On sait depuis longtemps que Montréal est une plaque tournante de l’Industrie du jeu vidéo, attirant chaque année des développeurs et programmeurs du monde entier. Ce dont on parle moins, c’est de tout l’écosystème créatif qui s’est développé autour de cette industrie florissante, offrant des débouchés intéressants aux spécialistes de musique à l’image.
Lorsqu’il se remémore différents détours empruntés tout au long de son parcours artistique, de l’apprentissage du piano à des études en cinéma, il semblait inévitable qu’Eric Shaw allait aboutir dans l’industrie du jeu vidéo. Comme bien des musiciens, il a d’abord fait partie de bands rock qui ont rêvé de gloire avant d’adopter un profil plus discret. « J’ai cru un moment pouvoir faire partie du prochain Radiohead », évoque-t-il en riant, « mais tu sais, la vie nous rattrape : j’ai eu des enfants et la vie de tournée, ça peut vite devenir épuisant. Je ne regrette pas la scène, mais ce qui me manque, c’est le contact avec les autres musiciens. »
C’est probablement ce qui explique la philosophie derrière Pixel Studio, l’entreprise qu’il a fondée il y a 12 ans. « J’ai lancé ça avec trois amis, comme si c’était un band, en fait. Grâce à quelques connaissances dans le milieu du théâtre et du cinéma, j’avais déjà fait de la musique à l’image, mais avec Pixel, on voulait vraiment développer des liens avec l’industrie du jeu vidéo, qui est devenu notre point focal. »
Mais on ne s’improvise pas compositeur de musique de jeux en criant ciseau. Au-delà de la création artistique, il s’agit aussi d’un travail extrêmement technique, comme l’explique Eric. « On nous approche de plus en plus pour faire du design sonore ou du travail d’édition sur des musiques que nous n’avons pas nécessairement composées. Ça demande beaucoup de précision et une maîtrise de plusieurs logiciels complexes. Je suis un mélomane, mais je suis aussi un immense nerd et un gamer, ce qui est un net avantage dans ce milieu. »
Si le travail de commande peut paraître contraignant, le monde des jeux, en particulier celui des productions indépendantes, offre parfois des occasions créatives inespérées. Eric en a fait l’expérience avec le jeu Été, une création du studio Impossible, qui invite le joueur à se transformer en artiste visuel répandant des touches d’aquarelle dans une balade immersive à travers Montréal.
« C’est un jeu formidable, mais un peu atypique et j’aurais vraiment aimé qu’il soit plus populaire ; mais il m’a permis de m’exprimer comme jamais. On a contrôlé le son de A à Z : ce qui explique que tous les effets sonores sont accordés aux musiques. C’est très graphique, mais même le pinceau devient un véritable instrument de musique. »
À défaut de rivaliser avec les Assassin’s Creed de ce monde, Été a été reconnu et salué par le milieu du jeu, comme en témoignent ses nombreuses nominations au dernier gala des Canadian Game Awards, incluant, bien sûr, les catégories de musique originale et design sonore. Si Eric n’a pas gagné, il n’a pas à rougir, car c’est le grand compositeur hollywoodien Hans Zimmer (Dune) qui a remporté les honneurs pour le jeu Dragon Age, auquel Pixel a aussi collaboré.
Victoire ou pas, ce genre de reconnaissance contribue à faire rayonner le travail de compositeur d’Eric Shaw, dont la signature sonore se distingue de plus en plus. « Comme je le disais, il y a mon côté nerd qui me sert, mais je pense que je me démarque par mes choix mélodiques et harmoniques. J’ai des goûts extrêmement variés et j’aime les synthés analogiques et les arrangements orchestraux, si possible les deux en même temps », explique celui qui nomme Trent Reznor, Philip Glass et l’oscarisé Alexandre Desplat au nombre de ses influences.
Après des années de travail dans l’ombre, sous la bannière Pixel Studios, Eric se sent prêt à remettre son nom de l’avant, dévoilant différents aspects de sa personnalité, incluant son côté auteur-compositeur, sous le pseudo de Robot Chevalier. « Je vais d’ailleurs sortir sous peu une reprise d’Un Trou dans les Nuages de Michel Rivard, complètement refaite à ma sauce. Je n’ai jamais cessé de faire de la musique pour le plaisir et je continuerai à en faire, même si l’intelligence artificielle finit par nous remplacer. Mais ça ne m’inquiète pas trop, car 2025 s’annonce comme une grosse année chez Pixel, qui doit même prendre de l’expansion. »