Lorsque le mot-clic #CancelCanadaDay (annuler la fête du Canada) a commencé à gagner en popularité sur les réseaux sociaux quelques semaines après la découverte dans les pensionnats autochtones d’une série de tombes non marquées où se trouvaient les restes d’enfants et d’adolescents, de plus en plus de gens ont décidé de dénoncer la fête du Canada, en faisant la dernière victime de la culture de l’annulation. Mais dans de nombreuses communautés autochtones de Turtle Island, bien des gens, comme le rappeur et activiste Dakota Bear, alias Dakk’One, savaient qu’il n’en était rien.

« Annuler la fête du Canada est un concept qui existait bien avant l’apparition du mot-clic », explique Bear. « Les autochtones n’ont jamais célébré la fête du Canada depuis la première fois où cette fête a été soulignée, nous ne faisons que continuer notre acte de résistance. Les gens appellent ça la culture de l’annulation, mais pour que le Canada devienne ce qu’il est, nous avons été annulés au complet et ce pays a été bâti par-dessus ce que nous avions déjà créé. On avait des infrastructures, un gouvernement, des liens de parenté et un système d’éducation. Tout ça était en pleine expansion. La constitution des États-Unis a été construite sur le dos de la Confédération Iroquoise. Nous, on annule la fête du Canada depuis que la fête du Canada existe. »

Le rappeur et poète s’exprime avec la force d’un orateur et d’un militant né il y a plusieurs décennies… mais il y a seulement quatre ans, il entamait le chemin pour surmonter sa dépendance et récupérer son identité volée.

Né à Saskatoon, Bear se souvient avoir été témoin de membres de sa famille aux prises avec des dépendances, des mécanismes d’adaptation mal formés et des traumatismes intergénérationnels non guéris causés par les abus, la négligence et la persécution identitaire et culturelle des pensionnats. Durant son enfance, écrire était devenu un exutoire grâce à l’amour de la langue que lui avait transmis sans grand-mère et le jeune Bear couchait poésies et nouvelles sur papier. C’est toutefois 8 Mile de Eminem qui a changé sa vie. Le regard sans complaisance du film sur la dépendance, les traumatismes familiaux, la pauvreté et l’autonomie a trouvé un écho profond, tout comme la musique.

« La trame sonore hip-hop de ce film m’a inspirée et donné l’élan nécessaire pour commencer à créer de la musique pour raconter mon histoire et inspirer les autres », confie-t-il. « Je m’y suis carrément attaché, elle m’a aspiré. » Lorsque sa mère lui a donné le choix entre un micro haut de gamme et des cours de boxe, il a choisi le micro et, à 16 ans, il était en tête d’affiche de son propre spectacle mettant en vedette un mixtape qu’il avait lui-même créé. Le succès fut au rendez-vous grâce à des vidéos YouTube tournées par son frère, alors âgé de huit ans, avec une caméra portable, et à des textes qui trouvèrent un écho chez son auditoire. Aujourd’hui, il a notamment partagé la scène avec des icônes du hip-hop comme Bone Thugs n’Harmony, Redman, Method Man et Tech N9ne. Aujourd’hui, un autre aspect de sa vie a rapidement pris le pas sur sa musique pour occuper le devant de la scène : le militantisme.

Dès un très jeune âge, Bear entendait parler des horreurs des pensionnats et des enfants, des femmes et des membres des familles de sa communauté qui avaient tout simplement disparu. Comme tant d’autres avant lui, la dépendance et le mode survie sont devenus un mode de vie. Inspiré par la résilience de sa grand-mère et de sa mère, il a entrepris un parcours de guérison.

« J’ai l’impression d’avoir mis sur ce chemin par le créateur et les ancêtres qui m’ont vraiment guidé dans tout ce processus de guérison que nous appelons la route rouge. Il s’agit de se libérer de ses dépendances et de vivre une bonne vie, ancrée dans la prière et les bonnes intentions », déclare Bear, citant les huttes de sudation, la cérémonie de son nom d’esprit et les liens affectueux avec les anciens comme systèmes de soutien. Bear considère d’ailleurs la fondatrice d’Idle No More, Sylvia McAdam [Saysewahum], comme l’un de ses plus grands professeurs, et sa famille apprend également le cri.

« C’est précisément à ce moment-là que j’ai commencé à retrouver mes racines et mon but dans la vie », dit-il. « Je savais que c’était plus que simplement être un artiste hip-hop. Je le sentais. Quand j’ai commencé à voir plus clair, j’ai commencé à agir comme un aidant. Aider à accomplir le travail qu’il y a à faire, se tenir debout contre les injustices et utiliser la musique comme véhicule pour un message fédérateur. »

Bear a non seulement commencé à participer à des manifestations, mais il en a également organisé en se servant de ses vidéoclips pour mobiliser ses fans. « Ç’a créé un mouvement en ligne », affirme-t-il. « On a été capable de mobiliser les gens et de les faire descendre dans la rue pour diverses causes comme Protect Our People : la montée du trafic humain dans les Prairies. » Même si le récent mouvement d’annulation de la fête du Canada a été le plus populaire jusqu’à présent, propulsé par la preuve tangible de ce que beaucoup savaient déjà – un génocide silencieux, mais implacable, qui inclut les femmes disparues et assassinées –, Bear souhaite que tout le monde continue à construire une communauté et un élan pour la justice.

« Il y a beaucoup de peine et d’inquiétude au sujet de ces tantes, des ces oncles et des ces bébés que nous avons perdus », dit-il. « Ils ont des porteurs de langue. Ils sont des célébrants de cérémonies. Nous les avons perdus. Leurs esprits vivent désormais dans le monde des esprits, mais c’est une perte immense pour nos communautés. Il y a eu une demande de pardon en 2008, mais ç’a été très bref. Après ce pardon, le premier ministre du Canada a affirmé que le Canada n’a pas de passé colonialiste. C’est comme dire “on s’excuse pour ça, mais en réalité, on n’a pas fait ce qu’on nous reproche et ce pour quoi on s’excuse.”

« Maintenant, on a une base sur laquelle s’appuyer. Nous avons encore plus le feu sacré en nous qui nous aide à continuer et à poursuivre ce combat, notre voix, avec celle de nos alliés, continue de se faire entendre de plus en plus fort. Faites quelque chose. Peu importe ce que vous faites, ne laissez pas cette histoire disparaître avec le prochain cycle des actualités. Il faut que ça change. On ne doit pas être la génération qui va cacher ça sous le tapis ; c’est comme ça que ce genre d’horreur se répète. »