Bryan Adams et Jim Vallance ont écrit tant de chansons pop ensemble depuis 1979 que, comme le veut l’adage, ils pourraient le faire les yeux fermés. Mais il y a trois ans, le duo a accepté de piloter un projet dont ni l’un ni l’autre ne s’attendait à être un tel apprentissage et autant de travail : écrire la musique d’une comédie musicale sur Broadway, Pretty Woman : The Musical.

« Je pense que ni Bryan ni moi ne savions tout à fait dans quoi on s’embarquait », admet volontiers Vallance. « Nous n’avons entrepris aucun autre projet et nous avons très peu écrit pour d’autres à part Pretty Woman. Ç’a vraiment accaparé tout notre temps au cours des dernières années. »

La comédie musicale est inspirée de l’immense succès au box-office Pretty Woman, paru en 1990, mettant en vedette Julia Roberts et Richard Gere, scénarisé par J.F. Lawton et réalisé par le regretté Garry Marshall qui a joué un rôle clé dans le développement du spectacle sur Broadway jusqu’à sa mort en 2016. Il raconte l’histoire d’une brillante et fougueuse prostituée, Vivian Ward (interprétée dans le spectacle par Samantha Barks) et d’un homme d’affaires riche et ambitieux, Edward Lewis (Andy Karl) et il a été adapté pour la scène par le metteur en scène et chorégraphe lauréat de deux prix Tony, Jerry Mitchell.

« Nous devions tout simplement écrire les meilleures chansons que nous pouvions. » — Bryan Adams

Après cinq semaines d’avant-premières à Chicago plus tôt cette année, le spectacle est officiellement présenté sur Broadway depuis le mois d’août au Nederlander Theatre, et la critique est très positive. L’enregistrement de la distribution originale — que Vallance et Adams ont produit en à peine deux semaines aussitôt que le rôle masculin principal a été attribué et toutes les chansons finalisées — est maintenant disponible en format numérique et physique.

C’est le metteur en scène Mitchell qui avait le dernier mot et qui a conseillé à Adams et Vallance de ne pas être trop « rigoureux » – par exemple, si un acteur descend les marches d’un escalier en chantant, ne lui faites pas chanter « Me voici, je descends les marches d’un escalier » », explique Vallance. Il les a également empêchés d’être trop métaphoriques ou d’utiliser des mots vides de sens simplement parce qu’ils sonnent bien. « On pensait pouvoir en passer quelques-unes sous son nez, mais Jerry voit tout », rigole Vallance.

Les auteurs-compositeurs ont volontiers accepté les directions du metteur en scène dans la mesure où ils se savent exégètes dans cette discipline et malgré le fait qu’ils ne sont pas habitués à se faire dicter leur conduite lorsqu’ils enregistrent les albums d’Adams. Personne ne dit au chanteur de classiques internationaux comme « Cuts Like a Knife », « Run To You », « Summer of ’69 » et « Straight From the Heart » dont les albums se sont écoulés à 75 millions d’exemplaires de faire ses devoirs ou de changer ceci ou cela. « Dans une comédie musicale, chaque chanson, chaque strophe, chaque mot doit être au service de l’histoire », explique Vallance. « Le metteur en scène était intraitable à ce chapitre. »

Jim Vallance, Bryan Adams, Pretty Woman

Au travail sur Pretty Woman en studio. (Photo : Angie Bambii)

« Nous écoutions ce qu’il avait à nous dire, puis on retournait à la case départ et on écrivait une nouvelle ébauche », raconte Bryan Adams. « Les gens qui ont beaucoup d’expérience dans la création de comédies musicales comprennent le format, les boutons qui doivent être enfoncés tout au long du spectacle. Nous n’en savions rien, alors ce fut tout un apprentissage. Je ne dirais quand même pas qu’il y avait une règle immuable sur la façon de créer ce spectacle. Nous devions tout simplement écrire les meilleures chansons que nous pouvions. »

Vallance est toutefois moins avare de détails qu’Adams lorsque vient le temps de discuter du processus de création d’une comédie musicale, et il nous a avoué, dans une entrevue séparée qu’il y a bel et bien des règles. Voici ce qu’il a appris du metteur en scène.

« Il y a des tournants absolument critiques… Nous l’avons appris sur le tas. Le metteur en scène, le producteur et le librettiste ont tous été d’une grande aide, mais ils étaient également très pointilleux et s’assuraient que cochions les bonnes cases et touchions les bons points », poursuit Vallance.

