Le Club Soda était rempli à ras bord le 11 mai dernier, à l’occasion du lancement de ZayZay, deuxième album de FouKi. Devant un (très) jeune public en liesse, le rappeur de 22 ans a livré une prestation pleine de vigueur – assurément l’une de ses meilleures en carrière.

Visuellement, le spectacle avait quelque chose d’exceptionnel dans le parcours du Montréalais. Derrière lui et ses indéfectibles alliés QuietMike (au portable) et Vendou (aux choeurs) se dévoilaient une immense maison en feu cartonnée, ainsi que des projections cartoonesques, conçues par l’agence Pestacle, en phase avec les thématiques de ses chansons (des assiettes de spaghetti pour S.P.A.L.A., de l’argent qui tombe du ciel pour Gwap…). À trois reprises, les danseurs de l’agence 360 MPM sont venus ajouter une couche de dynamisme avec leurs sympathiques chorégraphies.

« Pour vrai, on a tellement eu de fun », résume FouKi, encore sur un nuage lorsqu’on le rencontre quelques jours plus tard « C’était étonnant que les gens connaissent autant les paroles. On aurait dit que l’album était sorti y’a plus d’un mois, alors que ça faisait à peine une semaine. »

D’emblée, il faut dire que les chansons de FouKi sont faciles à retenir. Simples sans être simplistes, accrocheuses sans être racoleuses, elles bénéficient du talent de compositeur de QuietMike, l’un des producteurs québécois les plus doués de sa génération. Interprétés dans un Club Soda survolté, ces vers d’oreille deviennent des hymnes chantés à l’unisson. Des hymnes à la positivité que le rappeur crée de la façon la plus sincère possible, sans jamais chercher à entretenir une image à laquelle il ne s’identifie pas.

« Je suis parfois en criss, mais 95% du temps, je suis très positif », assure-t-il, lorsqu’on lui demande si, parfois, il se fâche. « Je me considère plus inspiré quand je suis heureux. J’ai l’impression que c’est un héritage du reggae, un style que j’écoute beaucoup. Même si les sujets sont parfois dark dans cette musique-là, il y a toujours le groove qui peut changer le vibe. »

Abordant plus souvent qu’autrement son amour du « kankan » (le cannabis) et de sa copine, les textes de FouKi sont à l’image de son humeur du moment. Propulsé au-devant de la scène rap québécoise, le rappeur vit actuellement un rêve, et on le comprend de vouloir nous en faire part.

La création, une histoire de «vibe»
Pour créer, FouKi a besoin de tranquillité. Joint de « kankan » à la main, beat de QuietMike dans les oreilles, le rappeur recherche avant toute chose une mélodie vocale accrocheuse. « Une fois que je suis dans un bon vibe, je veux trouver des hooks simples, quelque chose que même un bébé d’un an et demi pourrait chanter. Dès que j’en ai un dans la tête pendant plusieurs minutes, je sais que je tiens de quoi et je commence à écrire le texte. »

Sans avoir été parsemé d’embûches, son cheminement a toutefois été ponctué de doutes, tout particulièrement au niveau scolaire. Sur Papillon, il s’ouvre sur son épineux cursus secondaire et sur les difficultés qu’il a rencontrées pour obtenir son diplôme. « École pour adulte, mais regarde-toi, faudrait peut-être que tu commences par en devenir un / J’coulais tout l’temps en français, mais quand même dans les 10 auteurs de Radio-Canada », rappe-t-il, évoquant cette marque de reconnaissance qu’il a obtenue en 2017 de la part de l’émission Plus on est de fous, plus on lit!. Une belle vengeance.

