Il y a de ces rencontres qui transforment des trajectoires professionnelles et qui proposent de nouvelles avenues créatives. Ce fut le cas pour le musicien et compositeur québécois Denis Sanacore, qui, par un curieux hasard, se voit offrir la chance de composer la musique du film L’extravagant voyage du jeune et prodigieux T.S. Spivet de Jean-Pierre Jeunet.

L’opportunité qui survient en 2012 se déploie rapidement sous la forme d’une histoire rocambolesque qui dure près de deux ans. Denis Sanacore raconte : « Je reviens d’une fin de semaine à Burlington avec ma femme et j’ai un message de la productrice Suzanne Girard sur ma boîte vocale. Elle me demande de lui transmettre une maquette de mes compositions pour un éventuel projet de film qu’elle garde confidentiel. J’ai trois jours, je suis content, mais surpris. Je n’ai jamais fait ça. »

« Le lendemain du dépôt de ma maquette, je reçois un nouvel appel me conviant à une rencontre avec le réalisateur Jean-Pierre Jeunet. Je n’en reviens pas. Je me suis présenté les mains gelées et le cœur qui bat dans les oreilles comme un enfant. Jeunet me dit qu’il a été charmé par mes compositions sur MySpace et par ma maquette, et qu’il cherche pour cette coproduction, un compositeur québécois. Il m’invite à composer, sans engagement de sa part. Si la musique lui plaît, il la gardera. »

« Je suis d’autant plus content que j’aie créé certaines pièces avec ma femme au violon et ma fille Léa qui chante sur une de mes pièces préférées. »

Denis Sanacore, T.S. SpivetLa proposition renverse le musicien qui gagne sa vie grâce à son école de musique à Saint-Hilaire et ses performances musicales en festival, mariages et autres évènements, avec sa femme Rachel Carreau.

Sanacore repart avec le story-board de Jeunet sous le bras et des débuts de mélodie dans les oreilles. Rapidement, il réalise les limites de son installation maison, lui qui avait tout enregistré sur un 12 pistes. Sanacore se rend à la boutique Steve, se dote d’une carte de son et du logiciel ProTools. Il prend même une formation. « Je partais de loin, mais j’étais très motivé. »

Son inspiration, Sanacore la puise au cœur des personnages et de leurs tracés émotifs individuels. Il construit pour chacun un thème, une gamme de notes qui les définit plus singulièrement. Il se heurte alors à ses premiers défis. « C’est plus demandant que l’on pense se transporter émotivement dans un personnage. Tu dois faire appel à tes propres deuils. Et puis, tu dois aussi réussir à synthétiser tes élans créatifs dans des laps de temps très précis. Il faut savoir conserver la magie des mélodies, et ce, du début jusqu’à la fin du processus créatif. »

Inspiré, Sanacore envoie continuellement des pistes musicales au réalisateur français. Lors d’un tournage de Jeunet aux studios montréalais Mels, les deux hommes se rencontrent à nouveau. Jeunet lui montre une scène à laquelle il a jumelé l’une de ses pièces. « J’étais subjugué », confie Sanacore, les yeux brillants. Une entente est enfin scellée entre les deux. Jeunet assure à Sanacore que trois de ses thèmes feront partie de la bande sonore. À la sortie du film, Sanacore aura finalement signé la totalité des thèmes musicaux de L’extravagant voyage du jeune et prodigieux T.S. Spivet. « Je suis d’autant plus content que j’aie créé certaines pièces avec ma femme au violon et ma fille Léa qui chante sur une de mes pièces préférées. »

Les lendemains de cette folle aventure avec Jeunet furent tout aussi lumineux. En 2014, Denis Sanacore est finaliste dans la catégorie découverte de l’année au World Soundtrack Award en Belgique aux côtés de Steven Price (Gravity) et Daniel Pemberton (Uncle), une des remises de prix les plus prestigieuses en musique de film. Au Gala de la SOCAN 2015, il obtient le prix dans la catégorie Musique de film. Il signe aussi cette même année un disque instrumental, intitulé I Am, question de créer sans restriction et de retourner à la source, à lui.

Faire la musique d’un film de Jean-Pierre Jeunet, ça ne change pas le monde, sauf que… « Je suis encore professeur de musique. Et je joue toujours avec ma femme dans différents évènements. Mais j’ai aujourd’hui un agent à Los Angeles et j’ai reçu des offres. » Ces offres qu’il qualifie pour l’instant loin de son naturel musical l’ont questionné. Doit-il se faire polyvalent ou fidèle à un style ? Si Sanacore n’a pas complètement répondu à la question, il rêve de plonger à nouveau dans un film, de composer pour d’autres « cette musique qui ouvre le cœur ».