K-Anthony pourrait écrire une nouvelle page dans l’histoire aux JUNOs 2021
Article par Errol Nazareth | mercredi 21 avril 2021
Kevin Anthony Fowler pourrait écrire une nouvelle page dans l’histoire des JUNOs.
Cette année, c’est la première fois qu’il est nommé aux JUNO, dans la catégorie Album chrétien/gospel contemporain de l’année. C’est aussi la première fois qu’un Jamaïcain est nommé dans cette catégorie, et que deux finalistes noirs aux JUNOs sont originaires de la Saskatchewan. Dione Taylor, qui est en lice pour l’album de blues de l’année, est l’autre.
Taylor espère que ces nominations remettront en question « l’idée que les Noirs et les musiciens noirs venant de la Saskatchewan sont une idée si étrange. » M. Fowler, dont le nom de scène est K-Anthony, a grandi à Falmouth, en Jamaïque, mais vit désormais à Regina, et partage l’avis de Taylor.
« Bien qu’il y ait beaucoup de Noirs et de musiciens noirs en Saskatchewan, nous sommes toujours une minorité », dit-il. « J’espère que ces nominations donneront de l’espoir à d’autres musiciens noirs, et qu’elles mettront la Saskatchewan sous les projecteurs. »
Et peut-être attireront-ils l’attention sur les difficultés que rencontrent les artistes noirs des petites villes canadiennes pour faire de la musique et se faire entendre.
Le chanteur vivait auparavant à Yorkton, Saskatchewan (19 643 habitants, en 2017), où, selon lui, la country et le rock régnaient, et où il était difficile de trouver un producteur qui comprenait le gospel et les autres styles de musique noire. « J’ai dû élargir mes recherches à Regina et Saskatoon, qui sont plus diversifiées sur le plan culturel », dit-il. « Cela impliquait de conduire entre trois et cinq heures, parfois dans des conditions hivernales très difficiles, pour enregistrer en studio. »
Fowler dit que sa musique a lentement commencé « à recevoir du soutien à Yorkton et dans les communautés avoisinantes parce qu’elle était différente, et je suppose que les gens la trouvaient intrigante. Mes chansons ont commencé à tourner à la radio, ce qui m’a valu plusieurs entrevues à la télé. »
« Les mots décrivent une image et emmènent les auditeurs dans un voyage »
Fait intéressant, Fowler a aussi eu de la difficulté à trouver un public dans sa Jamaïque natale. Mais son plus grand défi n’était toutefois pas de tourner à la radio. « Le reggae et le dancehall sont les deux genres les plus populaires là-bas, et même la musique chrétienne et gospel est influencée par ces sonorités », dit-il. Mon style de musique avait une vibe plus chrétienne contemporaine et R&B, alors peut-être que les décideurs ont trouvé que ce n’était pas assez « jamaïcain ». » Fowler raconte qu’un producteur lui a un jour suggéré de quitter le pays pour trouver le succès, car il n’y avait pas de public pour sa musique en Jamaïque.
Son son a commencé à prendre forme alors qu’il fréquentait l’église adventiste du septième jour à Falmouth. Il était membre de la chorale des jeunes et réarrangeait souvent les vieux hymnes chantés à l’église. « Les jeunes voulaient quelque chose qui leur ressemble plus », dit Fowler, et il a donc donné aux hymnes une tournure R&B.
Il dit que ses chansons s’inspirent d’expériences personnelles, de la Bible et de l’actualité, et que les meilleures chansons sont le résultat d’une « honnêteté avec soi-même et d’une tentative de mettre en mots sa douleur et ses expériences. Les mots sont parfois difficiles à trouver, mais quand vous les trouvez, ils décrivent une image et emmènent les auditeurs dans un voyage. »
us avons demandé à Fowler si la pandémie a renforcé sa foi. « Je vois comment Dieu a été fidèle à moi et à ma famille », dit-il. « Tous nos besoins sont comblés. Ça me rappelle un vieil hymne qui dit : “Ton amour est maintenant chaque matin”. »
« Je sais que ce sont des moments tristes pour tout le monde, et encore plus pour les personnes qui ont perdu des êtres chers », ajoute Fowler. « J’espère redonner un peu d’espoir aux gens grâce à ma musique. »
Photo par Norman Wong
Charlotte Cardin: tout ressentir au max
Article par Dominic Tardif | jeudi 22 avril 2021
Charlotte Cardin a dû se retenir à deux mains en mars 2020, alors que la planète entrait en jachère, pour ne pas demander à son équipe de rouvrir les dossiers et de faire subir à son premier disque une énième ronde de retouches.
