Vedette de la musique country canadienne depuis plusieurs années, Madeline Merlo a à son actif un album qui a bien marché, des singles à succès, un prix CCMA Rising Star et des tournées avec Willie Nelson et Keith Urban. Plus tôt ce printemps, la nouvelle Nashvilloise semblait promise à un grand avenir aux États-Unis également. En avril, sa victoire au concours de téléréalité Songland – où des auteurs-compositeurs en émergence proposent une de leurs chansons à un groupe de grosses pointures de l’interprétation et de la production – a permis au groupe country Lady Antebellum de remporter un vif succès avec sa chanson « Champagne Night ». Tout de suite après, la COVID-19 empêchait Merlo de partir en tournée.

Les événements se sont précipités, mais l’autrice-compositrice-interprète prend les choses du bon côté. « Ce que j’aime dans le spectacle – le contact avec le public, le temps passé avec mes musiciens, rencontrer des gens – n’existe plus. Mais je me considère chanceuse de pouvoir continuer d’écrire des chansons et d’en co-écrire sur Zoom », reconnaît-elle. « Et puis, on a beaucoup parlé de moi depuis Songland, et ça m’a permis d’entrer en studio avec des gens avec qui je voulais composer des chansons depuis longtemps. »

Merlo a grandi à Maple Ridge, en C.-B., dans une famille musicale – son père était un musicien funk, sa mère aimait la musique country, sa sœur aînée écoutait de la musique pop. Elle adorait chanter et savait déjà qu’elle écrirait un jour des chansons, et elle a choisi la musique country pour deux raisons. La première, c’est que sa mère l’avait déjà emmenée à un concert de Shania Twain et qu’elle avait alors senti qu’une femme artiste pouvait faire preuve de force et de maîtrise. La seconde, c’était le genre de paroles qu’on entend dans les chansons country. »

« J’étais une passionnée des mots, de la poésie, et j’étais ravie de voir à quel point les paroles et les histoires sont importantes en musique country », explique Merlo. « La pop est une affaire de rythme, de production, mais la musique country porte sur des histoires que tu essaies de raconter. Dans une chanson pop, tu reprends souvent le premier verset dans le deuxième, et personne ne s’en rend même compte. C’est une chose qu’on ne laisserait jamais passer dans une chanson country. L’éditeur te rappellerait qu’il faut que “tu écrives un deuxième verset.” »

« Ça  m’a permis d’entrer en studio avec des gens avec qui je voulais composer des chansons depuis longtemps »

Lorsqu’on regarde l’épisode concerné de l’émission Songland, il est passionnant de voir la chanson de Merlo, qui s’intitulait au départ « I’ll Drink to That », adopter, puis perdre, un rythme reggae et subir diverses métamorphoses avant de devenir « Champagne Night ». « C’est très Lady A », observe-t-elle. « Ils ont réellement pulvérisé la production, et c’est devenu une chanson faite sur mesure pour eux – ce qu’elle était déjà, d’une certaine manière. »

Même si Merlo parle avec enthousiasme de son expérience sur Songland, il a quand même dû être difficile pour elle de confier sa chanson au groupe et au producteur Shane McAnally et de leur faire confiance.

Songland : Un concours musical télévisé d’un nouveau genre
Merlo pense qu’une émission comme Songland est une excellente façon d’attirer l’attention sur les auteurs-compositeurs. « Ils restent généralement invisibles », regrette-t-elle. « Les gens parlent de leur chanson préférée à vie, mais ils n’ont aucune idée d’où elle vient, ils n’y pensent même pas. Cette émission pourrait faire beaucoup pour les auteurs-compositeurs. Il n’y aurait pas de musique à la radio s’il n’y avait pas d’auteurs pour aider les artistes à se raconter, et ça a été cool de pouvoir participer à ce processus. »

« Ça a quand même été assez stressant », admet-elle en riant. « Ils m’ont appelée un bon soir pour me dire “Félicitations, ton avion décolle à 6 heures demain matin.” Puis je me suis retrouvée devant tout ce monde-là. Mais j’étais consciente qu’à partir du moment où je proposais ma chanson à Lady Antebellum, ce n’était déjà plus mon œuvre, mais celle du groupe, et qu’ils en feraient une chanson de style Lady Antebellum. Je savais que de nombreux changements allaient être apportés – mais, ce qu’on ne montre pas dans l’émission, c’est que nous nous sommes tous installés dans le studio pendant huit heures et que nous avons refait la chanson tous ensemble. Et Shane, le producteur, a été incroyable. Je me sens donc très près de la nouvelle version également.

