Red Brick Songs est relativement un nouveau venu sur la scène canadienne des éditeurs de musique indépendants, mais l’entreprise regorge de talent au chapitre de l’administration et du A&R et se positionne avantageusement pour concurrencer sur le marché international.

Red Brick est une filiale de Casablanca Media Publishing qui a été créée en 2011 suite à la mort du cofondateur de Casablanca, Ed Glinert. « Red Brick a une approche stratégique différente », explique la présidente de l’entreprise, Jennifer Mitchell. « Nous favorisons la mise sous contrat de créateurs dans le cadre d’ententes mondiales beaucoup plus que c’était le cas chez Casablanca. »

En à peine cinq ans, Red Brick s’est bâti une impressionnante écurie de talents émergents avec des noms tels que PS I Love You, The Rural Alberta Advantage, Andy Shauf, Cuff The Duke, Library Voices et You Say Party, pour n’en nommer que quelques-uns.

« Nous aimons travailler avec des artistes qui sont prêts à prendre des risques et à sortir des sentiers battus lorsque le jeu en vaut la chandelle. » — Jennifer Mitchell, Red Brick Songs

« Nous mettons un créateur sous contrat lorsque nous voyons la bonne combinaison de talent, d’ambition et d’attitude », explique-t-elle. « Avant toute chose, il faut qu’ils soient talentueux, mais ils doivent également être motivés et désirer se développer et repousser leurs limites en tant que créateurs. Nous aimons travailler avec des artistes qui sont prêts à prendre des risques et à sortir des sentiers battus lorsque le jeu en vaut la chandelle. Notre équipe A&R est composée de Jana Cleland (vice-présidente), Amy Eligh (directrice de création) et Chris Robinson (gestionnaire de création), et tous contribuent à leur manière à nos discussions. »

« Notre objectif est d’aider les auteurs-compositeurs à atteindre de nouveaux sommets de réussite grâce au placement multimédia de leurs œuvres, à la gestion de leurs redevances ainsi qu’au développement de leur carrière et de leur créativité », poursuit Jennifer Mitchell. « Notre équipe dévouée soutient nos créateurs grâce à du mentorat, du réseautage et de la promotion, que ce soit à l’aide de placements nationaux et internationaux ou en créant des opportunités de collaboration et en assurant la promotion de leur travail à travers le monde. Nous aidons nos créateurs à atteindre leur plein potentiel et à établir des liens avec l’industrie de façon à assurer leur croissance et leur intégrité créative. »

Et cette stratégie porte-t-elle ses fruits?? « Nous avons collaboré étroitement avec Joshua Robinson, un jeune auteur-compositeur américain, afin de promouvoir ses simples lancés de manière indépendante, particulièrement avec des contacts directs avec de nombreux blogues », raconte la femme d’affaires. « En fin de compte, il s’est retrouvé en première position du palmarès Hype Machine et, peu de temps après, il recevait des offres des tous les “majors” et des labels indépendants les plus importants. Il a choisi de signer avec Republic Records. »

« Nous avons également collaboré avec Jeen O’Brien afin de l’aider à percer un autre marché. Nous étions convaincus qu’elle avait le talent pour écrire dans un autre style que son style habituel afin qu’elle puisse réussir sur le très lucratif marché japonais. Nous avons trouvé un collaborateur tout désigné au Japon et lui avons donné quelques conseils clés pour adapter son style à ce marché et, depuis, elle a écrit un simple qui a été endisqué par un nouveau girls band qui a été signé chez Avex. »

Et même si la distance qui sépare Toronto et Tokyo est importante, Jennifer Mitchell affirme que l’équipe de Red Brick croit que « nos relations avec les éditeurs, labels, directeurs musicaux et les autres partenaires de création partout dans le monde sont la clé de notre réussite et nous permettent d’entretenir des liens importants entre tous les acteurs de la grande communauté mondiale de la création musicale. »



Si l’on se fie aux Nations Unies, 2016 serait l’année internationale des légumineuses. Nourrissant, peut-être, mais pas très excitant du point de vue artistique, vous en conviendrez. On préfère donc vous rappeler que 2016 marque également la deuxième moitié de ce qui a été désigné comme « L’année Jean Derome » par nul autre que… Jean Derome lui-même. Après avoir obtenu une bourse de carrière du Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ), le saxophoniste et flûtiste, compositeur et improvisateur chevronné, a décidé de célébrer son 60e anniversaire de naissance en revenant sur quatre décennies de musiques audacieuses.