« Le système d’éducation est pas fait pour tout le monde. Et ce que je remarque, c’est que, souvent, les bolés sont les plus awkwards », dit-il, en riant. « L’école, ça t’apprend à être meilleur, mais ça peut aussi t’emprisonner. Overall, c’est peut-être moi qui travaillais pas assez fort, mais dans tous les cas, c’est sûr que le cadre scolaire fittait pas avec ce que je voulais. »

À l’âge de 15 ans, l’adolescent avait la tête ailleurs, sachant déjà qu’il voulait dédier sa vie au rap. Inspiré par la nouvelle vague rap québécoise des Alaclair Ensemble, Koriass et Dead Obies, il a formé le groupe Ségala avec ses amis et s’est lié d’amitié avec un camarade de classe et talentueux beatmaker en devenir : QuietMike. Quelques années plus tard, en 2016, les deux acolytes dorénavant inséparables faisaient paraître leur première mixtape sur Bandcamp, Plato Hess, bougie d’allumage du « rap de gentil » montréalais, mouvement hip-hop hédoniste et spontané duquel se réclament aussi L’Amalgame, Kirouac & Kodakludo et toute la bande du méga collectif La Fourmilière.

Depuis, FouKi et QuietMike ont fait des pas de géants sur la scène rap d’ici, accumulant pas moins de sept projets en l’espace de deux ans et demi. Le terme « productivité » leur colle maintenant à la peau. « Je me force jamais à écrire, donc j’ai jamais le syndrome de la page blanche », répond le rappeur lorsqu’on lui demande son secret. « J’attends qu’une idée me pop dans la tête, et le texte sort tout seul. Le meilleur exemple, c’est Tjrs raison. On était à Québec et je m’obstinais avec ma blonde. Finalement, j’avais tort, donc elle m’a dit : ‘’Tu vois, j’ai toujours raison !’’ J’ai commencé à l’imiter et, d’une manière ironique, c’est devenu une toune. Je rappe la chanson comme si j’étais ma blonde. »

Mais l’exercice n’est pas si ironique que ça. Plus confiant que jamais, FouKi affiche une grande assurance, parfois un peu prétentieuse, sur ce deuxième album, en vantant constamment les mérites et les retombées de son succès, et en fustigeant du même coup ses détracteurs. « J’mets toutes les fuckboys qui parlaient, dans mon dos / Maintenant, on m’paye comme du monde pour rocker des shows / Mais j’ai su faire mon chemin, j’ai pas regardé les autres », rappe-t-il sur la mordante Faut c’qui faut, une collaboration avec le Bruxellois Isha et le Parisien Lord Esperanza.

« Veux, veux pas, y’a des gens qui aiment pas ça que les autres réussissent. Ils vont passer une bonne partie de leur temps à essayer de trouver tes défauts, à t’envoyer chier dans leur salon. C’est drôle à dire, mais leur négativité m’inspire. »

Conscient que son succès instantané soulève les passions sur une scène rap qui nous a habitués aux mêmes têtes d’affiche pendant des années, FouKi accueille à bras ouverts l’engouement des derniers mois. Toutefois, le rythme intense des spectacles a bien failli avoir raison de son éternel optimisme il y a peu de temps.

« Du jour au lendemain, j’ai vécu un bon smash. Y’a même une semaine où j’ai eu envie de tout lâcher… Je me suis questionné et, finalement, je me suis dit que, tant qu’à travailler dans n’importe quel domaine qui me passionne pas vraiment, aussi bien tout donner pour travailler dans ce que j’aime pour vrai. Là, je suis vraiment actif, mais j’ai pas l’intention de faire un album et une tournée chaque année. J’ai peur d’arriver à 26 ans et d’en avoir ma claque ! »

« Je compte donc prendre des pauses, faire des trucs on the side. Je m’intéresse de plus en plus à l’acting, au doublage. Je veux aussi perfectionner mon studio et travailler avec des gens, leur donner des conseils, guider leur création, les aider à trouver des hooks, des flows… J’ai l’impression que le fait d’être devenu une personnalité publique peut m’ouvrir des portes, le genre de portes auxquelles j’aurais jamais eu accès sans diplôme et sans expérience. »