« D’ailleurs, je n’aurais probablement pas essayé de leur vendre une chanson aussi personnelle que « War Paint » [qui fait référence à un ami qui souffre d’une maladie mentale], par exemple. C’est un conseil que je donnerais à quelqu’un qui serait invité à passer à l’émission. »

Ce n’est pas sans déception que Merlo se retrouve dans l’impossibilité de se constituer une    équipe de musiciens et de partir en tournée, mais elle continue quand même à composer et à enregistrer – elle a lancé les trois nouvelles chansons « If You Never Broke My Heart », « It Didn’t » et « Kiss Kiss » en mars – et elle pourrait même pondre un album le printemps prochain.

« J’ai l’impression d’être mieux préparée maintenant quand je me présente dans une séance d’écriture parce que j’ai eu plus de temps pour travailler des idées », reconnaît-elle. « En plus, l’Internet est une chose merveilleuse, et je ferai l’impossible pour promouvoir mes chansons à partir de mon salon. Et puis, je passe mes journées à écrire parce que c’est la seule chose que je peux faire ces temps-ci. »



Dans cette nouvelle série d’articles, la SOCAN jette un regard sur des chansons qui ont été écrites ou co-écrites par ses membres et qui ont fait l’objet d’une synchronisation (inclusion) dans un film, dans une émission de télévision, sur une plateforme de diffusion en continu, dans un jeu vidéo, en ligne ou ailleurs à l’écran. Ce premier article raconte l’histoire de Ndidi O, dont la chanson « Call Me Queen » a été incluse dans la série Self Made de Netflix.

Mise en nomination pour un prix JUNO et titulaire du prix WCMA 2019 de l’artiste de l’année, l’autrice-compositrice-interprète Ndidi O est reconnue pour l’étendue de sa création musicale, qui va du blues au jazz en passant par le trip-hop avec son groupe BOGA (qui vient de lancer « Trigger Happy »). Sa musique a également fait le saut dans l’univers de la synchronisation avec des chansons comme « May Be the Last Time » (incluse dans le dernier épisode de la série True Blood, auquel elle sert de titre), « Move Together » (dans une publicité de jeans de la marque GAP) et « What Do You Say » de BOGA (dans la série Mary Kills People).

Puisque ses chansons sont reconnues comme des mélanges très personnels d’autonomisation et de vulnérabilité, il n’est pas étonnant qu’une pièce revendicatrice et décapante comme « Call Me Queen » ait abouti en 2020 dans la bande sonore de la série Self Made de Netflix, une œuvre historique inspirée de la vie de l’entrepreneure et activiste afro-américaine Madam C. J. Walker qui met en vedette Octavia Spencer et a été réalisée par Kasi Lemmons.

 Qu’est-ce qui t’a inspiré la chanson « Call Me Queen »?
« Call Me Queen » parle de l’autonomisation des femmes. Il faut continuellement lutter contre le patriarcat – il est en explosion.  Les femmes ont été dénigrées. On nous a enseigné des formes de concurrence bizarres [et] appris à nous sexualiser ouvertement pour devenir plus puissantes. Mais rien de ça n’est nécessaire. Il nous suffit de rassembler nos forces et de former des communautés — ce sont là des choses que les femmes font tout naturellement; nous formons des communautés pour faire avancer les choses. L’intention [était] donc ce célébrer ce que ça représente d’être femme, et de faire avancer les choses.

« Je travaille avec l’agent Mike Jansen [The Greater Goods Co.] et j’ai un excellent co-auteur, compositeur, producteur et coéquipier [Mischa Chillak]. Il est vraiment prolifique. Il est comme, “Faisons une chanson. Comment tu te sens ? Te sens-tu autonomisée ? Faisons une chanson sur l’autonomisation.” Moi, ce que j’aime faire, c’est des chansons qui soulèvent de profondes émotions. »

Comment « Call Me Queen » s’est-elle retrouvée dans la série ?
« C’est une chanson qui avait été écrite et terminée l’année d’avant. Je venais de lancer un album. J’ai un tas de chansons de prêtes, mais je ne veux pas les lancer avant de sortir un nouvel album. Mike a beaucoup de matériel de moi qui est encore inédit, donc quand il a été question de cette émission, il a proposé cette chanson, et elle a vraiment plu à la superviseure musicale. C’était exactement la bonne chanson. [Self Made] était l’endroit idéal pour la sortir, et ça m’a fourni une bonne raison de la lancer parce que je voulais le faire de toute façon – j’ai tendance à attendre qu’une synchronisation se présente pour lancer une chanson. »

