1667 et fondé cette entreprise qui sera le sujet d’un grand reportage de l’émission La Semaine Verte l’automne prochain. Imaginez, on va promener du pétrole sur ces terres ancestrales, mesdames et messieurs… Ça réveille le punk en nous. « Y’en a assez à dénoncer en agriculture, y’en a pas beaucoup d’agriculteurs qui ont un micro et une scène pour le faire, alors qu’on va le faire. »

Carotté sera des festivals de la région et des foires agricoles tout l’été avec sa musique pour fêter et se fâcher. Des nouvelles compositions seront au programme, en vue d’un album à paraître en 2018. La conserverie Chez Médé de la Ferme Langlois est ouverte du mercredi au dimanche pendant le mois de juin, puis tous les jours de juillet à octobre.