« De toute évidence, le numéro d’ouverture est crucial. Il faut captiver l’auditoire, et ces paroles ont dû être réécrites deux ou trois fois sur une période de deux ou trois ans. Le résultat final n’est pas tout à fait celui de notre point de départ, mais le metteur en scène insistait pour que le personnage baptisé Happy Man soit de toute évidence un narrateur. Il est dans le numéro d’ouverture et, le temps de trois couplets, décrit Vivian et Edward, leurs origines et leur trajectoire. Il dit même “Soyez attentifs, je serai votre guide pour toute la soirée”. Ça, c’est le résultat final, mais ce n’est pas là que nous avions commencé. Le numéro d’ouverture est crucial. »

« Le dernier numéro du premier acte est également crucial, car il faut que les spectateurs en veuillent encore plus, vu que c’est l’entracte. La deuxième chanson de premier acte est ce qu’on appelle traditionnellement sur Broadway la chanson “I want” (je veux). Nous ne savions pas ça. Pratiquement toutes les comédies musicales jamais créées ont une chanson “I want”. Dans My Fair Lady, c’est “Wouldn’t It Be Loverly”. La chanson “I want” est la chanson où le personnage principal explique aux spectateurs, littéralement, ce qu’il souhaite, ce qu’il espère accomplir au fil des 150 prochaines minutes et tout au long de l’histoire », poursuit-il.

Les chansons de Bryan Adams au grand écran

  • « Heaven » et « Best Was Yet to Come » — A Night in Heaven, 1983
  • « Hiding From Love » — Class, 1983
  • « Try to See It My Way » — Voyage of the Rock Aliens, 1984
  • « Everything I Do (I Do It for You) » — Robin Hood: Prince of Thieves, 1991
  • « All for Love » — The Three Musketeers, 1993
  • « Have You Ever Really Loved a Woman? » — Don Juan De Marco, 1995
  • « Star » — Jack, 1996
  • « I Finally Found Someone » — The Mirror Has Two Faces, 1996
  • « Here I Am » — Spirit: Stallion of the Cimarron, 2002
  • « I’m Not the Man You Think I Am », « It’s All About Me », « Rely on Me », « Too Good to Be True », « Gift of Love » — Color Me Kubrick: A True…Ish Story, 2005
  • « It Ain’t Over Yet » — Racing Stripes, 2005
  • « Never Let Go » — The Guardian, 2006
  • « Mysterious Ways » — Cashback, 2006
  • « Way-Oh » et « By Your Side » — Jock of the Bushveld, 2011
  • « Nobody’s Girl » — TalhotBlond, 2012

« Nous avons écrit trois ou quatre chansons “I want”. Chacune d’elle survivait à cinq ou six mois de répétitions, puis le metteur en scène venait nous voir et nous disait “ça n’est pas tout à fait ça. Il faudrait que ce soit un peu plus ceci ou cela.” Ce n’est pas que nous ne nous étions pas efforcés de lui donner ce qu’il nous avait demandé, mais les paramètres changeaient. À mesure que les répétitions prenaient forme, que les rôles étaient distribués et que les acteurs apportaient leurs propres couleurs au projet, le metteur en scène repensait une scène et nous demandait d’écrire une toute nouvelle chanson. »

« La chanson “I want” a eu trois ou quatre incarnations en deux ou trois ans. Elle nous a donné beaucoup de fil à retordre. Elle s’intitule “Anywhere But Here”. L’autre tournant crucial est ce qu’ils appellent la chanson de 23 h. C’est l’avant-dernière chanson. C’est là que l’histoire trouve sa conclusion. Notre chanson s’intitule “Long Way Home”. C’est l’une des premières chansons que nous avons écrites et présentées, en 2015. Elle n’a subi pratiquement aucune modification tout au long du projet. Puis vient le numéro de clôture [“Together Forever”]. Il faut que les spectateurs rentrent chez eux remplis de bonheur. »

« Nous recevons une ovation debout tous les soirs, ce qui est chouette. J’imagine que notre numéro de clôture fait ce qu’il a à faire », conclut Vallance.

La trame sonore en deux actes — disponible en séquence, incluant le préambule et la reprise, sur Pretty Woman : The Musical (Original Broadway Cast recording) — propose les 20 chansons originales du spectacle, du numéro d’ouverture, « Welcome to Hollywood », à la grande finale, « Together Forever ».

Plusieurs d’entre elles sonnent typiquement Bryan Adams (« Ce qui est inévitable, puisque c’est notre style d’écriture », explique Vallance). La pièce « On A Night Like Tonight », aux accents tango, n’est pas sans rappeler son « hit » finaliste aux Oscars, « Have You Ever Really Loved a Woman? ». Plusieurs autres nous font sentir en terrain connu, du phrasé lyrique de ballades comme « Freedom » et « You and I » à la dose de rock de l’entraînant duo « You’re Beautiful », la non moins entraînante « Never Give Up » et la puissante « I Can’t Go Back ». Mais le duo créatif s’est également aventuré hors des sentiers battus du côté du jazz sur « Don’t Forget to Dance » et même du côté du rap sur « Never Give Up ».

« J’en suis fier », de dire Adams. « Ce fut beaucoup de travail. Ç’a été très amusant et je crois que la distribution est fantastique. On a parcouru beaucoup de chemin pour arriver où nous en sommes. Comme je disais l’autre jour, j’aimerais me jeter à corps perdu dans un autre projet de comédie musicale tout de suite, car je suis encore dans cet état d’esprit. »

Pourquoi pas Summer of 69 : The Musical? On pourrait notamment découvrir ce qui est arrivé à Jimmy et Jody et aux autres élèves de l’école…