C’est une approche intuitive que Shauna de Cartier, fondatrice de la maison de disque indépendante Six Shooter Records, favorise en affaires.

Six Shooter Records, Staff

Les employés de Six Shooter Records. (Photo : Lyle Bell)

Originaire d’Edmonton, elle a fondé son label il y a près de 20 ans avec un seul artiste dans son écurie : Luke Doucet. Elle a par la suite déménagé son entreprise à Toronto où elle a élargi cette écurie avec l’ajout d’artistes reflétant réellement toute la diversité canadienne comme The Rheostatics, Zaki Ibrahim, The Strumbellas, Riit, William Prince et la gagnante d’un Prix Polaris, Tanya Tagaq, pour n’en nommer que quelques-uns. Neuf de ses 13 employés s’identifient en tant que femmes. Et Six Shooter Records, c’est également Six Shooter Management, Girl on a Horse Publishing, et le festival de musique Interstellar Rodeo d’Edmonton (et de Calgary, de 2015 à 2017). Elle a récemment reçu le Entrepreneur Award lors du gala des Canadian Independent Music Awards. Mais tout ce succès ne se serait jamais concrétisé si de Cartier n’avait pas écouté son cœur, comme elle l’affirme elle-même.

« J’écoute beaucoup mes émotions quand je prends des décisions », nous confiait-elle par courriel. « Je me demande comment je me sens quand je prends une décision par opposition à comment je me sens si j’en prends une autre. Ça peut sembler un peu éparpillé, mais j’appelle ça diriger avec le cœur. Mais toutes les autres parties de moi-même contribuent à ça, ma tête et mes tripes. Je suis consciente que c’est un style qui peut me rendre plus vulnérable que mes collègues, mais je suis en paix avec ça. L’art est une question d’émotions. »

C’est ici que je dois vous avouer que la solide conversation que j’ai eue avec de Cartier au début du mois de juin n’existe plus. Destinée cosmique ou cauchemar technologique, peu importe : tout ce dont nous avons discuté, les moindres détails de sa vie professionnelle, notre discussion sur la délégation des tâches et son rôle qui passe graduellement de gestion au quotidien pour se concentrer sur la stratégie de haut niveau, tout ça est perdu à jamais. À mesure que j’ai élaboré cet article à l’aide de mes notes, de mes recherches et des courriels qu’elle m’envoyait — des messages brefs mais complets qu’elle trouvait le temps de m’envoyer même pendant qu’elle dirigeait l’édition de cette année du Interstellar Rodeo —, j’ai réalisé qu’elle était sans aucun doute une décideuse. Son rôle dans le domaine de la musique au Canada a un impact réel sur des communautés et des artistes et il se résume à une approche empreinte de vulnérabilité.

On perçoit souvent la vulnérabilité comme une forme de faiblesse, mais une conscience émotive est une force indispensable et il n’y a aucun domaine où cela est plus vrai que le domaine des arts.

Six Shooter Records, Tanya Tagaq

Tanya Tagaq, signée au Six Shooter Records

Accorder plus d’importance à ce que l’on « sent bien » plutôt qu’à ce qui est « une bonne décision d’affaires » est ce qui a permis à Six Shooter de connaître autant de succès internationalement. Il y a bien eu des décisions qui, de son propre aveu, n’ont pas été particulièrement lucratives, mais elle sentait que sa passion pour le projet, l’artiste ou l’art en tant que tel en valait la peine. L’ajout de Tanya Tagaq, une artiste d’une brillance incomparable, à son écurie est une de ces décisions qu’elle a prises parce qu’elle sentait que c’était la bonne. Et elle ne s’est pas trompée.

Shauna de Cartier m’a également expliqué que les valeurs entrent en ligne de compte quand elle prend une décision et qu’elle adopte une stratégie, que ce soit dans le cadre d’un projet, de l’embauche d’un employé ou quoi que ce soit d’autre. Un bon alignement est crucial. « J’ai appris très tôt que tout est négociable : notre vision, nos objectifs, l’argent, la stratégie, etc. », dit-elle. « Mais nos valeurs, elles, ne sont pas négociables. Elles sont ce qu’elles sont. En réalité elles sont qui nous sommes. Si vous travaillez avec des gens dont les valeurs ne sont pas alignées avec les vôtres, la relation ne fonctionnera pas. »

Le slogan du label — « Life’s too short to listen to shitty music » (« La vie est trop courte pour écouter de la musique merdique ») — est en contraste avec cette approche émotive des affaires. Le slogan changera dans le cadre du 20e anniversaire du label, mais le sentiment de suivre son cœur demeure essentiel dans cette industrie qui suit trop souvent d’autres façons de mesurer le succès.