« Quand la pandémie a frappé, j’ai tout, tout, tout fait ce que je pouvais pour ne pas replonger dans l’album, qui était en train se faire mastériser », avoue-t-elle en riant. Perfectionniste ? C’est l’évidence. Mais est-ce une qualité ou un défaut? « Je pense que c’est une qualité. C’est important de l’être. Mais il ne faut pas que ça devienne obsessif. »
Avec ses 117 millions d’écoutes récoltées en ligne, Charlotte Cardin est assurément l’artiste québécoise la plus populaire parmi ceux et celles qui n’avaient pas encore lancé d’album complet – vous savez, cette douzaine de chansons partageant plus ou moins un thème commun, que l’on encodait jadis sur un disque compact ? Avec le succès phénoménal et enviable de ses deux EP, Big Boy (2016) et Main Girl (2017), pourquoi ne pas avoir maintenu cette stratégie ? Autrement dit : à quoi ça sert, un album complet, à l’époque des listes de lecture ?
« C’est sûr que le premier album, c’est un ancrage symbolique fort que je trouvais trippant. C’était important pour moi de faire un premier album, juste parce que j’avais envie d’en faire un. J’en écoute encore, des albums », répond la musicienne avec son cœur, avant d’évoquer des considérations plus pragmatiques. « Mais un album, ça me permet d’avoir accès à certaines choses qui n’auraient pas été possibles avec des EP. C’est vrai que l’industrie évolue, mais on est encore au milieu d’un changement. Les gens ne consomment plus la musique comme avant, mais les médias attendent des albums. En France, par exemple, avant que j’annonce un album, on me recevait moins sur les plateaux. »
Choses gênantes
Le choix s’imposait donc d’un point de vue médiatique, mais il s’avère aussi très avisé d’un point de vue strictement musical, tant Phoenix permet de réellement faire connaissance avec la chanteuse de 25 ans, sous toutes ses facettes et dans toutes ses vulnérabilités, ses colères, ses angoisses, ses espoirs et ses craintes, qu’elle chante l’incommunicabilité amoureuse (la pièce titre), le sentiment de légèreté suivant la fin d’une relation boiteuse (Passive Aggressive), la crainte de voir un ami s’enfoncer dans la noirceur (Sun Goes Down (Buddy)) ou son furieux désir de s’affranchir du poids de plaire, qui incombe aux femmes (Anyone Who Loves Me).
« J’ai partagé des choses gênantes (embarrassing things) », confie-t-elle dans la notice biographique accompagnant la parution du disque (lancé sous étiquette Cult Nation au Québec, Atlantic Records aux États-Unis et Parlophone en France). Gênantes comment, lui demande-t-on? « Je parle de choses super personnelles et crues, que je n’ai pas romancées pour les rendre plus léchées ou racontables. J’avais besoin d’aller toucher quelques blessures qui étaient là depuis longtemps et que je n’osais pas affronter. C’est là que j’ai été confrontée à plein de petits moments de honte, des tristesses que je n’avais jamais pris le temps de guérir. Des trucs que je ne pensais jamais partager… et que j’ai fini par partager ! » Elle éclate de rire, comme effaré par sa propre impudeur. Puis petit moment de silence au bout du fil. Charlotte semble hésiter à entrer davantage dans les détails.
« Les chansons parlent d’elles-mêmes, mais c’est sûr qu’une chanson comme Good Girl [sur la dépendance affective], ça ne raconte pas quelque chose de glorieux, même si je suis consciente que beaucoup de gens, beaucoup de femmes vont un jour se sentir comme ça dans leur vie. »
Pour l’autrice-compositrice, il aurait été inconcevable d’écrire ces chansons de vertige sans fouiller les derniers retranchements de son cœur, sans y aller à fond. Si son album a autant tardé à paraître, c’est beaucoup parce qu’apprendre à laisser tomber tous les masques demande un certain apprivoisement. « On est dans une société où il y a beaucoup de superficialité partout, où tout va vite et j’avais le goût d’aller explorer des émotions qui me déchirent. Quand tout va trop vite, on ne se donne pas le droit de ressentir les choses au max. » Ressentir les choses aux max ; voilà, pour elle, une condition essentielle à la création de refrains qui porteront une part de vérité.
