There’s a boat coming up from America / With caskets filled with cocaine / There’s a goldmine out on the ocean / And a lighthouse in Little Lorraine [librement : Y’a un bateau qui arrive des États-Unis / Qu’Y transporte des cercueils pleins de cocaïne / Une vraie mine d’or sur l’océan / Et un phare veille sur Little Lorraine] – Lighthouse in Little Lorraine, Adam Baldwin
Les chansons viennent au monde de plein de façons différentes. Il arrive qu’une phrase gribouillée sur une « napkin » dans un bar ou sur un bout de papier devienne l’étincelle d’une idée. D’autres fois, c’est une mélodie qui s’impose avec force alors qu’on conduit en plein milieu de la nuit. Dans le cas d’Adam Baldwin et de sa chanson Lighthouse in Little Lorraine, qui est devenue un film présenté en première au Festival international du film de Toronto (TIFF) en 2025, l’étincelle est venue d’un endroit pour le moins étonnant : un corbillard.

J Balvin dans une scène tirée de Litlle Lorraine
Flashback à Sydney, au Cap Breton, en 2013 : Baldwin est un des porteurs du cercueil lors des funérailles de son grand ami Jay Smith. Le guitariste de Matt Mays est parti beaucoup trop tôt et pendant une tournée du groupe.
« On était en direction du cimetière dans le corbillard et je jasais de tout et de rien avec le chauffeur », se souvient Baldwin. « On a fini par se rendre compte que lui et mon père se sont connus dans leur jeunesse à Louisbourg [Nouvelle-Écosse]. Et il a continué à me raconter comment lui et ses frères se servaient de la maison funéraire de leur père comme repaire pour trafiquer de la drogue et comment ils cachaient du hasch dans les cercueils. »
« J’avais jamais rencontré cet homme avant et je trouvais que c’était des aveux assez intenses à partager avec un parfait inconnu, mais je me suis aussi dit que j’allais me souvenir de son histoire! »
Et c’est ce qu’il a fait pendant sept ans après cette conversation dans un corbillard. Puis vint la pandémie et, comme pour tous les artistes, des tournées ont été annulées et lui aussi s’est retrouvé avec beaucoup de temps devant pour réfléchir, seul chez lui.
« Il n’y avait rien d’autre à faire qu’inventer des histoires et écrire des chansons, » se souvient-il. « C’était la première fois que je prenais vraiment le temps de m’asseoir avec cette histoire-là. Mon père avait un emploi ultrasecret avec la GRC, et j’ai fini par comprendre, quand j’étais assez jeune, qu’il faisait de la surveillance. Pendant la pandémie, j’ai commencé à lui poser des questions sur différentes saisies de drogue. J’ai aussi lu, et j’ai fait mes recherches. Après ça, j’étais un peu mieux outillé pour prendre la plume et écrire cette chanson. »
Lighthouse in Little Lorraine est l’un des huit contes chantés de l’album Concertos and Serenades, paru en 2022. Couplet par couplet au fil de ses six minutes, la chanson raconte l’histoire d’une petite communauté du Cap-Breton où le désespoir économique mène un individu vers une fin tragique.

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« Je me suis dit que si Gordon Lightfoot est capable de sortir une chanson de huit minutes à propos d’un bateau, j’étais aussi bien de tenter ma chance moi aussi! » rigole Baldwin.
Après avoir passé près de dix ans aux claviers et aux chœurs pour Matt Mays and El Torpedo, Baldwin – un auteur-compositeur originaire du Cap-Breton – a quitté le groupe pour se lancer en solo. Il a lancé son premier EP solo en 2013 et a été nommé Artiste masculin et Musicien de l’année lors de la Nova Scotia Music Week, l’année suivante. Au cours de la décennie qui a suivi, Baldwin a continué d’écrire et de lancer des contes chantés, comme Lighthouse in Little Lorraine, qui trouvent écho auprès du public.
Originaire lui aussi du Cap-Breton, Andy Hines fait partie de ceux que l’histoire racontée dans la chanson de Baldwin a profondément touchés. Le réalisateur de vidéoclips nommé aux Grammys et aux JUNOs se souvient de la façon dont il a découvert la chanson.
« L’équipe d’Adam m’a envoyé Lighthouse in Little Lorraine avant la sortie de l’album pour savoir si j’étais intéressé à réaliser un vidéoclip » raconte Hines. « Je connais Adam depuis près de vingt ans et je suis un grand fan de son talent de conteur. Dès que j’ai fini d’écouter cette chanson, je l’ai appelé et je lui ai dit “C’est un film que j’aimerais faire avec ça!” »
Baldwin était plutôt sceptique. « J’avais du mal à y croire jusqu’au moment où on a commencé à donner des entrevues à propos du film, » dit-il. « Avec le recul, je me souviens du jour où j’ai rencontré Andy, et c’est drôle de repenser à cette journée-là, à la façon dont nos chemins ont pris des directions différentes, pour finalement se recroiser de façon aussi inattendue. »
Du corbillard à l’écran : les dessous du film
Quelques jours avant la première de Little Lorraine au TIFF, Baldwin et Hines se confient sur le parcours qui a mené de la chanson jusqu’au premier long-métrage du réalisateur. Hines explique que la structure essentielle à un bon film fait déjà partie de la chanson.
« La structure est là », dit le réalisateur. « Si vous écoutez la chanson, il y a un début, un milieu et une fin. Les éléments les plus difficiles du travail initial d’écriture du scénario étaient déjà présents dans le récit de la chanson. Il ne restait qu’à combler les vides et à tout relier d’une façon qui nous permettait de créer des personnages avec leur propre vie. »

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Comme le souligne Hines dans le dossier de presse de Little Lorraine, « mes racines en Nouvelle-Écosse ont profondément influencé ma façon de percevoir cette histoire. »
Le long métrage met en vedette le popuplaire artiste colombien J Balvin dans son premier rôle au cinéma, Sean Astin (The Goonies ; The Lord of the Rings ; Stranger Things) et Rhys Darby, a été bien accueilli au TIFF, tant par le public que par la critique. Ce qui a le plus touché le public, c’est l’humanité des personnages et les difficultés vécues par les petites communautés partout dans le monde alors qu’elles tentent de résister au progrès et aux rouages impitoyables du capitalisme pour préserver leur mode de vie traditionnel.
Little Lorraine marque non seulement les débuts au cinéma de J Balvin, mais Baldwin y fait aussi une apparition. Le chanteur-compositeur ne sait comment remercier Hines pour toutes les possibilités que cette aventure cinématographique lui a offertes. « L’été dernier, il m’a invité sur le plateau au Cap-Breton », se souvient Baldwin. « Il n’y avait pas de scénario. Il m’a juste dit : “Moque-toi de ces gars-là qui marchent sur le quai”, et ça — faire des blagues — ça me vient plutôt naturellement! »
« J’étais super content d’être dans le film, mais en plus, si je n’avais pas accepté l’invitation d’Andy, je n’aurais jamais vu l’ampleur de la production qui se déroulait dans la ville natale de mon père, » raconte Baldwin. « C’était un vrai privilège de pouvoir dire que j’avais contribué, d’une certaine façon, à insuffler un peu d’animation dans cette ville longtemps endormie. Andy a toujours insisté pour que le film soit tourné là où l’histoire prend racine, et je lui suis reconnaissant d’avoir tenu bon. »