C’était il y a quatre ou cinq ans. « J’essayais d’écrire une toune, se souvient Alex Burger, mais ça ne marchait pas. Je cherchais des accords bizarres et à un moment donné, je me suis tanné. J’ai fait un sol pis un do et ça a éveillé ben des choses en moi. Ça m’a fait me rendre compte que plus la musique était simple, plus ça relevait mon écriture. »

Alex BurgerParmi les choses qu’éveillera en lui cette épiphanie: quelques précieux souvenirs d’enfance, dont celui d’avoir entendu son grand-père Paul-Émile écouter beaucoup de country, « le matin, le midi, mais pas le soir, parce que ma grand-mère regardait Les feux de l’amour. »

La chanson issue de cette indélébile révélation, Pays chauds, se retrouvait en 2018 sur À’ment donné, le premier EP d’Alex Burger, qui poursuit aujourd’hui son chemin sous les cieux de la providentielle simplicité country avec Sweet Montérégie, un premier album sur lequel plane le fantôme éternellement mélancolique de Gram Parsons. Les disques du regretté Gram, jeune martyre du country rock américain et père spirituel du country alternatif, ont d’ailleurs beaucoup résonné dans le camion de tournée des Prix Staff (l’orchestre de Burger), tout comme ceux des hors-la-loi mystiques qu’étaient Waylon Jennings et Merle Haggard.

Mais si Sweet Montérégie peut fièrement revendiquer l’étiquette country, c’est moins dans son obédience stricte à une certaine palette sonore, que parce qu’Alex Burger nous y rappelle à plusieurs occasions une grande vérité: une bonne chanson country se situe souvent à la frontière du drame et de la comédie, de la farce et de la tragédie.

« Ça tombe bien que tu dises ça: je n’aime pas trop l’humour en musique, mais je n’aime pas trop le drame en musique non plus », lance en riant le cowboy de Saint-Césaire, véritable érudit en matière de country, pour qui le genre n’est surtout pas cet objet de ridicule auquel l’ont réduit trop d’artistes québécois.

Jouer pour les bonnes raisons

Autoportait d’un avaleur d’asphalte pour qui la route est à la fois le lieu de la fuite et de la vérité, Sweet Montérégie marque pour Burger l’aboutissement de plusieurs années à errer sur les tronçons secondaires du merveilleux, mais éreintant, monde de la musique. Pendant la première moitié de sa vingtaine, Alexandre Beauregard se dépense sans compter au sein de la formation math folk Caltâr-Bateau, puis, désillusionné que son rêve rock ne se matérialise pas assez rapidement, quitte le navire pour se réfugier dans la pénombre des bars de blues. Le guitariste, qui a maintenant 30 ans, accompagne un temps l’harmoniciste Billy Craig et « d’autres beaux vieux bonhommes tout croches qui ont une couple de trucks qui leur sont passés dessus ».

Un détour lui permettant de réapprendre à faire de la musique pour les proverbiales bonnes raisons. « Ça m’a fasciné de voir ces gens-là qui ne jouent ni pour la paie, ni pour l’exposure, un dimanche après-midi, dans un bar crado, sans aucune possibilité de réseautage ou de développement. »

Mais avant de passer complètement du côté sombre et de rester collé au comptoir, Burger renoue enfin avec l’écriture, se munie d’une nouvelle poignée de chansons et sillonne le circuit des concours (il remportait notamment le prix Paroles & Musique de la SOCAN lors des Francouvertes de 2019). « J’ai passé beaucoup de temps dans des meetings avec des compagnies de disques, mais finalement tout le monde avait peur que je fasse un album trop country ou trop métal », raconte celui qui a donc autoproduit et coréalisé avec Alexandre Martel (Mauves, Anatole) Sweet Montérégie. « Tout le monde me trouvait ambivalent. »

C’est pourtant cette ambivalence, ou plutôt cette richesse, qui transforme peu à peu Sweet Montérégie en drogue dure, du dance rock de C’est pas le pérou, jusqu’au folk éthylico-pastoral de Chanson pour Simon, en passant par le honky tonk très Stephen Faulkner de J’prends pas ça pour du cash, le southern rock (vaguement stoner) de La randonnée et l’americana de la sublime Dormir sur ton couch (sertie d’une stellaire partition de pedal steel, encore une fois héritière de Gram Parsons, signée David Marchand).

« Chez les labels, on cherche souvent la nouveauté, le prochain gros truc, on veut prendre un risque sur quelque chose qu’on ne connaît pas trop, mais qu’on pense qui va être cool », observe le musicien qui figure aussi parmi les rangs de Mon Doux Saigneur et Bon Enfant. « J’avais parfois l’impression que ce que les labels cherchaient, c’était le son montréalais. Alors que moi, j’ai le goût de jouer en région, je ne veux pas être juste un chanteur de Montréal. Je veux rejoindre les gens de partout au Québec. »

Malgré la trame de spleen qui en traverse les couplets, Sweet Montérégie est un de ces trop rares albums vraisemblablement conçus avec, au cœur, le désir qu’une fois transposé sur scène, personne dans la salle ne sache rester assis. De la musique festive, écrirait-on si cet adjectif n’était pas aussi élimé. Festif, au sens le plus noble – fédérateur, communautaire, cathartique – que l’on puisse imaginer.

« Quand je finis une toune, après avoir trouvé les accords et écrit le texte, la troisième étape, c’est toujours de la jouer en me visualisant au Quai des Brumes ou dans un endroit comme ça. Et là, je vais peut-être changer une phrase, effacer un temps mort, pour que la chanson ne parle pas que de moi, mais qu’elle puisse parler à tout le monde. » Ça paraît.