Alors qu’iel (l’artiste s’identifie comme personne non binaire) était âgé.e de 14 ans, Kelly Loder fait le deuil de son cousin, décédé dans un accident. Inspiré.e par un poème écrit par un ami en son honneur, l’artiste a décidé de mettre ces mots en musique, et c’est ainsi qu’une vocation est née. « J’ai réalisé que je pouvais écrire des chansons », dit l’artiste. « Ç’a été un effet boule de neige et je suis devenu auteur.e-compositeur.e. J’ai découvert très tôt qu’écrire des chansons me remplissait de bonheur. »

Élevé.e dans un foyer religieux dans la campagne terre-neuvienne, Loder, 32 ans, a utilisé son écriture pour donner un sens à son monde, y compris à sa propre sexualité. « Étant une personne chrétienne “dans le garde-robe” qui a grandi dans un foyer chrétien très strict, c’était mon seul exutoire. »

Mais en même temps, les mondes spirituel et musical de Loder étaient profondément liés : apprentissage du rythme dès l’âge de deux ans en tapant sur les bancs de l’église pendant les services religieux, et apprentissage de la batterie à dix ans dans l’orchestre de l’église : « C’est essentiellement à l’église que j’ai appris à jouer de la musique. »

« Quelle que soit ma musique, c’est ce qu’est ma vie »

Lorsqu’est venu le temps de donner une direction aux premiers enregistrements, Loder, qui étudiait alors les sciences infirmières, s’est tourné.e vers ce qui était familier. « J’écoutais beaucoup de musique de culte, et j’étais passionné.e par ma spiritualité… Tout ce que je voulais, c’était chanter à ce sujet ». Résultat : finaliste dans la catégorie artiste féminine de l’année aux MusicNL Awards 2010, et dans la catégorie artiste gospel de l’année en 2011 pour son deuxième album, Imperfections & Directions, et finaliste l’album chrétien/gospel contemporain de l’année aux JUNO Awards 2012.

Dans la foulée de ce succès, ce qui a suivi pour Loder a été une période d’introspection — et distanciation de sa carrière musicale pendant un certain temps. « Je me cherchais. J’ai fait beaucoup d’introspection et d’écriture. »

Retour sur les bancs d’école en 2015 pour étudier l’interprétation musicale et rencontre avec Daniel Adams, un aspirant producteur. La paire produira la chanson « Boxes, » de Loder qui a remporté le prix du vidéoclip de l’année de MusicNL en 2017. Plus récemment, le duo a travaillé ensemble pour produire la pièce « Fearless » (2019), qui a été utilisée dans la bande-annonce du film IMAX Superpower Dogs, narré par Chris Captain America Evans.

Partageant maintenant son temps entre St. John’s et Toronto, Loder — qui a partagé les scènes avec Steven Page, Stephen Fearing et Alan Doyle — est enthousiaste à l’idée d’écrire davantage pour le cinéma, ainsi que pour d’autres artistes. Et même si la spiritualité est encore centrale à sa vie, il n’est pas question de se cantonner à ce genre.

« Le problème avec l’étiquette chrétienne, c’est d’être catalogué.e et limité.e à n’atteindre qu’un certain public, ce qui est difficile. ». Loder veut plutôt s’attacher à s’exprimer avec sa musique, et à éviter les étiquettes — tout comme avec son identité de genre.

Sur la pièce « Molded Like a Monster » (2018), par exemple, Loder explore la douleur d’être né.e dans un monde où l’on ne se sent pas à sa place, et ce qui pourrait arriver si l’on permettait à l’amour de triompher de la haine : Singin’ oh my goodness / We are more the same than different / Cut the noise / Oh crack the code / Break the mold.

Pour Loder, faire de la musique reste le moyen le plus immédiat de donner un sens à son monde.

« Quelle que soit ma musique, c’est ce qu’est ma vie ; ou ce qu’est ma vie, c’est ce qu’est ma musique. » « La forme artistique la plus pure pour moi c’est ma voix et ma guitare. Je me sens moi-même et en vie quand je chante des chansons comme ça, quand je présente mes chansons comme elles ont été écrites. C’est à ce moment que Kellie brille vraiment au grand jour. »



Jérôme Beaulieu était extatique devant mon écran d’ordinateur. Gilles Peterson, instigateur du mouvement acid-jazz au début des années 90 et fondateur du label Talkin’ Loud venait de jouer la toute nouvelle pièce Mad qu’on retrouve sur Partager l’ambulance (Bonsound) à son émission sur BBC Radio 6.

