« Après chaque spectacle, y’avait toujours un gars qui venait me voir pour me dire : Tu m’as fait brailler quand t’as joué la toune pour ton fils. J’ai pu envie de ça », laisse tomber Dany Placard. Ce n’est pas le printemps chez Placard, mais c’est quand même le temps d’un grand ménage, à commencer par les chansons qui meublent le répertoire de l’auteur-compositeur-interprète. « Y’en a beaucoup qui ont pris le bord », ajoute-t-il, manière d’insister sur le virage, musical et lyrique, qu’il a opéré sur Full Face, son splendide et surprenant sixième album solo paru il y a quelques jours.

Dany PlacardC’est en tournée à Paris qu’on le rejoint, accompagnant à la basse Laura Sauvage dans son périple européen. Avant de prendre l’avion, il avait commencé son ménage… en rachetant tous ses albums sur iTunes « parce que toutes mes copies physiques étaient entreposées dans les bureaux [de son équipe de gérance] Costume Records ». De son répertoire, il a retenu vingt-cinq chansons, plusieurs qu’il n’avait jamais jouées sur scène, certaines remontant même à l’époque de la sortie de son premier album solo, Au rang de l’église, en 2006.

« J’ai tout réécouté. Or, les chansons de Santa Maria [2014], comme Au pays des vieux chars disons, les chansons plus country, elles ne peuvent pas fitter dans mon univers, présentement. De même que les chansons plus personnelles que j’avais écrites sur Démon vert [2012], celles pour mes enfants… Je n’ai plus envie de faire brailler le monde. J’ai envie de les faire voyager. Prendre les gens par les sentiments, mais autrement. En les faisant réfléchir. Par rapport au texte. Ça a beaucoup rapport à la dépression, c’t’affaire-là. »

« C’t’affaire-là » s’intitule donc Full Face. Un disque nécessaire pour la santé mentale de Placard. Un disque en réaction à ses précédents albums, à une année complète passée enfermé en studio, à peaufiner la musique des autres. « J’ai fait huit réalisations [d’albums], et j’ai fini par m’oublier un peu dans ça, explique-t-il. Quand tu fais de la réalisation, tu ne fais qu’écouter les autres parler. Après, tu proposes des idées, mais en les garrochant, en essayant plein d’affaires. Tu finis par te vider. »

Pour s’extraire du blues du studio, il lui fallait se remettre à écrire. L’exercice l’a alors complètement vidé. Là, un moment donné, je me suis dit : Ok, faut te mettre à écrire. « Et c’est ainsi que je me suis retrouvé à ne plus avoir envie de sortir, d’aller dans un 5 à 7 ou un lancement de disque ou quoi que ce soit. J’ai passé un gros trois mois chez moi, à ne voir que ma famille. C’est eux autres qui m’ont aidé, en fait, qui m’ont redonné le sourire. » De cette sorte d’épuisement professionnel et créatif est sorti un disque « dont je suis fier aujourd’hui », dit Placard, qui assure très bien aller aujourd’hui.

Les chansons de Full Face font entendre Dany Placard comme jamais nous ne l’avions entendu auparavant. Le folk rock et le country d’antan ont pris le bord. « Ça fait longtemps que je voulais faire de la musique plus flyée, plus grandiose, précise le musicien. Je voulais des cordes, des claviers, j’ai attendu pour en mettre parce que c’est redevenu à la mode, les claviers. »

Surtout, il s’est forcé à composer différemment. « Du moment que ça penchait vers le folk, je mettais la chanson de côté. J’ai fait l’exercice de composer avec des guitares que je n’utilisais pas avant. J’en ai racheté, j’ai accordé mes guitares de manière différente. Du moment que je prenais un « pattern » d’écriture que je connaissais déjà, je m’en éloignais tout de suite. »

Même chose pour le guitariste et co-compositeur Guillaume Bourque, le seul rescapé de son ancien groupe d’accompagnateurs. « Lui, il s’est acheté une guitare baryton, une guitare à quatre cordes, juste pour voir si c’était possible de composer différemment, juste pour casser ses réflexes. J’arrivais avec une base, un genre de thème musical composé à la guitare, et lui essayait d’en inventer un autre par-dessus. Il me disait : Tiens, essayons de rajouter un ou deux accords là-dedans, juste pour casser le moule, pour que ça sonne moins carré. »

Les guitares constituent une des richesses de cet album raffiné, étonnamment groovy, à des lieues du folk brut auquel Placard nous avait habitués. Sur les deux tiers du disque, il aborde de front cet état dépressif qui l’a habité pendant quelques mois. Or, Dany Placard tenait à un disque aux musiques lumineuses, « malgré les textes sombres ».

« J’ai dit aux boys : Regardez, on le sait comment je file là-dedans. On lit les textes, on voit comment je les chante, mais musicalement, je ne tiens pas à ce qu’on aille jusque-là. Je veux pas que ce soit « deep », musicalement. Je veux que ce soit plus dynamique, plus rythmé – y’a même des motifs rythmiques inspiré de la musique du monde ».

Le ménage n’est pourtant pas terminé, assure l’auteur-compositeur-interprète, qui s’estime entrer dans un nouveau cycle créatif grâce à Full Face – ou à cause de son burnout.

« J’ai déjà un autre projet de groupe que j’ai parti avec des chums. J’ai recommencé à écrire tout de suite des nouvelles chansons parce que je ne veux pas attendre encore trois ans avant de lancer un disque. Je pense que ça va s’éloigner encore davantage du folk, sans que ce soit rock. Tu sais, j’ai 41 ans, je n’ai plus rien à perdre. Je préfère essayer des trucs plutôt que de m’enfermer dans un format pour plaire au public. Je ne pense pas d’ailleurs déplaire à mon public, parce que je sens qu’il m’est fidèle. »