L’idée était d’offrir au public une petite partie de son imposant répertoire lors d’une série de concerts échelonnés sur 12 mois, des shows conçus pour petits et grands ensembles, qui balanceraient entre improvisations et interprétations, créations et reprises. L’année Derome serait aussi marquée par un documentaire, « Derome ou les Turbulences Musicales », une expo de photos et un disque, Musiques de Chambre 1992-2012.

« Dans le genre de musique que je pratique, une première mondiale, c’est aussi souvent une dernière mondiale! »

« J’ai parfois l’impression d’être passé directement de la relève à la bourse de carrière », lance le musicien, qui a fait ses débuts professionnels au début des années 1970. « Je trouvais ça intéressant de faire le point et surtout de pouvoir mesurer l’évolution de ma musique au fil des ans. Mais ce qui était certain, c’est que je ne voulais pas faire de rétrospective classique: j’aime l’idée que si on ne l’indiquait pas clairement, le public ne saurait pas vraiment si telle ou telle pièce est ancienne ou récente. »

Jean Derome

Photo: Martin Morissette

Voilà une belle façon de décrire cette fameuse « musique actuelle » à laquelle le nom de Jean Derome est associé depuis si longtemps. Elle puise à tous les genres et toutes les époques et son audace et son absence de codes précis la rendent aussi intemporelle qu’insaisissable. « C’est une musique parfaite pour moi, car elle est une espèce de zone grise permanente, poursuit Derome. C’est une musique de flexibilité, de mobilité: on peut emprunter au jazz, au folklore, au rock, à la musique contemporaine. »

Sans surprise, c’est à Victoriaville qu’a débuté l’Année Derome en mai 2015. À l’invitation du fondateur et programmateur du Festival de Musique Actuelle, Michel Levasseur, Jean Derome s’est amené dans les Bois-Francs avec Résistances, une création électrisante réunissant 20 musiciens (pour la plupart des amis et complices de l’étiquette Ambiances Magnétiques, cofondée il y a une trentaine d’années par Derome, Joane Hétu René Lussier naviguant entre improvisation et composition, sous la houlette du chef. Inspiré de Canot Camping, un autre projet pour grand ensemble, ce spectacle, malgré son ampleur, semblait être destiné à demeurer unique, comme c’est souvent le cas avec les événements de musique actuelle.

« Dans le genre de musique que je pratique, une première mondiale, c’est aussi souvent une dernière mondiale! » lance Derome avec un petit rire jaune. C’est un autre avantage de cette année de célébrations: faire revivre des trucs qui n’ont existé qu’une seule fois, revisiter des pièces qui n’avaient pas dit leur dernier mot! »

Multi-instrumentiste, Derome est surtout associé au saxophone, son instrument de prédilection depuis maintenant plusieurs années «  J’ai passé la première moitié de ma vie de musicien en jouant surtout de la flûte et la deuxième en jouant surtout du saxophone. Si on me demande ce que je suis, je réponds généralement « musicien » ou saxophoniste. »

Même s’il semble faire corps avec son instrument, Jean Derome lui est souvent infidèle: en concert, il n’est pas rare de le voir empoigner l’un des nombreux appeaux de chasse qu’il collectionne depuis des années, un instrument jouet ou simplement un objet quelconque dont il apprécie la sonorité. On l’a même déjà vu faire un solo de sac de chips dans un show de danse… « Quand j’ai découvert les appeaux et sifflets, j’ai pu étendre mon langage musical. Je sais que pour le public, il y a quelque chose de presque comique à me voir jouer de ces objets bizarres, mais pour moi, ils sont simplement un moyen de faire sortir les sons que j’ai en tête. »

S’il gagne sa vie en multipliant les compositions de commande pour le cinéma, le théâtre, la danse et la télé (il n’hésite pas à se qualifier de working musician), Jean Derome demeure un explorateur dans l’âme, prêt à se lancer à corps perdu dans l’inconnu. Il continue de pratiquer un art exigeant et résolument anti-commercial, destiné à un public avide de surprises. Par le passé, Jean Derome a déjà décrit sa pratique comme un véritable sacerdoce. Sa carrière ne serait-elle qu’un long parcours du combattant?

«  C’est peut-être un combat, mais je ne me suis jamais battu contre des gens. Contre moi-même, peut-être, contre la tentation de devenir aigri ou blasé. Des fois je me dis que je pourrais prendre ma retraite, mais ça ne dure jamais longtemps parce plein de nouveaux projets débarquent et je suis incapable de dire non. Un pommier, ça fait des pommes. Un musicien, ça fait de la musique. C’est pas plus compliqué que ça! »

 



Safia Nolin a fait sa marque en peu de temps l’automne dernier avec un premier album qui n’est pas passé inaperçu. Limoilou s’est retrouvé dans les palmarès des meilleures parutions de l’année, a récolté 4,5 étoiles dans Les InrockuptiblesMême Lou Doillon a craqué, puis a invité la « jeune songwritrice fragile et bouleversante » – dixit Les Inrocks – à faire ses premières parties en décembre, une dizaine de dates au total. « C’était toujours assez plein, il y a eu plusieurs concerts sold out. On a joué sur des crisses de gros stages et des petits bars, on a aussi fait quelques showcases. C’était tout le temps nice et Lou est fucking cool », raconte la principale intéressée.