Misc« Ça a toujours été clair dans ma tête, confie le pianiste, que l’aventure Misc ne pouvait pas se résumer qu’au Québec. On fait de la musique de niche, instrumentale, donc il faut que ton marché soit mondial pour que tu puisses y espérer en vivre un jour. De la visibilité, nous en avons eu avec la  Révélation Radio-Canada Jazz 2013-2014 (alors que le groupe s’appelait Trio Jérôme Beaulieu) ce qui a permis de rafler la tournée des salles. Mais ce n’est pas assez. On développe du côté de la France et de la Grande-Bretagne, qui sont friands de notre style de musique ».

Faut dire que les trois teasers mis sur YouTube en amont de la sortie de Partager l’ambulance (Mad, Le Preacher et Superman se pointera pas) ont de quoi intriguer. Des courts clips d’animation qui semblent évoquer la crise globale et anxiogène que cherche à évoquer Misc avec ce radeau symbolique qui porte une ambulance et flotte sur les nuages à l’aide d’un parachute de fortune…une idée de l’illustrateur Christophe B. De Muri.

« Réinventer le trio jazz, c’est dans l’air du temps. Ça reflète aussi notre façon de consommer la musique qui est rendue tellement éclectique, les styles sont de moins en moins définissables de toute façon. Avoir toute la musique au bout d’un clic ça peut devenir étourdissant ».

Depuis la parution du premier Misc en 2016 et du Misctape Vol.1 lancé en 2017, le trio a vécu deux changements de bassiste, l’un d’eux est même devenu ostéopathe. L’avenir du trio de Jérôme Beaulieu était un peu incertain. « Je n’ai pas de plan B. Et il n’y en aura pas ! »

Coup de chance : Maurin Auxéméry du Festival international de jazz de Montréal avait un défi à leur lancer en 2017 : revisiter la musique d’un artiste qui nous inspire le temps d’un concert. L’album éponyme de l’artiste britannique James Blake et ses univers électros introspectifs paru en 2011 fut choisi par le trio.

« Une musique sans points de repère pour un trio jazz, précise-t-il. Mais c’est tellement trituré et traité électroniquement, on s’est dit : mon Dieu ! C’est donc ben trippant, il n’y a pas de références sonores claires. Ce show-là a été l’occasion pour nous d’intégrer une toute nouvelle palette sonore et l’adapter au son organique du trio. Ses références sonores nous ont sortis de notre univers tout en restant nous-mêmes ».

Partager l’ambulance est directement inspiré de cet hommage à Blake de par son innovation. Fortement influencés par (feu) Esbjörn Svensson Trio (EST), défricheur suédois du piano en trio, Beaulieu, le batteur William Côté et le bassiste Simon Pagé se sont enfermés dans leur studio, sorte de Batcave de tous les possibles.

« On a ajouté une palette d’effets sonores. Notre modus operandi est que tout dans notre musique doit être tweakable (manipulable). On ne veut surtout pas être prisonnier d’une séquence qui se prolonge, faut que l’interaction à la base du jazz demeure. Il y a toutes sortes de trucs. Pour ma part, je mis un micro piezo (conçu pour les guitares) dans le piano qui est voué à passer dans des pédales d’effets, puis j’ai une pédale de volume que j’utilise en temps réel pour le contrôle du mix entre le piano et l’électro pour le bon dosage sonore ».

Lorsque vrombit le piano, on se sent comme collé au plafond. La vigoureuse section rythmique suit ses dérapages et les mélodies sur Partager l’Ambulance sont hors du temps et des modes. Enfin quelque chose qui s’éloigne de l’omniprésent courant de trios jazz actuel. Misc ne se contente pas de prendre le train en marche. Voilà un album qui agresse de manière tout à fait décomplexée.

« Au moment où on l’a enregistré en 2019, nous n’avions bien sûr aucune idée qu’une pandémie s’en venait. C’est plutôt les bulletins de nouvelles qui nous ont fait prendre conscience de l’urgence d’agir, au niveau environnemental surtout ».

Le trio vient incontestablement de franchir un palier, celui du charme de l’équilibre précaire sans pour autant se couper de son passé. Misc semble apte à tailler du jazz de création au mètre. Et vous savez quoi ? C’est sûrement aussi prenant en concert que sur disque. Vivement le rapprochement physique !

