Quatre ans après ce Sun Leads Me On qui leur a ouvert les portes de l’Europe, le quatuor montréalais Half Moon Run lance un troisième album qui, envers et malgré lui, fera office de test : est-ce par A Blemish in the Great Light que la prophétie se réalisera, celle de percer le marché états-unien et d’effectuer là-bas une tournée d’aréna en tête d’affiche ? Tout ce que ça prend, après tout, c’est un gros hit qui passe dans les radios ? « C’est exactement ce que nous disent les gens de notre label », répond prudemment Devon Portielje…

« J’espère que ça ne sonnera pas trop aride, dit comme ça, mais ce qu’on recherche, c’est du songwriting efficace », explique Devon Portielje, principal compositeur, chanteur et guitariste-multi-instrumentiste d’Half Moon Run, précisant ainsi sa pensée : « Est-ce que notre manière de composer suscite les bonnes émotions ? Est-ce que l’auditeur est vite lassé par ce qu’il entend ? L’équilibre est fragile, entre une chanson juste assez répétitive pour que les gens s’en souviennent et une chanson dont personne ne se souviendra ».

Et c’est pour ça, poursuit-il, « qu’on répète à mort, qu’on joue devant public et qu’on réenregistre constamment nos nouvelles chansons avant de les mettre sur disque, pour pouvoir éliminer tous les détails superflus, et mettre l’accent sur les passages plus émotifs. » C’est Devon qui compose les chansons « à 95%; souvent, je vais demander à Conner [Molander, multi-instrumentiste] de choisir entre telle ou telle strophe dans un couplet, et c’est lui qui tranchera. Je compose à la guitare et au piano, surtout à la guitare, parce que je suis moins doué au piano. Souvent je vais transposer telle mélodie de guitare au clavier, juste pour voir comment elle change, comment ça peut provoquer de nouvelles idées d’accords. » Le scénario idéal survient lorsque Devon a déjà un ou deux couplets, un refrain, une mélodie, et que le reste du groupe s’empare de l’embryon de chanson pour lui donner corps, arrangements, pulsion rythmique.

Le groupe est présentement en tournée européenne, or en vérité, il n’a jamais vraiment arrêté de tourner, passant l’été à tester son nouveau matériel devant public – la moitié des nouvelles chansons de A Blemish in the Great Light, dont l’enregistrement fut bouclé au printemps dernier, a déjà été entendu sur scène. « Pour nous, c’est un aspect critique dans le processus de création d’un album, quelque chose qui était plus facile avant que l’on se fasse connaître, abonde Portielje. Nous avions beaucoup joué toutes les chansons de notre premier album avant de les enregistrer. Les gens n’avaient aucune attente puisqu’ils ne nous connaissaient pas. De cette manière, on peut vraiment tester le matériel – ah!, ce passage dans la chanson n’a pas l’air de fonctionner auprès du public. »

« J’ai réalisé qu’à la radio, nos enregistrements manquaient de relief, qu’elles étaient trop douces », Devon Portielje, Half Moon Run

« Je découvre que je deviens beaucoup plus objectif par rapport à nos compositions lorsqu’on les joue devant public, c’est très différent que de les jouer dans un local de pratique, enchaîne le musicien. On peut sentir l’énergie monter ou descendre pendant qu’on joue. Après chaque concert, on a besoin d’une quinzaine de minutes ensemble pour analyser ce qui s’est passé et comment le public a accueilli nos chansons. » On pourrait presque dire que les fans ont une influence sur le travail de composition d’Half Moon Run – « mais on ne pourrait jamais le dire officiellement, question de droits d’auteur », rigole Devon Portielje.

Pour A Blemish in the Great Light, Half Moon Run s’est tournée vers un style d’écriture plus éclatant, estime-t-il. « Je me souviens une fois j’étais dans un magasin, la radio jouait doucement, puis j’ai cru qu’on l’avait fermée; en fait, c’était une de nos chansons qui jouait. J’ai réalisé qu’à la radio, nos enregistrements manquaient de relief, qu’elles étaient trop douces ». Donner du punch à la production, voilà le mandat que le groupe a confié au réalisateur chevronné Joe Chiccarelli, dont la feuille de route se garnit de collaborations avec Broken Social Scene, Eleni Mandell, The Strokes, Mika, The White Stripes et nombre d’autres.

Les références au songwriting pop-rock classique abondent sur ce troisième disque, qui pullule de clins d’oeil aux Beatles et à James Taylor, pour ne nommer qu’eux. « Issac [Symonds, multi-instrumentiste] et moi avons écouté beaucoup de soft rock des années ‘70, on aime beaucoup ce genre, abonde le musicien. C’est du songwriting studieux; sur notre album, y’a des milliers d’influences, des micro-références, si bien qu’il est difficile de dire qu’une d’entre elles compte plus que les autres. »

« Par exemple, pour [le single] Favorite Boy, je voulais vraiment que ça sonne comme la chanson Dreams de Fleetwood Mac. Ce son de batterie !  J’ai réussi à trouver sur le web la reproduction d’un vieil article de magazine dans lequel est interviewé l’ingénieur de son de Dreams; le gars avait fait un diagramme de la manière dont il avait placé et branché la batterie, et comment il avait érigé des murs de contre-plaqué autour pour donner impression d’un son live. On a tout essayé… mais ça n’a pas fonctionné! »



Que ce soit dans les chansons contagieuses qu’elle écrit ou dans les vêtements magnifiques qu’elle porte et qui lui ont permis d’orner les pages du magazine ELLE, RALPH ne néglige aucun détail.

