La première chanson qu’Aqyila a écrite était au sujet de sa maman. Alors âgée de 10 ans, elle l’a interprétée dans un récital à son école. « Bien sûr qu’elle était une “fan” finie – elle a tout filmé avec son téléphone », nous dit Aqyila avec un grand sourie durant notre vidéoconférence. « C’était la première fois que je chantais sur une vraie scène. »

Aujourd’hui, à 22 ans, l’artiste R&B torontoise Taahira Aqyila Duff a été écoutée plus de six millions de fois sur Spotify, et a recueilli 14 millions de visionnements et trois millions de likes sur TikTok, grâce à son « hit » « Vibe for Me (Bob for Me) ». Elle l’a publié sur sa page TikTok et la chanson est devenue virale après que Lizzo l’ait partagé.

Comme elle le raconte, elle a posté la chanson en novembre 2020, puis a continué sa vie – comme elle le fait toujours après avoir publié quelque chose sur TikTok – mais cette fois-ci, les notifications ont commencé à s’accumuler. Elle était déjà sous le choc, mais d’autant plus quand Lizzo a publié « love you » sur sa page. Elle s’est depuis gagné d’autres fans-vedettes, notamment les icônes des années 90 Monica et Brandy, Charli D’Amelio, une vedette TikTok, et Bebe Rexha, qui a écrit à Aqyila en privé avant de s’abonner à sa page.

Aqyila nous raconte l’histoire de sa viralité après une séance d’écriture où elle travaille sur une nouvelle fournée de chansons. Elle a récemment été mise sous contrat par Sony Music Canada. Lorsqu’Aqyila a créé sa page TikTok au début de la pandémie, c’était pour s’amuser, dit-elle, un endroit où elle pouvait être créative et tester les morceaux qu’elle créait à l’aide de GarageBand. Mais de toute évidence, un contrat avec un « major » est la partie la plus significative de cette étourdissante péripétie. Elle dit que c’est la première fois qu’elle utilise des microphones de studio professionnels et, comme elle a écrit seule pendant un certain temps, elle est heureuse de travailler avec des collaborateurs qui comprennent sa vision.

Aqyila a grandi au son du R&B et elle cite Whitney Houston, Mary J. Blige et Fantasia comme influences clés de sa palette musicale. Le gospel fait également partie de son parcours artistique, et elle nomme des chanteurs comme Fred Hammond, Donnie McClurkin et le duo Mary Mary. Tous ces interprètes évoquent une profondeur émotionnelle vive, ce qui est important pour Aqyila en tant qu’auteure-compositrice.

« Je vis mes émotions en les écrivant »

« Je vis mes émotions en les écrivant », explique la jeune artiste. « Chaque fois que je pense ou que je traverse quelque chose d’un peu plus difficile… je l’écris et je le chante. La plupart du temps, c’est comme si on enlevait un poids de sur mes épaules. »

Une grande partie des brèves propositions musicales d’Aqyila sont positives, ce qu’elle dégage en tant que personne également : gentille, tendre, sage et généreuse de son temps et de son talent. « Vibe For Me », dit-elle, est une chanson qui rayonne et qui permet aux personnes qui l’écoutent de rayonner.

« Je veux que les gens sachent que peu importe à quoi vous ressemblez, d’où vous venez, vous êtes une personne extraordinaire », dit-elle. « Ça inculque et rappelle aux gens que, quelles que soient les normes de la société actuelle, quand je me regarde dans le miroir, j’ai toujours l’impression d’être cette fille, que je suis géniale. »

Même si plus d’une décennie s’est écoulée depuis la première chanson qu’elle a écrite, le fil d’Ariane de son art est d’inspirer ses auditeurs, de faire en sorte que les gens se sentent bien, respectés et entendus grâce à sa musique. Cela renvoie à ses influences, et à ce qu’elle valorise en tant qu’artiste : une expression émotionnelle profonde. Elle fait allusion à une chanson d’amour sur laquelle elle travaillait juste avant notre appel et dont elle est extrêmement fière, un « joli petit morceau », comme elle le dit.

Et bien qu’elle utilise toujours TikTok pour se connecter avec ses anciens et nouveaux fans, Aqyila ne ressent pas le besoin de maintenir son élan s’il est inauthentique. « Je refuse de me mettre de la pression en me disant “OK, je dois faire quelque chose qui va devenir viral”. »

Il semble vraiment que cela n’aura jamais à être le cas.



Nous sommes ravis de vous offrir encore notre série Jeunes pousses, où nous vous présentons des profils de très jeunes membres de la SOCAN qui se font remarquer grâce à leur musique.

Jay JayEn grandissant dans les Appartements St-Pie X, Jay Jay avait déjà un pied dans la culture hip-hop québécoise. Auparavant appelés Tours Bardy, ces tours d’habitation emblématiques du quartier Limoilou ont vu naître et croître le mouvement rap à Québec depuis trois décennies.