 



Si un beau jour vous vous assoyez dans le fauteuil de barbier d’Erroll Layco et qu’il vous demande « que désirez-vous aujourd’hui ? », répondez simplement « je vais prendre une bonne dose de vos “beats” cool qui me font “groover” ! »

L’expression qui devrait apparaître sur le visage du rappeur winnipegois dont le nom de scène est E.GG — pour Elevation for the Greater Good — sera sûrement à ne pas manquer.

La pandémie a mis un frein à sa carrière de barbier, mais heureusement pour ceux d’entre nous qui aiment la poésie intelligente et introspective livrée sur une musique jazzy et pleine de soul, elle n’a pas freiné sa carrière musicale. Sur « Good Fortune », son plus récent simple, il met l’accent sur l’importance de la loyauté et il nous invite à (librement traduit) « lâche prise et vivre simplement » et à « ralentir un peu ».

« J’ai écrit ça comme une réflexion sur la nécessité de ralentir un peu et de prendre le recul nécessaire pour apprécier réellement la bonne fortune que nous avons dans nos vies, que ce soit notre famille ou nos amis », dit E.GG, désormais établi à Toronto. Il dit comprendre que « l’argent est un outil dont nous avons besoin pour financer nos passions, mais il ne devrait pas être un objectif en soi. »

La musique aux airs nocturnes mettant en vedette Infinit0 a été produite par Matt Peters et Matt Schellenberg, deux membres du groupe indie Royal Canoe qui, l’an dernier, ont fondé l’équipe de production baptisée deadmen. E.GG dit de cette collaboration qu’elle a été une « expérience merveilleuse » et il est convaincu que tous les artistes ne devraient pas craindre de travailler avec des musiciens issus de différents genres musicaux : « c’est bien de s’intéresser à d’autres “vibes” ; ça nous permet de créer de nouvelles sonorités et de cultiver des idées innovantes. »

Il affirme avoir eu envie de travailler avec deadmen de nouveau après que ces derniers aient produit « I Could Spend a Lifetime », une chanson qu’il a enregistrée avec la vedette pop Begonia, l’an dernier. « J’avais envie de créer un morceau aux airs R&B avec un élément chat-rap dans le “hook” et les couplets et je leur ai proposé quelques idées », dit-il au sujet de la genèse de « Good Fortune ». E.GG raconte que la pièce instrumentale que deadmen lui ont proposée « correspondait à la vision que j’avais. C’était sombre, mais avec le “bop” du hip-hop et du R&B. »

« Quand on a commencé, on partageait la scène avec des groupes punk et hardcore »

Selon l’auteur-compositeur-interprète, l’esprit de collaboration interculturelle est très fort dans sa ville natale. « Il y a cette volonté d’aller au-delà de ce que nous connaissons, car ceux d’entre nous qui sont nés et ont grandi à Winnipeg comprennent qu’il y a peu de choses à explorer, mais c’est précisément ça qui nous permet de créer ces souvenirs particuliers », dit E.GG. « Winnipeg me rappelle constamment tout ce que j’aime à propos de cette ville. C’est une petite ville avec un grand cœur. On ne peut pas imiter cette énergie. »

E.GG affirme ne pas ressentir cette « vibe » communautaire — ce qu’il appelle une « interconnexion entre les différentes scènes musicales » — à Toronto. « À Winnipeg, les artistes folk collaborent avec des artistes hip-hop ou, dans mon cas, lorsque je faisais des spectacles avec notre groupe 3Peat, quand on a commencé, on partageait la scène avec des groupes punk et hardcore. C’était génial d’évoluer dans des environnements où il n’y avait que de l’amour pour tous les genres musicaux. Le sens de la communauté est très fort. »

E.GG, qui est né et a grandi dans l’ouest de la ville, raconte que la première chanson « qui voulait tout dire et veut encore tout dire » était « Dear Mama » de Tupac. En tant qu’artiste philippin évoluant dans un genre musical noir, E.GG ne s’est jamais senti exclu ou imposteur. « Pour moi, qui a grandi dans le monde des B-boys et du rap, le hip-hop est un monde qui met l’unité de l’avant », dit-il. « J’ai ressenti et je ressens toujours beaucoup d’amour dans cette culture. Elle a créé à Winnipeg une communauté très forte et en pleine croissance. »

« Je continue mes recherches sur l’histoire du hip-hop » dit EG.G avec enthousiasme. « Je suis un étudiant de la vie. Je veux tout comprendre de la culture dont je suis tombé amoureux dans mon enfance afin de pouvoir la représenter du mieux que je peux. »