Mettez un instant de côté l’image totalitaire et répressive que vous avez de la Chine. Pas que le pays soit devenu un exemple de démocratie ou du respect des droits de l’homme – loin de là –, mais suffit de discuter avec les gars du Québec Redneck Bluegrass Project pour comprendre qu’il existe une autre Chine que celle décrite dans L’État du monde.
« La grosse bière coute 50¢, le pot pousse dans la rue, et si tu es un musicien étranger, tu peux faire à peu près n’importe quoi », explique le guitariste et chanteur du groupe JP Tremblay. « Là-bas, tout le monde veut prendre des photos avec toi, surtout si tu es blanc et que tu joues de la guitare. »
Originaire de Chicoutimi, le compositeur parle en connaissance de cause. Il a vécu en Chine de 2006 à 2013, à Kunming. C’est là qu’il a fondé Québec Redneck Bluegrass Project avec des colocs québécois qui, lors d’un voyage à travers l’Asie, s’étaient aussi enfargés les pieds dans le sud-ouest de la Chine.
« Je jouais déjà de la musique. J’avais survécu en Grèce pendant trois mois juste en jouant dans la rue. Mais en Chine, c’était spécial. On a vite constaté que les musiciens étrangers y étaient considérés comme des demi-dieux. Même pas besoin d’être bon », rigole Tremblay. « Lorsqu’on a fondé le groupe, on s’est mis à faire des concerts corporatifs, des monkeys show comme on les appelait. Les gens de compagnies comme Mercedes ou BMW étaient vraiment contents de s’offrir les services d’un groupe « exotique » pour leurs partys. On faisait ce qu’on voulait. Parfois, on se faisait embaucher pour jouer du jazz alors qu’on joue pas une maudite note de jazz. Pas grave! Les patrons voulaient quand même tous leur photo avec nous. »
En plus des corpos, la formation organisait ses propres tournées à travers la Chine, mais aussi le Laos, la Thaïlande et l’Inde. À plus de 10 000 km de la Belle Province, Québec Redneck Bluegrass Project est devenu une machine de guerre et de brosse; un groupe explosif sur scène avec ses compositions et ses reprises bluegrass livrées avec aplomb et bonne humeur. Le documentaire La Route de la soif a d’ailleurs été tourné lors d’un périple à travers la Chine.
« Des histoires, je pourrais t’en raconter mille. On a traversé la frontière entre la Chine et la Birmanie en pleine jungle avec des soldats qui voulaient savoir si on courrait vite et si on avait peur des balles. On a organisé pendant deux ans un festival de musique en banlieue de Kunming en soudoyant l’armée à coup de caisses de bières. Disons qu’il ne fallait pas être trop nerveux. »
Or, l’adrénaline des débuts est maintenant loin derrière. Habitué de revenir au Québec l’été pour de courtes tournées estivales, QRBP est de retour au bercail en permanence. « La route vers Tadoussac et Rouyn est peut-être moins excitante que la jungle birmane, mais pareil, on a pogné le clos l’autre jour dans le coin de Québec quand notre van a perdu une roue. L’important, c’est la destination. On est en masse capable de l’échapper et d’avoir du fun partout au Québec. Même que ça commençait à être moins le fun en Chine. La curiosité face à l’étranger s’estompe avec le temps, et les policiers peuvent maintenant débarquer dans les bars et faire passer des tests d’urine aux clients pour les arrêter s’ils ont pris de la dope. Ça devient fatigant. »
Complété par Nick Flame (mandoline), François Gaudreault (contrebasse) et Madeleine Bouchard (violon) le groupe organise sa transition depuis déjà quelque temps. Ses albums Scandales et bonne humeur (2014), 3000 boulevard de Mess (2011) et Sweet Mama Yeah! (2010) sont disponibles au Québec depuis l’an dernier. Le prochain disque est en chantier.
« Malgré ses 1,3 milliards d’habitants, il n’y avait que trois groupes bluegrass en Chine. Donc oui, les attentes ne sont pas les mêmes ici. On travaille en malade sur le quatrième disque qui devrait sortir cet hiver pour coïncider avec notre 10e anniversaire. Les tounes sont bonnes, et j’ai vécu en masse d’histoires inspirantes pour les textes. » Comme la fois où tu t’es fait emprisonner en Chine? lance-t-on à la blague. « Entre autres, mais j’y suis pas resté longtemps. Quelques heures seulement pour bris de matériel. Les flics étaient cool. Ils m’amenaient du thé et des cigarettes. »
Décidément, même les gardiens de prison chinois aiment le Québec Redneck Bluegrass Project!