« Je dois reconnaître que le timing du lancement de mon album n’est pas idéal, car j’ai toujours cru qu’il s’agissait d’une musique pour temps froid » avoue d’entrée de jeu le violoncelliste et compositeur Justin Wright. On lui pardonnera ce léger décalage saisonnier : avec le beau temps qui se fait attendre, son Music For Staying Warm ne semble pas du tout hors saison.

Après avoir expérimenté la fusion entre synthés analogiques et cordes avec le groupe Sweet Mother Logic ainsi que sur son EP solo Pattern Seeker, le Montréalais explore de nouvelles avenues avec ce premier album enregistré en quatuor. Quelque part entre la musique contemporaine et le post rock (les fans de Godspeed You! Black Emperor devraient y trouver leur compte), alternant entre la composition rigoureuse et l’improvisation, Justin s’inscrit dans un courant de musique instrumentale qui attire de plus en plus de mélomanes.

« Très tôt, je me suis dit que je ne serais probablement jamais le meilleur violoncelliste ou le meilleur compositeur alors il me fallait trouver un angle différent, une manière bien à moi d’être créatif avec mon instrument, explique-t-il. C’est pour ça que j’aime me fixer des limites, m’imposer des défis. Pour cet album, par exemple, je voulais que chaque son qu’on entend vienne d’un instrument à cordes. Les gens seraient surpris de voir tous les bruits étranges qu’on peut tirer de ces seuls instruments. »

« Avec ce projet, je me mets vraiment de l’avant, et ça me rend un peu nerveux ! »

Inspiré par Brian Eno et son Music for Airports, Justin a lui aussi opté pour un titre utilitaire qui renvoie à la première étincelle du projet. Invité à créer un environnement sonore pour une galerie d’art lors de la Nuit Blanche en 2016, il a composé quelques mélodies qui devaient servir de tapisserie musicale aux gens littéralement venus se réchauffer lors de cet événement qui se tient en plein cœur de l’hiver. À sa grande surprise, les passants se sont attardés et ont tendu une oreille attentive à son travail.

Les compositions initiales ont ensuite évolué en une œuvre touffue et complexe, à la fois cérébrale et sensible. L’album est traversé de quatre « drones », des pièces minimalistes construites autour de notes soutenues qui invitent à la transe. « Pendant la création, j’écoutais beaucoup de musique tizita d’Éthiopie, qui n’utilise généralement que deux accords et j’étais fasciné par ces pièces qui semblent n’avoir ni début ni fin. (…) Comme instrumentiste, il y a quelque chose de fascinant et d’hypnotique à jouer des choses minimalistes : c’est fou la quantité de variations que tu peux mettre sur une seule note » remarque Justin.

C’est au Centre des Arts de Banff, où Justin s’installait pour la troisième fois, que l’album a été enregistré et en fermant les yeux, on peut aisément s’imaginer en plein cœur de cet environnement idyllique. « Difficile de ne pas être impressionné et inspiré quand tu travailles là-bas, confirme-t-il. Le studio a des fenêtres de tous les côtés et peu importe où tu regardes, tu vois ces majestueuses Rocheuses. Parfois, tu en as le souffle coupé, mais d’un point de vue créatif, c’est bon de se faire rappeler à quel point nous sommes tout petits dans l’univers. »

Peut-être que sa formation universitaire en biologie moléculaire lui a appris à regarder la nature avec attention, mais on pourrait supposer que cette modestie vient aussi peut-être de son rôle d’accompagnateur en série. Si vous suivez la scène underground, vous avez probablement eu l’occasion de le voir avec des artistes comme Common Holly, Krief, Raveen et plusieurs autres. Son talent d’instrumentiste et d’arrangeur peut aussi être apprécié sur les récents albums de Jeremy Dutcher, récipiendaire du Prix Polaris, et de Mich Kota, deux artistes uniques qui redéfinissent la culture autochtone contemporaine.

« Honnêtement, je pense que je n’ai pas de grand message à porter dans ma musique; j’essaie d’aborder des thèmes universels, car je ne crois pas que l’histoire d’un petit gars blanc qui a grandi dans un milieu plus que confortable soit si intéressante que ça, lance-t-il avec un petit ricanement. Pour les artistes des Premières Nations, c’est différent : leurs voix ont été réprimées si longtemps qu’il est important qu’on les entende aujourd’hui et je suis heureux de pouvoir prêter mon talent à des artistes qui ont tant de choses à dire. »

Quoi qu’en pense son compositeur, Music for Staying Warm en a long à dire, même sans paroles. On y sent clairement la personnalité d’un artiste qu’on espère suivre pour toute une carrière. « J’avoue que le rôle d’accompagnateur a quelque chose de confortable : tu n’as pas à prendre de grandes décisions et tu te mets au service de l’autre. Avec ce projet, je me mets vraiment de l’avant et, pour être honnête, ça me rend un peu nerveux! Je ne m’attendais pas du tout à ce que ça prenne autant d’ampleur, mais plus le projet avançait, plus j’arrivais à apprécier mon propre travail. »