Du haut de ses 12 ans (et de son cursus primaire terminé il y a un mois), Jay Jay s’impose donc comme la relève d’un quartier fondamental du rap québécois, qu’ont représenté avec fierté Shoddy, Webster, Souldia, Les Sozi et bien d’autres. Bloc 2000, son premier EP, s’inscrit géographiquement dans l’espace limoulois grâce à son titre qui réfère au 2000 rue Désilets, adresse de l’un de ces deux gratte-ciel à loyer modique, où se regroupent une myriade de cultures dans un climat vivant et chaleureux, mais parfois impétueux.

« Retourne chez toi / Juste au cas où / Y’a des bagarres de partout, cours / On pourrait dire des loups-garous », témoigne l’artiste aux origines congolaises sur la percutante Feu rouge, un titre renvoyant aux sirènes de police qu’il a vu refléter dans les vitres du bloc 2000 dès son plus jeune âge.

« À Limoilou, t’es comme en famille », explique Jay Jay, rejoint au téléphone en appel conférence avec son gérant Sami, qui interférera parfois dans la discussion pour préciser la pensée de sa jeune recrue. « Par contre, si t’es nouveau, tu peux avoir peur. C’est un quartier où il y a beaucoup de bandits […] Mais si tu es né ici, tu vas grandir avec eux. »

« Je pense que ce qu’on peut retenir de tout ça, c’est qu’à Limoilou, on est en famille », résume Sami, le sourire dans la voix.

Et on le sait : la seule chose qui compte, c’est la famille. L’adage d’Alaclair Ensemble, formation qui a quelques-unes de ses nombreuses racines dans le quartier, incarne bien ce qui ressort de Bloc 2000, un mini-album marqué par l’amour que porte Jay Jay à sa mère, son équipe et ses amis.

L’un d’entre eux, c’est Izo, jeune adolescent de son voisinage qui lui a donné envie de rapper il y a un peu plus d’un an. « Je voyais qu’il était vraiment bon », dit-il, à propos de celui qu’il cite comme une influence majeure aux côtés de gros noms comme Koba LaD, Souldia et 50 Cent. « On a commencé à rapper ensemble il y a environ un an. C’est lui qui m’a montré à Sami. »

Sami a rapidement flairé le talent des deux jeunes garçons. « Je les ai invités dans mon petit studio. Mon ami avait placé son matériel dans ma chambre. Ça a donné Recompter », raconte le jeune gérant, également natif des Appartement St-Pie X.

Le clip de la première chanson de Jay Jay et Izo a rapidement dépassé le cap des 10 000 vues sur YouTube. Le succès était prometteur, mais malheureusement, « la maman [d’Izo] a supprimé la vidéo », se désole Sami. « J’ai donc recontacté Jay pour une chanson solo. Cette fois, je l’ai amené dans un vrai studio. Et on a fait la chanson Bloc 2000 avec un autre beat [que celui de l’album]. »

Sami a ensuite eu la brillante idée d’envoyer la chanson à un ami de son cousin : Souldia. Avide de nouveaux talents, le rappeur a instantanément pris Jay Jay sous son aile. « Je me retenais full pour pas sortir mes émotions », dit le jeune rappeur qui voit en Souldia un modèle. « À partir de là, il m’a dit qu’on allait faire un album dans un vrai de vrai studio. C’était vraiment professionnel ! »

Publié sous Disques 7ième Ciel et Altitude Records (la toute nouvelle étiquette de Souldia), le microalbum a été enregistré à Montréal chez Christophe Martin, fidèle réalisateur et ingénieur de son du porte-étendard limoulois. Chanson faisant la promotion du restaurant de sa mère, Malewa (premier extrait du EP sorti en mars dernier) a jeté les bases du style de Jay Jay : un trap fougueux mené par des compositions assez sombres qui contrastent avec ses textes rayonnants, un brin candides, mais plutôt matures et conscients pour son âge.

« La drogue, nah, ne prends pas de tout ça / Ils croient que je dors, mais nah, je ne connais pas le coussin / Tu sais où que j’ai poussé, la jeunesse est dégoûtée / Bloc 2000, St-Pie-X, dis-moi est-ce que tu sais où c’est », lance-t-il avec un flow précis et exalté, en phase avec la tendance du moment.

Sur Jeanine, touchant hommage à sa mère, Jay Jay sait aussi se faire plus sensible et émotif. « J’espère que ma musique pourra te faire vibrer / Maman je pars faire du rap / J’ai un combat à livrer », confie-t-il.

« Ma mère, je voulais la remercier pour la carrière qu’elle m’a donnée. J’adore ma mère », dit-il. « Je pensais qu’elle allait dire ‘’non’’ [à mon ambition de faire de la musique]. Ça aurait pu gâcher tous mes rêves. »

La pièce marque également les esprits par son refrain crève-cœur. « Papa où es-tu ? », demande-t-il à répétition dans un élan qui rappelle le tube international de Stromae. Quand on lui parle de ce passage, Jay Jay se fait catégorique : « Je vais même pas dire que c’est mon père… Il ne s’est jamais occupé de moi ! »

De toute façon, à quoi bon compter sur un adulte qui ne prend pas ses responsabilités quand on a tout un quartier derrière soi ?