Chose certaine, qu’elle parle de sexe sans attache (Sex to Me) où qu’elle se permette quelques mauvais mots (on ne fait pas plus suave virelangue que « A fistful of kisses / For a list full of bitches », dans XOXO), Charlotte Cardin rompt à plusieurs égards sur Phoenix avec son image de fille… Le journaliste hésite et la principale intéressée propose elle-même l’adjectif « douce ». « J’adore chanter ces mots-là ! lance-t-elle. Je prends plaisir à les dire, parce que dans mon quotidien – peut-être malheureusement – je sacre pas mal. Je sens que je suis plus proche de moi quand je m’exprime dans mes chansons comme je m’exprime dans la vie. »
Réapprendre à écrire
Fille d’une mère épidémiologiste et d’un père agent de brevets en biotechnologie, tous les deux mélomanes, Charlotte Cardin crée sa première chanson à 13 ou 14 ans. « On devait écrire un poème dans un cours d’anglais et j’avais poussé le projet un peu plus loin. » Cette première tentative, peu mémorable, cimentera néanmoins son modus operandi des prochaines années : écrire lorsque l’inspiration cogne à la porte. Une tactique déficiente lorsque vous avez un premier album à échafauder, dans un délai raisonnable.
« Être confrontée à écrire tout un album dans une période de temps limité, me discipliner, être rigoureuse, sérieuse, c’est quelque chose que je n’avais jamais fait avant. J’ai dû réapprendre à écrire de la musique. » Elle jette à la corbeille les ébauches pondues dans les dix premiers mois de création en solitaire de ce qui deviendra Phoenix. « Rien de ce que j’écrivais ne me procurait de petits papillons » – avant de se tourner vers la coécriture, avec son gérant Jason Brandon (qui signe, ou cosigne avec Marc-André Gilbert, la réalisation de l’essentiel de l’album).
« La raison principale pour laquelle ç’a été long, c’est que j’ai sous-estimé le temps que ça allait me prendre. Je pensais que j’étais plus rapide que je le suis pour écrire. Je me suis retrouvée face à mes propres limites. J’écrivais en essayant de gérer les attentes. Qu’est-ce que les gens ont envie d’entendre ? C’était la mauvaise approche. »
À l’instar d’un de ses groupes préférés, Radiohead (qu’elle cite sur Romeo), Charlotte Cardin aura dû faire fi des expectatives, ranger ses propres appréhensions au placard et « se libérer » du poids qu’elle s’était elle-même placée sur les épaules (l’expression « me libérer », ce jour-là, ponctue ses phrases comme un mantra). Cette gestation au long cours lui aura notamment permis d’explorer les possibles de sa voix, qui n’aura jamais autant été celle d’une chanteuse soul que sur Anyone Who Loves Me, avec son refrain en forme d’avertissement sans équivoque: « We’re not your fancy dolls / You better set us free / Or else we’ll fuck you up ».
« En ayant pu faire beaucoup de tournée, j’ai exercé ma voix à développer une résistance qu’elle n’avait pas, explique-t-elle. J’ai constaté que j’étais capable d’aller ailleurs avec mes performances vocales, de me pousser plus loin. J’aime ça chanter de façon plus relax, plus laid back, et d’autres fois de façon plus puissantes. Le fait que Anyone Who Loves Me ait une implication vocale et émotionnelle plus importante va de pair avec le thème de la chanson, qui s’adresse à tous ceux qui tentent de dire aux femmes ce qu’elles devraient faire, ce qu’elles devraient être. »
Phoenix, c’est l’histoire d’une femme qui aura dû réapprendre à être elle-même, mais aussi, comme toute œuvre dans laquelle une artiste se révèle pour vrai, une invitation à l’empathie, une main sur l’épaule. « C’est difficile d’aller à la rencontre de nos sentiments refoulés, mais c’est ce qui fait en sorte qu’on est capable de mieux se comprendre et de mieux comprendre les autres. C’est en allant à la rencontre de nos propres sentiments qu’on parvient à avoir de la compassion pour les autres et à ne jamais se mentir à nous-mêmes. »
Photo par courtesy of / courtoisie de Laurence Lebel
Décideuse: Laurence Lebel
Article par Claude Côté | mardi 20 avril 2021
Laurence Lebel est en train d’éclore dans le printemps musical avec la rapidité d’un cerisier. « On m’a donné les clefs d’un label et du volet management et je chapeaute les deux départements ».
Artifice, la boîte de Québec spécialisée en promo radio (notamment des Louis-Jean Cormier, Les Louanges, tous les artistes signés chez Bravo Musique) n’a pour l’instant qu’une adresse postale à Montréal, donc pas de locaux. Elle possède aussi treize artistes en gérance, seize pour lesquels elle fait les relations de presse et neuf sous la bannière Disques Artifice. En plus d’œuvrer dans l’édition et la distribution numérique. L’enthousiasme de la jeune femme de 33 ans est évident. « Je ne pouvais pas rêver mieux comme environnement de travail ».
Même si elle est novice dans le domaine de la gérance, elle fonde ses ententes sur le contact humain en premier lieu. « Il y a tout en plan personnel à gérer au-delà des stratégies numériques, 95% de mes décisions personnelles et professionnelles sont basées sur l’instinct, la petite voix intérieure qui me parle ».
