L’écriture n’est qu’une partie du parcours d’une chanson.

Une fois le démo enregistré, il faut alors réussir à le faire entendre à des gens influents pour qu’ils valident et endossent la pièce et, on se croise les doigts, qu’ils en fassent un succès.

Tel est le cas de « Drifting », une chanson issue d’un camp de création organisé par Casablanca Media Publishing/Red Brick Songs en 2014 au Deerhurst Resort de Muskoka, en Ontario.

Deux créateurs membres de la SOCAN, Nygel Asselin et STACEY (Howchin), ont fait équipe avec le membre SESAC Nathan Eiesland — à l’époque chanteur du groupe indie rock de Minneapolis On An On — et le démo était enregistré quelques heures plus tard. « Tout s’est mis en place assez rapidement », explique Asselin, qui, en 2012, avait réalisé le premier album de Half Moon Run, Dark Eyes. « On a tout fait sur mon ordinateur portable au camp. De retour dans mon studio, je l’ai mixée et deux mois plus tard elle était lancée et son succès aussi. Elle a été complétée et une heure ou deux, peut-être trois. On a ensuite enregistré les différentes pistes et tout s’est mis en place lors de la production initiale. »

Pour STACEY, c’était une occasion de bon augure. « J’étais un peu nerveuse parce que c’était ma toute première collaboration », raconte-t-elle. « Je ne savais pas à quoi m’attendre. Je me souviens que nous sommes sortis sur la terrasse qui avait une vue imprenable sur le lac et que la chanson est arrivée très rapidement. »

À ce jour, « Drifting » a été utilisée à la télé sept fois et elle a été écoutée sur Spotify plus de 12 millions de fois.

Comment est-ce arrivé ?

« Cette chanson a été écrite au premier jour du camp », relate Jana Cleland, vice-présidente de Casablanca/Red Brick. « Nous les avons réunis, aucun d’eux ne se connaissait avant. Ils ont écrit cette chanson sous notre direction afin que nous puissions l’orienter vers nos besoins et certaines utilisations où nous avions moins de forces, notamment les synchros. Une fois complétée, nous avons vraiment mis tous nos efforts sur le placement télé. Nous voulions que la chanson soit complétée rapidement afin de commencer à la faire circuler. »

L’une des premières avenues empruntées par Casablanca/Red Brick pour promouvoir la pièce fut The Hype Machine, un site Web de Brooklyn qui est en quelque sorte le point de rencontre des journalistes qui donnent le ton. « Hype Machine est un agrégateur de médias spécialisés et de blogues musicaux », poursuit Cleland. « Beaucoup de gens visitent le site, les fans peuvent y écouter la musique sans avoir à se rendre sur les sites d’origine et ils peuvent ainsi découvrir de la nouvelle musique. »

« On a mis la chanson sur SoundCloud et ce fut impressionnant à quel point les gens de partout dans le monde l’adoraient. » – Jana Cleland de Casablanca Media Publishing/Red Brick Songs

Les auditeurs qui aiment ce qu’ils entendent peuvent le signaler en accordant un cœur à la pièce et ils peuvent également l’ajouter à leur fil personnel. C’est grâce à ce système que « Drifting » a éventuellement grimpé jusqu’en 2e position du palmarès du site — par la quantité de réactions des gens qui aimaient cette pièce. « C’est le genre de chanson qui brasse toutes sortes de sentiments et d’émotions la première fois qu’on l’entend, et je crois que c’est pour cela que les fans ont si bien réagi », affirme Cleland.

Casablanca/Red Brick a également fait circuler la pièce dans les médias. « Nous l’avons envoyé à environ 70 médias et ils ont réagi très rapidement », raconte Jana Cleland. « Les gens étaient simplement captivés par la chanson. On a mis la chanson sur SoundCloud et ce fut impressionnant à quel point les gens de partout dans le monde l’adoraient. » Les réactions étaient si bonnes que Nathan Eiesland a décidé de la réenregistrer avec son groupe On An On et de la lancer en simple. Casablanca/Red Brick a de plus pressé un album vinyle qui mettait en vedette les chansons les plus prometteuses issues de ce camp d’écriture.

Tandis que « Drifting » prenait son élan, les directeurs musicaux, ces individus qui choisissent la musique que l’on entend dans les films et à la télé, ont commencé à se manifester. En fin de compte, la chanson — dont plusieurs versions remixées circulaient également — s’est retrouvée sept fois à la télévision, dont 6 émissions : The Fosters, iZombie, Teen Mom et Teen Mom 2, Scream et Degrassi: The Next Class. Elle a également été utilisée dans la publicité intitulée « 33 Buckets » de l’Arizona State University, un message environnemental au sujet de l’approvisionnement d’eau à l’étranger et qui a été diffusée durant le Super Bowl. « Ce genre de chanson apporte énormément d’émotion à une scène, c’est pourquoi elles sont parfaites pour les placements », explique Cleland.

Quant à une production comme Degrassi : Next Class, qui est diffusée dans plus de 130 pays et partout dans le monde via Netflix, la directrice musicale Dondrea Erauw de Instinct Entertainment avait profité d’une longueur d’avance. Elle était employée par Casablanca/Red Brick au moment de la création de la pièce, elle avait donc entendu le démo avant de commencer son travail de directrice musicale.

Il y a néanmoins un pas à franchir entre entendre une chanson et réussir à la placer dans une émission de télé. Ce n’est pas parce que vous connaissez une pièce que les producteurs de cette émission l’aimeront suffisamment pour l’utiliser. « Je travaillais sur une scène de Degrassi : Next Class — le premier épisode de la nouvelle mouture de Degrassi, et la scène avait besoin d’une pièce extrêmement émotive et qui l’était de plus en plus au fil de la chanson », raconte Erauw. « Je me suis souvenue que la version réenregistrée par On An On était exactement comme cela et que je ne m’en étais jamais servi auparavant. Je l’ai testé sur l’image et elle fonctionnait à merveille. »

Erauw l’a d’abord suggérée non pas aux producteurs de Degrassi, mais directement au monteur de la série. « Il y avait “Drifting” et quelques autres pièces dans un dossier que j’ai envoyé au monteur », poursuit-elle. « Je travaillais directement avec lui et je lui ai dit que “Drifting” était ma préférée, car lorsque je l’avais testée sur image, on aurait dit qu’elle faisait déjà partie du montage. C’est un peu la règle magique de la synchro, parfois… Lorsque le monteur n’a pas besoin de refaire son travail pour adapter les images ; il n’a qu’à ajouter à son montage initial et le reste se fait tout seul… ce que cette chanson réussit. Il a dit “mon Dieu, c’est vraiment la bonne”. »

Mais pour Jana Cleland, l’histoire est loin d’être terminée. « Je suis convaincue que cette chanson a encore plein de vie en elle, en ce sens que je suis sûre qu’elle sera placée encore souvent et que, potentiellement, un artiste voudra en enregistrer une version, car elle peut être interprétée de tant de façons différentes. Quelqu’un pourrait très bien se l’approprier. »