Pour Laura Sauvage et Julie Aubé du trio folk acadien Les Hay Babies, l’aventure solo permet de libérer un trop-plein de créativité. Lancés à une semaine d’intervalle, leurs deux nouveaux albums mènent des quêtes sonores complètement différentes.

Julie Aubé, Laura Sauvage

Julie Aubé (à gauche) et Laura Sauvage (à droite). (Photo : Eric Parazelli)

Pour Joie de vivre, son tout premier opus, Julie Aubé a choisi de tout enregistrer sur une console analogique de 16 pistes. « J’voulais vivre un trip », explique celle qui, durant cette période, a eu « un gros kick sur du Black Sabbath, du Thin Lizzy, du Captain Beefheart » et des groupes rock psychédélique des années 1960. « Quand on a commencé à enregistrer, je me suis rendu compte que le ruban que j’avais fait venir des États-Unis était mal fait, mal coupé. Ça a eu un impact sur le son, qu’on entend à peine, mais qui a donné le ton à l’expérience. »

« Moi, c’est le contraire », poursuit Vivianne Roy alias Laura Sauvage, à propos de son deuxième album The Beautiful qui explore notamment les courants garage rock et new wave des années 1980. « On a utilisé une console numérique, mais avec des vieilles guitares et des vieux mics. On a enregistré le plus de layers possible, car j’voulais m’amuser à créer des effets et des sons, retourner des séquences à l’envers, faire un peu de noise dessus… Après ça, on a nettoyé le superflu. »

Divergentes, ces deux façons de concevoir la création musicale sont teintées d’une liberté artistique débordante, qui fait écho à la conception tout aussi émancipée de La 4ième dimension (version longue), deuxième album des Hay Babies paru en octobre 2016. Loin du compromis pop avec lequel flirtent bien des jeunes artistes après une percée spectaculaire, l’œuvre enregistrée en quelques jours dans un chalet témoignait d’une vive chimie musicale et humaine.

C’est de cette fougueuse énergie prolifique que semblent avoir hérité les deux nouveaux projets occurrents, créés à temps partiel entre les segments de tournée du trio complété par Katrine Noël. « Qu’on soit gone ensemble ou qu’on soit séparées, on arrête jamais, car la créativité, c’est quelque chose qui se travaille. Si tu l’utilises pas, tu la perds », explique Julie Aubé. « Quand j’avais pas mon projet solo, je pouvais parfois passer deux mois avec une idée de toune dans la tête. Maintenant, je peux l’exprimer dans mes temps libres et je me sens plus ouverte d’esprit lorsque j’enregistre avec Les Hay Babies. »

Julie Aubé, Laura Sauvage

« C’est rare qu’on soit les trois ensemble en dehors des tournées, alors c’est plus spontané de travailler seule », poursuit sa complice, Montréalaise depuis maintenant deux ans. « Je vois vraiment l’écriture comme ma job. J’pense à des idées et à des thèmes durant la journée et, dès que je suis chez nous, j’ouvre mon computer et je prends ma guitare. »

Prolifique, l’auteure-compositrice-interprète Laura Sauvage a appris à se faire confiance dans les dernières années. Épaulée par Dany Placard, qui l’a poussée à enregistrer son premier EP en 2015, elle s’est servie du tremplin que lui offrait sa carrière solo pour poursuivre l’un de ses rêves d’adolescence : réaliser des albums. « Y’avait pas de meilleur way pour apprendre le métier que de commencer à le faire. Je voulais pas me shooter dans le pied en faisant la réalisation d’un album à someone else… J’aurais eu trop peur de faire une shitty job. »

À la barre de la réalisation de Joie de vivre avec Marc Pérusse, Julie Aubé constate aussi que son expérience en solo lui a amené beaucoup d’assurance et d’autonomie, autant sur le plan de l’écriture que de l’enregistrement. « C’est le genre d’expérience qui nous porte plus loin », observe l’artiste installée à Memramcook, à environ 30 kilomètres de Moncton. « Pour la first time de ma vie, j’ai dû me faire confiance, car je pouvais pas m’accoter sur Viv pis Kat, ni sur Marc Pérusse qui était pas avec moi durant les sessions. Ça a été ça le plus gros défi. »

Prochainement, l’apprentissage va se poursuivre sur la scène. Habituée des spectacles à la formule guitare-voix, Laura Sauvage désire maintenant prioriser les concerts avec son groupe afin de tromper la solitude. « Faire des shows seule, c’est la loneliest thing au monde. Tu te rends en quelque part, tu passes une journée sans parler, tu fais ton soundcheck de cinq minutes, tu manges toute seule, tu fais ton show toute seule, tu te couches toute seule… », énumère celle qui a ouvert pour les Barr Brothers et Patrick Watson l’an dernier. « Maintenant, j’ai mon band et j’apprends à tenir le front. Des fois, j’me demande si j’suis pas en train de virer folle. C’est un peu weird d’être en avant sans les filles. T’es vraiment naked sur le stage. »

Même si elle n’a qu’un seul spectacle solo à son actif, celui de son lancement qui a eu lieu plus tôt ce mois-ci à l’Esco, Julie Aubé sait déjà ce qu’elle ne veut pas. « J’ai pas envie de faire des shows seule. C’que j’veux, c’est que ça rock en criss! Je trouve déjà que je tourne beaucoup avec Les Hay Babies, alors j’aimerais avoir juste quelques beaux shows par année avec tout mon band. »

Bref, ces nouveaux départs viennent avec leur lot d’attentes et d’appréhensions, leurs moments d’excitation et d’incertitudes. Consciente qu’elle retournera forcément jouer dans des petites salles qu’elle a auparavant sillonnées avec sa formation, Julie Aubé voit la situation avec optimisme. « En ce moment, avec Les Hay Babies, on est rendus six sur scène, en plus des techniciens. Tout ça fait en sorte qu’il y a moins de salles qui peuvent acheter notre show. Moi, j’ai toujours aimé joué dans des bars bruns, alors l’idée de recommencer à zéro et d’avoir la chance de revivre ça, ça m’enchante. »

Si les départs en solo annoncent bien souvent le début de la fin d’un groupe, ceux des Hay Babies sont davantage à prendre comme des interludes féconds entre deux albums. « Still, le monde se fait des idées pareil », déplore Laura Sauvage. Les gens aiment croire que c’est way plus dramatique que c’est, alors que c’est all for art qu’on fait ça. »

« Y’a des gens qui ont de la misère à comprendre qu’on puisse avoir des vies en dehors des Hay Babies », poursuit son acolyte. « Encore aujourd’hui, je vais dans un café à Moncton et je me fais demander où sont les deux autres. »