À preuve : Flashbacks and Fantasies, le titre accrocheur de son nouveau EP qui paraîtra le 17 novembre. « Toutes les chansons abordent la question de désirer quelque chose qui n’est plus là ou qui n’a jamais été là et je voulais un titre qui unifie ces thèmes », explique RALPH, alias Raffaela Weyman. « Sur “Last Time”, par exemple, j’aborde la question d’une rencontre avec un ex qui se termine par une relation intime, tandis que sur une autre chanson je parle du fait de savoir qu’il y a quelqu’un pour vous quelque part dans le monde, mais vous ne l’avez pas encore trouvé. Je crois qu’il y a un aspect “flashback” et fantasme dans chacune d’elles. »

Il n’y a aucun doute que ses chansons ont un côté confessionnel lorsqu’elle écrit au sujet de l’univers amusant, mais désordonné des relations amoureuses. RALPH affirme que tout ce qu’elle écrit est autobiographique et qu’elle ne se sent pas vulnérable lorsqu’elle partage ses expériences avec des millions d’inconnus.

« Je ne m’en fais pas si les gens savent les tenants et aboutissants de mes relations, mais je fais attention de l’effet qu’une chanson peut avoir sur la personne qui en est le sujet », dit-elle. « J’étais un peu inquiète lorsqu’on a lancé la pièce “Gravity”, je craignais que cet ex serait fâché et m’accuserait de laver mon linge sale en public. » Mais elle s’empresse d’ajouter « lorsque quelqu’un est en relation avec moi, il est important de savoir que les joies et les peines de ma vie finiront par se retrouver dans mes chansons. »

Et les histoires personnelles de RALPH sont très bien accueillies pas ses fans. À ce jour, la chanteuse de 27 ans a cumulé plus de 26 millions d’écoutes sur Spotify, quatre millions sur Apple Music, et ses clips cumulent plus de 1,5 million de visionnements. Elle a joué au Mariposa Folk Festival l’été dernier, a fait une apparition à l’émission eTalk diffusée à l’échelle nationale sur CTV et elle a assuré la première partie de Carly Rae Jepsen durant le volet canadien de sa tournée. Il est évident que ces chiffres impressionnants et son attrait grand public sont en grande partie dus à sa voix aux couleurs soul — elle a une formation classique en chant — et à sa pop bien léchée. Elle préfère d’ailleurs l’étiquette pop que électro pop, bien que les synthés jouent un rôle central dans ses chansons éminemment accrocheuses.

“Les joies et les peines de ma vie finiront par se retrouver dans mes chansons.”

Sur Flashbacks and Fantasies, RALPH veut s’éloigner du stéréotype qui lui collait à la peau, la « chanteuse qui sort des “mid-tempo bangers” en expérimentant avec des trucs que je n’avais essayés auparavant », comme elle l’explique dans ses propres mots. « Là, je propose un morceau R&B très langoureux, un hymne à la Robyn et une pièce dance aux saveurs house. Je déteste l’idée qu’on me trouve prévisible, alors ce nouveau disque sera différent tout en étant de toute évidence un projet de RALPH. »

Même si la musique de RALPH a de toute évidence les planchers de danse dans le collimateur, elle ne se gêne pas pour pimenter sa pop de commentaires sociaux. « Il y a une chanson sur le nouveau EP qui s’intitule “Headphone Season” qui parle des étrangers qui me demandent de leur offrir un sourire ou de sourire plus », raconte-t-elle. « Je déteste ça, c’est comme s’ils pensaient qu’ils peuvent me dire qui faire avec mon visage ou mon corps. D’ailleurs à la fin de la chanson, je dis “j’ai une suggestion : ne dites jamais aux femmes quoi faire avec leurs corps.” »

En août dernier, RALPH a participé à l’organisation d’un concert bénéfice — en plus d’y donner une prestation — pro-choix qui a amassé 17 000 $ pour le Bay Centre for Birth Control du Women’s College Hospital de Toronto et le National Network of Abortion Funds aux États-Unis.

« Je suis constamment inspirée par le nombre grandissant de femmes qui partagent leurs histoires comme celles qui ont été agressées sexuellement au travail », dit-elle. « J’écris des chansons avec des commentaires sociaux parce que je souhaite que la société devienne plus sensibilisée, sensible et respectueuse. »



On le reconnaît à ses envolées fédératrices, ses hymnes lumineux, son goût de la poésie, ses références à Duras ou Falardeau. Toujours aussi éclectique de sa personne, Alex Nevsky se risque à d’autres jeux sur Chemin sauvage.