Ceux qui la connaissent ont tous été foudroyés plus d’une fois par son sourire radieux, ses ricanements communicatifs, sa bonne humeur proverbiale. Arrivée de Sherbrooke en 2010, Lebel a mis son nez dans plusieurs rouages de l’industrie de la musique au Québec.
« Pas facile de trouver un job en musique, tout le monde veut faire ça ! C’est insécurisant quand t’as pas trouvé ta place, j’ai été angoissée, j’ai même songé à tout laisser et faire un bac en ressources humaines. Ma plus grande qualité ? Je suis très résiliente. Plus grand défaut ? Le lâcher-prise ».
À 33 ans, dans son écosystème musical montréalais, ami.es journalistes, baladodiffuseurs, employés de l’ombre, diffuseurs, attachés de presse, sa gang comme elle dit, Lebel est l’un des visages de cette génération pour qui la promotion de la musique émergente francophone est une passion.
« Je suis toujours aux lancements de disques, comme tout le monde, j’essaie de voir les partenariats possibles avec mes projets », d’expliquer la mélomane. Et comment on recrute les prospects ? Une question de flair, bien sûr, mais encore ?
« Super Plage qu’on a signé l’été dernier, on a pris trois mois à se connaître, à se fréquenter dans des parcs, prendre des bières, à suivre l’évolution de son projet musical. Pour la stratégie de mise en marché de l’album Super Plage 2, on voulait absolument opter pour YouTube sur les dix jours précédant la sortie de l’album, une nouvelle chanson étant dévoilée chaque jour (ce qui augmente l’affluence sur la plate-forme). C’est toujours une question de ton sans dénaturer le projet. Il y a des artistes qui ont beaucoup de difficultés avec les réseaux sociaux et d’autres qui embrassent la méthode. Je dis toujours aux musiciens de ne pas se forcer si le geste ne vient pas naturellement ».
Son premier boulot en musique, elle l’obtient chez HMV en tant que disquaire section punk ! La mère de Laurence, l’illustre chanteuse country Renée Martel, fille du légendaire Marcel Martel a eu ce conseil pour sa propre fille : « elle ne voulait pas nous inclure dans son monde (le showbizz) à moins que mon frère et moi on ne le demande ».
À Montréal, elle obtient un poste à la radio étudiante CISM pour gérer les bénévoles et les émissions. Un an plus tard, elle s’engage pour quatre ans à la SOPROQ, société de gestion collective des droits des producteurs d’enregistrements sonores et de vidéoclips. « C’est là que j’ai fait mes classes, appris sur les métadonnées, tout le background d’une chanson ».
Elle passe ensuite chez Believe Digital et Dep où elle s’occupe de distribution, une aventure qui durera quatre ans, jusqu’à la faillite de ce dernier. Trois semaines plus tard, elle passe chez Audiogram pour occuper un poste en marketing numérique. « Ma première expérience en label. Au départ je ne voulais pas travailler pour une seule marque et ne m’identifier qu’à ses artistes, sauf Audiogram. Avec mon père, j’ai beaucoup écouté les musiques de Lhasa, Pierre Lapointe ou Daniel Bélanger, ils ont bercé mon enfance, c’était comme retourner dans ma famille ».
L’aventure a duré un peu moins de deux ans. « Je n’ai pas de bac en communication ou de formation en web, j’apprends sur le tas. Je butinais de job en job parce que je deviens rapidement bored si je ne suis pas stimulée par la nouveauté et que je ne peux prendre en main des projets. Plus j’avançais, plus je voulais faire de la gérance. À la fin, je sentais que j’avais fait le tour de la gestion des réseaux sociaux ».
Catherine Simard, qui venait de fonder La Maison Fauve l’a prise sous sa gouverne pour l’aider au marketing et à la coordination de gérance avec Eli Rose. Huit mois plus tard, remplie de certitudes sur son futur en gérance, Lebel quitte avec la ferme intention de partir sa propre boîte pour travailler ses propres projets.
Finalement, fin mars 2020, en pleine pandémie, Laurence est officiellement engagée par Alex Pouliot, président d’Artifice.
Qu’est-ce que son illustre mère pense du chemin professionnel parcouru par sa fille ? « Quand j’ai commencé à travailler dans l’industrie, j’entendais souvent : oh! t’es la fille de Renée! Aujourd’hui, c’est: oh ! Vous êtes la mère de Laurence ! (Rires).
Ça la fait bien rigoler parce qu’elle croise dans des émissions de télé des musiciens qui me connaissent, ou des journalistes, des recherchistes. Elle a une très grande fierté de mon parcours, sans que j’ai eu à jouer la carte de ‘la fille de’ ».