Affranchi des règles traditionnelles régissant le hip-hop, le groupe Dead Obies voit le jour en 2011 et décide d’apposer l’étiquette « post-rap » à sa mixture mâtiné d’éléments punk, électro et soul. Résultat de la première année d’apprentissage et d’expérimentation du collectif, Collation vol. 1 est une collection sympathiquement bordélique, réalisée dans un sous-sol. « Un disque dur a sauté et on a perdu tous nos projets work in progress. On avait juste les mp3 de certaines sessions, raconte Yes Mccan, l’un des cinq MC du groupe. On a décidé de sortir ça et de voir la réaction des gens. Puis, on a reçu de bonnes critiques et l’album a trouvé des preneurs. Par contre, on n’avait pas de réseaux de marketing. On a juste mis ça sur Facebook et Band Camp et ça s’est partagé. On ne s’était pas réellement forcés pour l’écriture des chansons et on s’est mis à réfléchir sur ce qu’on avait envie de dire. Puis, on a eu envie de faire une espèce d’album conceptuel qui expliquait d’où on venait. »
Le clan (complété par RCA, Snail Kid, 20some, O.G. BEAR et VNCE) se réunit dans un chalet et conceptualise ce qui deviendra Montréal $ud, le premier album officiel du sextuor, paru en novembre 2013. Ambitieux, audacieux, actuel dans sa facture, proposant une kyrielle de beats inventifs et solides, l’opus renferme pas moins de 17 morceaux et se veut une véritable chronique de vie suburbaine. Bref, ça groove avec intelligence et authenticité. « On a voulu donner un feeling cinématographique à l’ensemble. Jouer avec l’état psychologique de la personne qui l’écoute. Je vois un peu ça comme un roman. On avait en tête le Heart of Darkness de Joseph Conrad. Plus tu plonges dans le cœur du territoire de Montréal Sud, plus tu t’y enfonces… L’idée qu’on avait au départ était encore plus narrative, car on voulait faire ce que Kendrick Lamar avait fait sur son album Good Kid, M.A.A.D. City : un voyage où le lieu et l’environnement sont au cœur de l’histoire et influencent le personnage central. On a redirigé notre trajectoire pour que ce soit un peu plus lousse. On voulait une œuvre complète, à l’encontre de ce qui se faisait dans le rap à l’époque. Puis, lorsque l’album est sorti, on était timé avec ce qu’il se faisait dans ce style!, » confie Yes Mccan en souriant.
« On voulait faire un disque que les gens puissent écouter en se rendant à leur job qu’ils n’aiment pas, qu’ils aient le goût de passer à travers leur journée. »
Si le jeune MC de 24 ans avance qu’il n’y a pas réellement de thèmes de prédilection dans l’œuvre du sextuor, on y retrouve néanmoins une vibe omniprésente. « C’est un album d’empowerment. On en voit beaucoup dans le rap. On voulait faire un disque que les gens puissent écouter en se rendant à leur job qu’ils n’aiment pas et qu’ils aient le goût de passer à travers leur journée. C’était ça le motif derrière l’album. »
Âgés de 22 à 26 ans, les six membres des Dead Obies sont des mélomanes avertis. Tous partagent un amour indéfectible pour la musique, au sens large du terme. Ça s’entend à l’écoute de Montréal $ud. Alliant franglais, créole, français et anglais avec une aisance désarmante (une « simple réalité du Québec moderne » selon Mccan), la bande préconise une approche démocratique pour l’écriture de leurs brûlots. « VNCE s’occupe de la musique. Il arrive parfois avec un morceau déjà composé en entier ou presque et le reste du groupe va s’y mettre. En d’autres occasions, on va partir de rien, mais la musique vient toujours avant les paroles qui appuient simplement l’histoire racontée en musique. Traduire avec des mots le feeling musical d’un morceau, c’est notre grand défi. On se rassemble et discute. Une personne va écrire un couplet. On écoute ça ensemble. Puis, d’autres membres vont se mettre à écrire leur partie. On tente de trouver un thème principal autour de ce qui est raconté. Tout le monde va s’échanger les paroles et on va essayer de construire quelque chose à partir de cette idée. »
Travailleurs à plein temps, les membres des Dead-O cultivent le rêve, un jour, de vivre de leur art. Yes Mccan précise : « On n’élèvera sans doute pas nos familles en vendant des disques, mais je pense qu’il y a moyen d’être dans le loop. On est en train de s’organiser pour que ça fonctionne. On veut monter notre propre studio et offrir des services professionnels. Il s’agirait d’une façon efficace de stabiliser nos revenus. Tu sais, je ne me suis jamais identifié à la musique pop qu’on entend à la radio, mais je me dis que si ces artistes banals réussissent à vivre de leur art et à combler une demande, peut-être que je mériterais moi aussi de gagner ma vie avec la musique! »
En plus de l’élaboration de ce studio-maison, le combo collabore avec une compagnie de production et souhaite débarquer avec un spectacle qu’il présentera lors d’événements à grand déploiement. Premier arrêt : le festival Montréal en lumière. « On a toujours essayé de donner le meilleur show possible avec les moyens du bord mais maintenant on peut se permettre de faire des choses plus big. Montréal $ud a été enregistré de la même façon que Collation Vol. 1 : on faisait les pistes de voix dans une garde-robe et les beats dans un sous-sol. On veut pousser les choses plus loin et faire voyager notre musique. Rien n’est confirmé, mais on aimerait aller en Europe. On va rester occupés, c’est certain. VNCE a déjà une vingtaine de beats prêts. On fournit beaucoup. Ça inquiète parfois notre maison de disques! On veut améliorer notre craft pour offrir quelque chose d’encore vraiment meilleur. » Décidément, l’avenir est prometteur pour les Dead Obies.