Rejoint depuis son nid douillet d’où les pommiers poussent en quantité, la petite ville de Rougemont en Montérégie, l’ex-Montréalais né à Granby s’apprête ces jours-ci à lever le voile sur un nouveau bouquet de chansons. Comme si ce changement de décor avait imprégné sa plume, Alex Nevsky y aborde l’écriture d’un angle plus fleuri encore qu’à ses débuts, enjolivant son lexique d’images champêtres et parfumant ses mots de lilas, d’hydrangée qui rosit. « J’ai composé On dérobera à l’atelier d’écriture de Gilles Vigneault en janvier 2018. […] En fait, le plus gros de ces textes témoigne vraiment d’un appel à la nature. J’habitais pas encore ici, j’étais pas encore là, mais c’est ce que je voulais. Je m’y projetais. »

Sans marquer un point de rupture avec ce que l’auteur-compositeur-interprète a pu pondre auparavant, ce disque à paraître chez Musicor (il était auparavant signé sous Audiogram) s’impose comme le début d’un cycle distinct. N’empêche, ce virage n’était pas motivé par sa vie de famille toute récente, sa progéniture encore aux couches. De ça, il s’en était fait la promesse.

« En fait, j’avais vraiment peur de tomber dans une redite qui est commune à un quatrième album ou à un jeune papa, tu sais. C’était vraiment ma crainte de devenir le papa qui allait écrire des trucs sur son enfant. […] J’ai vu trop de personnes que j’aime beaucoup tomber dans ces patterns créatifs là durant la fin trentaine… On dirait que c’est de quoi que j’appréhendais beaucoup donc je me suis armé de plein de gens qui m’inspirent. »

Gabriel Gagnon (Milk & Bone) et Clément Leduc (Geoffroy, Hologramme) sont de ces gens, coréalisant Chemin sauvage auprès d’Alex Nevsky. Ce type follement doué qui, mine de rien, aura su migrer des palmarès de CISM au plateau de La Voix en un temps quasi record. Loto, un titre enregistré aux côtés des prodigieux rappeurs d’Alaclair Ensemble, évoque justement la chance qu’il a pu avoir, la bonne étoile qui flotte toujours au-dessus de son crâne.

Acoquiné aux Bas-Canadiens comme jamais, « un match un peu moins naturel » mais dont il rêvait depuis longtemps, l’alchimiste pop renoue avec Eman qui signe le flow et les paroles du premier couplet de la plage numéro 10. En plus, Courir à deux s’ouvre sur un échantillonnage tiré du répertoire de Boule Noire et révèle le vocaliste sous des airs plus soul. « Ça, s’est vraiment apparu à la fin, fin, fin. Au début, elle était comme deux fois plus nerveuse de par le piano, le beat qui allait plus vite. On l’avait fait avec Étienne Dupuis-Cloutier et Gab, mais finalement on l’avait jetée. Quand on en est venus à manquer de tounes à la fin de l’été, j’ai voulu y donner une autre chance. »

Sortir de sa zone de confort, donc. Tel aura été son leitmotiv. Pour une première fois depuis I’m Sticking on You, pièce issue de son offrande de 2010, Alex Nevsky adopte une posture franglaise dans ses refrains. Ses duos avec Claudia Bouvette et Sophia Bel en sont, à cet égard, l’illustration la plus probante. « Après De Lune à l’Aube, je me disais que c’était trop facile… […] En même temps, je trouve que c’est un peu un avis de défaite sur le défi que je m’étais lancé avant, soit de travailler plus fort pour honorer le français. Maintenant, je sais pas, c’est peut-être plus un truc d’époque aussi. J’ai pas envie de faire un disque en anglais, mais une chose est certaine ; quand il y a des phrases qui me viennent naturellement en anglais, j’essaie désormais de les laisser vivre avec un peu moins de restrictions. »

Décomplexé quant aux questions linguistiques et prêt à faire fi des mauvaises langues, le musicien clôt l’album avec Tout, « presque une parodie d’Alex Nevsky » avance-t-il sans filtre, un extrait qui risque fort bien de se faufiler jusqu’aux palmarès des radios commerciales de par son refrain modelé sous le poids des ouh, ouh, ouh. « Je me disais “ok, je sais que je pourrais mettre des mots, parce que les gens vont encore dire que je fais juste des fucking tounes avec des onomatopées et que c’est juste ça que je sais faire, bla bla bla…” Mais il fallait prendre une décision et ça a été un choix très conscient. J’ai décidé d’y aller. […] Ça, ça venait de plein de commentaires que j’ai reçus depuis que je suis très populaire, de plein de blagues qu’on fait sur moi. C’est sûr qu’en fin de compte, la création est inévitablement teintée de notre parcours. »