Le concept de musique à l’image est vaste et tentaculaire pour la musicienne et autrice-compositrice-interprète Frannie Holder. Celle qu’on a connue auprès des formations Dear Criminals et Random Recipe ressent depuis plusieurs années cette envie de sortir de l’ensemble des cadres érigés autour de la musique. Et si tous les vases étaient communicants au bout du compte ? C’est du moins le cas pour elle.

Film dur évoquant la violence sexuelle et physique de bout en bout dans un contexte de prostitution juvénile des plus réalistes, le premier long-métrage de Geneviève Albert Noémie dit oui contient beaucoup de chansons. Plutôt que d’accompagner les images par des trames instrumentales dessinées à même les scènes, la réalisatrice a plutôt choisi d’utiliser des pièces existantes.

« Dans ce film, ce n’est pas vraiment de la musique à l’image. Elle voulait mettre des chansons, explique Frannie. La musique que j’ai faite pour le film, ce sont deux tounes qui sont en fait des chansons du groupe fictif qui est dans le film. C’est un genre de emo-punk-pop d’ado et j’ai grandi avec une sœur qui en écoutait beaucoup donc mes inspirations étaient pas mal claires. »

Seule en studio, Frannie Holder a écrit la musique et les paroles et elle a produit les maquettes. Benoit Bouchard, avec qui elle travaille régulièrement pour Dear Criminals lui a présenté Pierre Fortin qui s’est joint au « band » pour la guitare. « Je me suis inspirée du scénario, de ce que vivait le personnage principal, se souvient Frannie. Les chansons, à l’adolescence, c’est toujours la trame sonore de ta vie. J’étais beaucoup comme ça à cet âge : vivre dans un vidéoclip. »

Ayant vogué aisément dans les champs opposés des styles avec Random Recipe et Dear Criminals, Frannie est convaincue qu’il n’y a pas « de zone musicale » qui ne la rend pas confortable. « Je suis moins à l’aise avec les arrangements orchestraux, dit-elle cependant. Pour avoir fait de la musique classique toute ma jeunesse, je trouve que c’est une montagne. C’est la seule partie pour laquelle j’engagerais quelqu’un. Sinon, le rap, le grunge, le reggae, ce que tu veux… je suis là! »

Habituée à vivre son art en groupe, ce qui revient également à jongler avec les compromis, Frannie nomme la solitude de la création pour l’écran comme principal challenge. « La musique à l’image est un travail assez solitaire, croit-elle. Tu parles avec des auteurs en amont, mais sinon, c’est toi, tout seul dans ton studio, à l’ordi. Le point positif, c’est que j’ai pu en faire beaucoup pendant la pandémie quand on ne pouvait voir personne », ricane-t-elle.

Parmi ses plus récentes collaborations à l’art de l’image, elle a entre autres composé la musique de Territoire des Amériques de Patrick Bossé, un film immersif sur la vie de l’artiste René Drouin. L’œuvre a entre autres été présentée à la SAT, à Montréal, en novembre dernier.  Le court-métrage Frimas et le long-métrage Au nord d’Albany, de Marianne Farley, ainsi que la saison 3 de la comédie Trop font partie des derniers projets qu’elle a complétés.

Pour Toi Flora, une série de Sonia Bonspille Boileau sera disponible sur l’Extra de TOU.TV le 26 mai. C’est l’histoire d’un frère et d’une sœur d’origine Anishnabe, dans un pensionnat « indien » durant les années 60. « L’actrice Kwena Bellemare-Boivin est musicienne et elle m’a inspiré tout un monde, raconte Frannie. Je suis partie d’une mélodie qu’elle fredonne dans la série pour esquisser le début de la musique. La réalisatrice ne m’aurait pas demandé la musique à moi si elle voulait de la musique autochtone, mais c’était important, autant pour elle que pour moi, qu’on entende les racines et le pont qui se construit entre la musique autochtone et nous. »

Sonia Bonspille Boileau voulait d’ailleurs construire ce lien entre les arts, les voix et les artisans. « Le but des discussions autour de l’appropriation culturelle, ça n’a jamais été d’éviter qu’on travaille tous ensemble, au contraire. Il faut seulement bien faire les choses », complète Frannie. C’est pourquoi elle a fait appel à Anachnid, artiste électronique basée à Montréal et d’origine Oji-Crie et Mi’kmaq. « Je suis fan, lance Frannie. Il était hors de question que je mette seulement ma voix sur un projet qui n’a aucun lien avec mon histoire. Anachnid était parfaite et elle a mis sa voix, sa flûte, ses tambours. C’était tout à coup beaucoup moins solitaire. »

Jamais en manque d’histoires, Frannie raconte avec beaucoup d’humour sa création musicale conçue pour la série documentaire animée Caresses magiques, présentée par l’ONF ce mois-ci et rassemblant cinq courts métrages de Lori Malépart-Traversy au sujet de la masturbation féminine. « Je venais de déménager dans mon studio maison et je ne savais pas à quel point c’était isolé, se remémore-t-elle. Je travaille surtout la nuit et il m’arrivait de faire jouer en loop pendant de longues minutes les mêmes scènes sexus. Je me suis demandé longtemps ce que mes nouveaux voisins pensaient de moi », s’amuse-t-elle.

Ces jours-ci, Frannie élabore les trames musicales de Motel Paradis, de Sophie Deraspe et Stéphane Hogue, une série en 6 épisodes qui sera présentée sur Club illico cette année.  « Sophie voulait la musique en amont pour travailler les scènes avec le son existant, ce qui est assez particulier. Je lui ai donc fourni de la musique selon les guides qu’elle m’avait donnés et ensuite j’ai remplacé ma propre musique en ajustant ce qui a été utilisé. »

L’image, c’est également l’art vivant et Frannie y contribue souvent, tant au théâtre que pour la danse. Elle voit son rôle comme une composante extérieure essentielle qui se moule autour du projet existant. Une chemise taillée sur mesure. C’est pour elle un métier très technique, lui permettant de se mettre au service de ce qu’un autre a envie de dire. « C’est réconfortant de travailler pour l’autre, dit-elle. Tu vois une image, tu la magnifies, l’apaises, tu crées un décalage, tu la détruis, tu la dupliques, tu la rends plus grande ou plus intime. C’est le dernier détail qui permet à la scène que tu vois de t’enlacer au complet. »