Quel effet ça t’a fait d’être sélectionnée pour une série et d’entendre ta musique dans l’épisode A Credit to Race ?
« L’épisode était d’une grande concision. L’intrigue se développait à un bon rythme, et il y avait beaucoup de péripéties et de développements. C’était une scène puissante. C’était comme “Oh wow! C’est parfait pour cette chanson-là” et je me sens honorée d’en faire partie. La superviseure musicale de l’émission était une femme de couleur [Mikaila Simmons], et elle choisissait sa musique avec énormément de soin. Presque toutes les chansons sont des œuvres de femmes de couleur. En tant que femme noire canadienne, faire partie de ce groupe d’artistes, ça me remplit de fierté et d’enthousiasme. »



Francophones de leur état, Matt Lang et Laurie LeBlanc lorgnent le Klondike du country en se risquant à des albums dans la langue de Shania. Une offensive de charme destinée au reste du Canada et au vaste monde.

Ils n’abordent pas la musique et l’amour de la même manière, mais ces deux membres SOCAN sont animés par les mêmes choses. Les mêmes visées, surtout. Le Québécois Matt Lang n’en est pas à son premier fait d’armes en anglais. Son opus précédent, un EP homonyme, s’est même faufilé jusqu’à la pôle position du top country national sur Apple Music.

L’Acadien Laurie LeBlanc, lui, n’avait jamais tenté sa chance dans sa seconde langue avant la sortie du simple The Bigger The Better. Un morceau offert par l’Irlandais Don Mescall, son nouveau pote croisé au détour d’un congrès de danse et de musique country en France. Comme si tous les chemins menaient à l’anglais. Comme si, pour Laurie, il en allait d’une fatalité.

« Je viens de Cap Pelé, on a déménagé à Bouctouche quand j’avais dix ans. Ici, le monde aime tellement le country ! Dans ma jeunesse, mes parents et mes grands-parents écoutaient du Charley Pride, du Kenny Rogers, des chanteurs de leur génération. Moi c’est plutôt ceux des années 90 qui m’ont influencé. C’est les débuts de Alan Jackson, puis de Zac Brown et tous les autres. C’est sûr que j’ai commencé en écoutant des chansons en anglais. »

Matt Lang, ou Mathieu Langevin pour ceux qui sont allés à l’école avec lui à Maniwaki, a aussi grandi en écoutant l’offre musicale de nos voisins du Sud. Son truc à lui, c’est le new country, le son actuel du Tennessee. Pourtant, à son arrivée à Nashville en 2018, le gaillard de la Vallée-de-la-Gatineau ne parlait pas un traître mot d’anglais.

« Au début, c’était quand même difficile. Je n’étais pas bon en anglais, genre vraiment pas. J’avais une base, j’ai quand même été élevé proche d’une réserve indienne et j’avais des chums qui parlaient anglais. Mais je ne sais pas, c’était peut-être de la gêne… En tout cas, j’ai vraiment appris mon anglais en allant rester à Nashville. C’est sûr qu’aujourd’hui, quand je parle, j’ai un accent. Quand je chante, par contre, je sais qu’il n’est pas vraiment là. C’était beaucoup de travail, j’ai quand même eu trois coachs pour le vocal et la prononciation. Ça ne s’est pas fait du jour au lendemain ! »

Une autre version de soi-même

Laurie LeBlanc

Laurie LeBlanc

Préalablement à l’enregistrement des chansons pour When It’s Right It’s Right, Laurie LeBlanc s’est fait connaître avec Moi itou Mojito et une poignée d’autres ritournelles savoureusement pince-sans-rire. Or, en anglais, les mots que le Néo-Brunswickois se met en bouche sont plus sérieux. Ses paroles se font graves, posées et même romantiques. Sur Another Night Like This, il implore sa nouvelle flamme de le revoir, de donner suite à leur première date. Sur The Bigger The Better, le personnage auquel il prête sa voix vit une rupture et part noyer sa peine au bar. On ne lui connaissait pas ce goût du drame.

