Appelons ça l’Effet mouche noire.
L’auteur-compositeur vancouvérois Dan Mangan avoue que sans les satanées mouches noires – de petites pestes carnivores – qui ont forcé son trio à se terrer dans le chalet de Jason Haberman à Lake Dickey, en Ontario, son nouvel album Natural Light aurait probablement pris une tout autre tournure.
« On ne pouvait vraiment pas mettre le nez dehors plus que quelques minutes, sinon on se faisait carrément dévorer par les mouches noires », raconte l’artiste. « On n’a donc pas eu le choix de rester en dedans et de travailler sans arrêt. Peut-être que si les mouches noires n’avaient pas été là où s’il n’avait pas plu, on aurait passé plus de temps dehors à faire autre chose que de la musique. Bref, dans un sens, merci les mouches noires! »

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Pour Mangan, les circonstances entourant la création de ce septième album enregistré avec Haberman, le guitariste Mike O’Brien et le batteur Don Kerr ont débouché sur ce qu’il considère comme l’un de ses meilleurs.
Et ça n’est pas peu dire. Dan Mangan est lauréat de deux JUNOs et il a été nommé pour le Prix de musique Polaris à trois reprises. Depuis plus de deux décennies, il a offert à la communauté indie-folk sa verve unique, ses sonorités innovantes et ses textes soigneusement fignolés qui lui ont permis de se bâtir une armée de fans indéfectibles. Il a joué à Glastonbury et à Jimmy Kimmel Live, il a joué dans un Massey Hall à guichets fermés et il a créé les trames sonores de plusieurs films et séries télé. En 2017, Dan Mangan a fondé la plateforme Side Door en collaboration avec Laura Simpson. Leur initiative vise à connecter les artistes avec des espaces alternatifs où présenter leurs spectacles.
Mais même avec un tel parcours, Natural Light s’est révélé être une surprise. « À ce moment-là, je prévoyais enregistrer un album, probablement à L.A., un peu plus tard dans l’été. L’idée d’aller au chalet c’était pour enregistrer quelques démos avec les gars pour voir où ça irait », raconte Mangan. « Il n’était pas question d’enregistrer un album là-bas. C’était surtout une excuse pour passer une semaine ensemble, nager dans le lac, cuisiner, être créatifs, jouer de la musique et écrire. »
« Je venais juste d’écrire It Might Be Raining avant de partir là-bas. J’étais super emballé par cette chanson et le premier soir au chalet, je l’ai présentée aux gars et on a enregistré trois prises live, sur le vif. En la réécoutant, on s’est tous dit “C’est LA chanson!” Ç’a vraiment été l’épiphanie, le moment où on a senti qu’on avait capté l’essence même de quelque chose. »
Mais ça ne s’est pas arrêté là. « Le lendemain, en se levant, on était encore sur le “buzz” de la veille. Les gars m’ont demandé si j’en avais d’autres comme ça et je leur ai répondu “j’en ai 12 autres!” La boule de neige a commencé à prendre de la vitesse et la deuxième journée on a enregistré deux autres chansons, trois la troisième journée, quatre la quatrième. C’est devenu une sorte de communion épique où tout coulait de source naturellement. »
« Il fallait que les saveurs s’amalgament et pour ça, il fallait qu’elles macèrent très longtemps »
« Pondre quelque chose d’aussi cohérent et abouti, un “album” dans le sens classique du terme, c’était franchement comme de la magie. Surtout l’automne dernier avec les élections aux États-Unis et tout ce chaos, pendant qu’on peaufinait les morceaux en ajoutant des cuivres, des cordes, etc. Ça a été une vraie bouée de sauvetage de travailler sur quelque chose de solide et beau durant ce tourbillon de folie. »
À l’exception de It Might Be Raining, aucune des chansons sur Natural Light n’est nouvelle, ce qui ne nuit en rien à l’impression de Mangan que cet album de folk éminemment intimiste pourrait bien être son meilleur.
« J’ai le sentiment que c’est un album très important pour moi », dit-il. « C’est quand même drôle que ces chansons aient été écrites au cours des cinq ou six dernières années. Y en a dans le tas qui étaient potentiellement en lice pour des albums comme More Or Less et Being Somewhere, mais elles n’ont pas été retenues. Je me souviens quand même qu’à l’époque, je m’étais dit que je voulais enregistrer cette chanson, mais on l’a pas fait. « Puis, comme c’est souvent le cas, avec le recul tu te dis “Non, c’était censé arriver maintenant — pas à ce moment-là.” Et je pense que c’est un peu ça, le fil conducteur de tout l’album : les choses qui se placent toutes seules, de façon inattendue, presque miraculeuse. J’en suis ressorti avec un immense sentiment de gratitude. »
Mangan compare le matériel datant de quelques années qu’on entend sur Natural Light à sa recette de brouillade d’œufs qu’il préparait chaque matin pour ses compères musicaux durant leur séjour au chalet. « J’ai l’habitude d’utiliser les restants de la veille dans mes œufs le lendemain matin », confie le chef amateur. « Que ce soit un restant de salade, de pain à la viande, peu importe : tu mets ça dans ton poêlon et tu cuis des œufs brouillés autour, et c’est ce que j’ai fait chaque matin pendant qu’on était là-bas. »
« Soapbox a été écrite en 2020, je pense que No Such Thing as Wasted Love remonte à 2018 et plusieurs de ces chansons devaient être réfrigérées. Il fallait que les saveurs s’amalgament et pour ça, il fallait qu’elles macèrent très longtemps. Cela dit, une fois prêtes à être cuisinées, le poêlon était déjà chaud. L’élément “restants” qui a permis la création de cet album tient presque du miracle. »
Natural Light se veut également une lettre d’amour à sa famille, à ses amis et, symboliquement, à notre planète. « Le dernier soir au chalet, on a écouté l’album au complet, le mix était encore très brut — et nous aussi. On buvait de la bière, on jouait aux cartes, et à la fin… on avait tous les larmes aux yeux. C’était comme une lettre d’amour entre nous quatre – on s’aime tellement –, mais aussi une lettre d’amour à ma femme, à mes enfants et au monde entier. J’ai envoyé un lien Dropbox à ma femme en lui disant à moitié à la blague “Si un astéroïde frappe le chalet cette nuit et que l’album disparaît, envoie ça à tout le monde.” »
« En écrivant à ma femme, je me suis rendu compte à quel point notre vie et notre relation étaient liées à ces chansons… Je pense que l’amour que j’ai pour elle et pour ma famille est presque indissociable de l’amour que je ressens pour le monde. »
« Je veux que ces chansons soient comme une invitation, comme un endroit chaleureux où on peut se réfugier », poursuit-il. « Mais sous le capot, ces morceaux ont une véritable fibre de résistance. Je ne pense pas que j’aurais pu faire cet album à un autre moment, maintenant que j’ai des enfants et que le monde est dans son état actuel. J’ai l’impression de marier deux univers : celui de la colère et de la résistance, et celui d’une acceptation bienveillante — celle qui reconnaît que l’amour est au cœur de toute cette douleur, et que l’amour existe encore et qu’on peut encore se laisser baigner dans cette lumière… tout en étant conscients des menaces existentielles très concrètes qui frappent à notre porte. »