Safia NolinEntre le Lion d’or et le Casino de Paris, il y a un océan que Safia Nolin a franchi pour la première fois, courageusement, flanquée de son grand complice, le guitariste Joseph Marchand, et d’un soundman, Francis Beaulieu. « La première fois que j’ai joué dans une grosse salle, c’était au Paloma à Nîmes, une salle neuve, super belle, imposante : j’ai vraiment pogné de quoi. Ce jour-là, j’ai réalisé ce que c’est qu’une grosse gig. Mais une fois que tu en as fait une ou deux, ça va : 2000 ou 800 spectateurs, il n’y a pas grand différence. »

C’était aussi la première fois que Safia mettait le pied dans un avion. « J’avais peur, toute la ville était au courant. Finalement ça s’est bien passé! Même qu’un de mes plus beaux souvenirs, c’est en m’envolant vers l’Europe. J’ai dormi cinq minutes dans l’avion. Joseph m’a réveillée, le soleil se levait. J’ai écouté une toune de Beach House, PPP, pis j’ai pleuré. En décollant au retour, c’était Gila Je réécoute ces tounes-là et j’ai des gros sentiments, je revis des émotions fortes. »

C’était aussi la première visite de Safia sur le Vieux Continent. Un choc? « Je ne m’attendais pas à ce que ce soit à la fois aussi différent et similaire! On a plein d’affaires à apprendre d’eux, mais eux aussi ont plein d’affaires à apprendre de nous. Moi je mange pas de viande… Eh tabarnak, c’était difficile! J’ai pas mangé de légumes pendant trois semaines. » T’as mangé quoi? « Du brie pis du fucking pain! »

Le 21 décembre, quelques jours après son retour d’Europe, on pouvait lire ces mots sur la page Facebook de Safia Nolin :

 « Jouer Igloo, c’t’osti de toune de viarge de tristesse qui m’a sauvé la vie devant 1200 personnes sur un autre continent, à des milliers de kilomètres de l’esti de trou noir de fin du monde qui m’habitait, c’est le plus grand sentiment de ma vie. »

Safia Nolin a mis tout son mal de vivre dans son premier album, dans cette chanson en particulier, sa plus puissante, émotivement, mélodiquement… Sur Bandcamp, un fan crie son amour pour Igloo : « Fuck ça feele motton dans gorge mais c’est bon comme ta première baise ». « Quand je l’ai écrite, j’étais vraiment deep dans mon shit, genre ma vie sucke. Maintenant c’est différent : ma vie sucke plus de la même manière. J’ai des problèmes, mais c’est pas les mêmes. C’est tout le temps spécial pour moi de la jouer. À la fois bizarre et vraiment le fun. »

Chansons pures à la mélancolie aiguë, voix claire, les tripes sur la table, ça pourrait être lourd, mais le charisme étincelant de Safia, son humour, rétablit l’équilibre. Elle ne se voit pas écrire autre chose que de la « miouze triste. Mais on sait jamais, si je fume un esti de gros joint, peut-être! Je commence à apprécier la musique qui n’est pas extra-downer, mais c’est un gros step pour moi. »

Safia NolinCe contraste entre le spleen des chansons et la fille amusante, le personnage attachant, fait en sorte que chaque fois Safia nous met dans sa petite poche. Elle est consciente du paradoxe, « mais ce n’est pas voulu. » Elle s’adresse à la foule avec un naturel désarmant. « Je me suis demandé au début ce que j’allais ben pouvoir raconter aux gens, ça m’est arrivé aussi en France. Mais je suis restée moi-même, j’ai dit les mêmes niaiseries qu’ici pis ça a fucking marché. Ils riaient beaucoup… Je ne sais pas si c’est à cause de mon accent ou de mes jokes!!! On saura jamais! »

Safia Nolin démarre 2016 sur les chapeaux de roues avec un agenda booké jusqu’en mai. Elle fait les premières parties de Louis-Jean Cormier, quelques concerts solo… Et la France, y a-t-il des offres sur la table à ce stade-ci? « Aucune idée. Mais je pense bien que je vais y retourner. »