« Sans dire que Don Mescall écrit d’une manière plus sombre, sa plume est moins festive que la mienne, mais j’aime ce que ça donne. […] Honnêtement, je dois aussi dire que ce premier album en anglais mélange plein d’influences du country pop et peut-être du country rock. On a discuté moi et mon réalisateur Jason Barry… Peut-être que je recherche aussi mon son anglophone. En français, j’ai mon son depuis un album ou deux. »

Modeste comme peu d’autres, Laurie LeBlanc ne se coupe pas de ses rêves pour autant. Ambition et prétention ne cohabitent pas toujours au cœur d’un homme. Et la plage 1 traite, justement, des opportunités que le musicien s’efforce de saisir.

À l’instar de son collègue des Maritimes, Matt Lang met cartes sur tables et dès le premier titre, dès les premières mesures de More, la chanson titre. Avide de succès, ses quêtes le consument et il n’hésite pas à défoncer des portes. « Je le dis très humblement, je ne suis pas un gars qui se pète les bretelles dans la vie, mais honnêtement, je pense que je suis quelqu’un qui a beaucoup de drive. On dirait que je ne suis pas capable de rester chez nous et de ne rien faire. Je ne suis pas capable d’attendre les coups de téléphone. Je crée mes propres opportunités, mais tout en respectant le monde, par exemple. Je suis un gars d’équipe, je l’ai toujours été. »

Ne pas oublier d’où on vient

Matt Lang

Matt Lang

Ce n’est pas parce qu’ils osent un rapprochement avec le ROC que Laurie LeBlanc et Matt Lang renient leur vraie nature. L’authenticité est une valeur chère au country, une des composantes principales de ce genre musical et les deux gars ne s’y refusent pas. Bien au contraire. Avec Belle of the Ball et All In, LeBlanc saupoudre les arrangements de violon frétillant, des reels emblématiques du Pays de la Sagouine.

Le Maniwakien, de son côté, évoque l’éloignement géographique de son patelin dans les textes de Getcha (un genre fantasme de mécanicien en bordure d’une route isolée) et Better When I Drink. La ville, plutôt qu’un idéal de vie au quotidien, est synonyme d’occasions spéciales, de fêtes bien arrosées. Dans la carrière et la prose de Lang, cette dualité entre milieux citadins et ruraux s’impose comme une préoccupation constante.

« Tous les réseaux de télé au Québec sont à Montréal. Quand on vient de loin, de la Gaspésie, de l’Abitibi ou peu importe, on dirait que le rêve est comme plus ou moins atteignable. Quand tu viens d’une région, tu sens que tu n’es pas capable de te rendre là [où tu veux]. Moi, j’ai toujours voulu prouver que ce n’était pas vrai ! »

Comme lui, Laurie LeBlanc souhaite se propulser au-delà des frontières auxquelles il s’était préalablement conscrit. Déjà très populaire chez les Franco-canadiens, il sait qu’il devra gravir les échelons une seconde fois en passant à l’Ouest. N’eût été son prix remporté aux Josie Music Awards l’an dernier, il lui faudrait (presque) tout recommencer. Une rumeur favorable le précède, il en va d’un fait assez indéniable, mais n’entre pas dans la ligue canado-américaine qui veut. Les chanteurs y sont tellement plus nombreux.

« Je dois avouer que l’anglophone, c’est un méchant gros marché ! Quand tu écoutes les radios, il y a des artistes que je ne connais même pas qui sortent des choses et c’est de la très bonne production. En Acadie, notre monde nous aime et nous supporte. On est contents et on est chanceux. Disons que, chez nous, les opportunités se présentent à nous plus rapidement. […] Dans les radios, maintenant, je vais être en compétition avec Brett Kissel et tous les autres, contre des gros labels. On va voir comment ça va aller, mais on est contents du produit. »

Laurie LeBlanc n’a pas été « élevé aux five courses meals », il en va même d’un refrain de son répertoire, mais le musicien autoproduit se voit déjà épaulé par des ténors du country américain. Dallas Davidson (auteur pour Blake Shelton), Don Shlitz et Mike Reid s’ajoutent à sa prestigieuse liste de collaborateurs – deux gars qui ont gagné des Grammys. De grandes pointures soutiennent aussi Matt Lang, Tebey et Danick Dupelle parmi tant d’autres, de précieux collaborateurs qui devinent en lui une éventuelle grande vedette.

Comme si, finalement, le futur du country au Canada se lisait avec un petit accent frenchie.