Où est le chez-soi de quelqu’un qui « a vu tout ce qu’il savait du monde lui être arraché » ?

C’est une question à laquelle John Orpheus a essayé de répondre pendant la majeure partie de sa vie adulte. Cette quête l’a conduit à explorer le punk autant qu’une myriade de styles de musiques noires dans le but de découvrir sa réelle identité.

« Mon chez-moi, je l’ai bâti dans la musique », confie le chanteur et musicien trinidadien. « Pendant très longtemps, chaque fois que je montais sur scène pour donner un spectacle, j’étais chez moi, je n’avais besoin de rien d’autre, jusqu’à ce que j’établisse une connexion plus profonde avec moi-même et que je sois bien dans ma peau. »

Haus Orpheus
John est passionné par Haus Orpheus, un projet qu’il a cofondé avec sa collègue Sarah Jane Riegler. Il s’agit d’une série d’événements basée à Toronto, mais jamais définie par le lieu de naissance ; c’est un mouvement, une communauté et une ambiance enracinée dans le panafricanisme, le féminisme intersectionnel et la décolonisation, un espace inclusif où les gens peuvent se rassembler pour se connecter avec l’art et être eux-mêmes sans complexe. Jusqu’à présent (avant la pandémie), il organisait une soirée dansante bimensuelle, Afro Haus, une soirée mensuelle de micro ouvert, Speak Ya Truth, et Haus Orpheus Presents, pour promouvoir des événements spéciaux ponctuels.

« Maintenant, peu importe je vais, je suis chez moi. chez-moi, c’est dans mon cœur », ajoute-t-il. « Pour moi, tout est une question de connexion à moi-même et aux histoires et souvenirs qui ont fait de moi qui je suis. »

Les « histoires et les souvenirs » qui l’ont façonné – son voyage de transformation et sa quête de chez-soi et d’identité – nous sautent aux yeux dans sa puissante autobiographie intitulée Saga Boy : My Life of Blackness and Becoming et publiée chez Penguin Random House Canada plus tôt cette année. Signé de son vrai nom, Antonio Michael Downing, le récit a été décrit avec justesse comme étant brûlant, déchirant et émotionnellement captivant.

C’est bet et bien tout cela, mais par-dessus tout, Saga Boy est une histoire de résilience et de survie. Saga King, l’album qui accompagne le livre et qui aborde également ces thèmes, sortira le 30 juillet 2021. Il est intéressant de noter qu’entre la fin de l’année 2019 – date à laquelle il a terminé le livre – et l’été 2020, Orphée s’est demandé s’il allait un jour refaire de la musique.

« Soudainement, l’été dernier, j’ai eu l’impression d’être arrivé quelque part », dit-il. « J’ai ressenti un sentiment de souveraineté sur moi-même et je me suis dit : “OK, j’ai quelque chose à dire”. » Il qualifie Saga King de « célébration de mon voyage, une représentation de la guérison et de la plénitude ».

De l’avis général, l’album s’est constitué de manière organique et sans heurts. « J’ai réalisé 15 démos tout seul, je les ai emmenées aux séances d’enregistrement et, en trois semaines, nous avions un album prêt à être mixé et masterisé », explique-t-il.

Saga King est un pot-pourri de sonorités embrassant tout, de la soca à l’afrobeat en passant par le rock et le rap. « C’est un soundclash pop caribéen funky ! » dit-il en riant. « L’intertextualité est un terme très utilisé dans la critique littéraire. J’ai envie d’explorer cette notion dans le cadre de la musique », dit Orpheus. « Certaines personnes aiment s’en tenir au blues, à l’afrobeat ou au rap, mais je veux être l’endroit où tous les différents sons se rencontrent. »

Orpheus affirme que « Fela Awoke », l’une des chansons de Saga King, est l’une des plus personnelles qu’il ait jamais écrites. Il y évoque la mort de trois personnes qui ont eu un impact considérable sur sa vie : Miss Excelly, sa grand-mère qui l’a élevé à Trinidad, la légende de l’afrobeat Fela Kuti et Bob Marley. « “Fela Awoke” parle d’embrasser nos héros tout en les laissant partir pour pouvoir devenir notre propre héros », dit-il. « Chaque couplet contient une ou deux phrases marquantes que ces personnes ont dites. »

« Olorun », le dieu le plus puissant de la mythologie de Yoruban, est une autre chanson qui lui tient à cœur. « Ç’a été la plus facile à écrire », avoue-t-il. « J’écoutais les hymnes baptistes Shango et je finissais par chanter les mélodies et les paroles de toutes les chansons. » Orpheus dit s’être réveillé un matin en chantant « Olorun », ajoutant que la prise vocale sur l’album est l’originale : « Ce que vous entendez, c’est la première fois que la chantais du début à la fin. C’est la seule pièce qu’on a faite d’une seule prise. »

Sur « Olorun », Orpheus renoue avec ses racines yorubaines, ou, comme il le dit, « en puisant dans mon héritage ouest-africain ». Cette chanson me permet d’embrasser mon passé pour créer mon futur. »