Nous poursuivons notre série d’entretiens portant sur ces mariages heureux du mystère de la création que l’on appelle… les duos d’auteurs et compositeurs. Cette semaine, rendez-vous avec deux artistes attachants de  complicité, l’auteure-compositrice-interprète  folk Chantal Archambault et son homme, le compositeur, écrivain et instrumentiste Michel-Olivier Gasse, qui forment ensemble le duo Saratoga.

SaratogaLa nécessité est mère de l’invention, dit l’adage. Elle accouche parfois aussi de beaux projets, raconte Michel-Olivier Gasse, retrouvé à la terrasse d’un café : « Chantal avait commencé à faire des concerts en solo, mais ne trippait pas nécessairement à en donner, comme ça, seule sur scène. J’ai donc commencé à l’accompagner. Et c’est au lendemain d’une de ces situations, une petite scène à la technique très limitée… »

– « Très contraignante! », insiste Chantal Archambault, assise à côté de son compagnon.

– « …Elle faisait ses chansons, poursuit Gasse, j’étais juste à côté d’elle, avec ma contrebasse, et je chantais au-dessus de son épaule pour que ma voix puisse être captée par le seul micro, et… Ben, je pense que ça a été charmant. »

– « Les gens sont venus nous en parler après le concert, enchaîne Chantal. On se faisait dire : Voyons, c’est donc ben beau quand vous chantez comme ça tous les deux! »

C’était il y a moins de deux ans. L’automne dernier, Chantal et Michel-Olivier se rendaient à New York en voiture. « On est arrêté dans ce petit village, à mi-chemin, pour dormir. Dans la chambre de motel, on s’est mis chaud, et c’est là qu’on a décidé qu’on montait ce projet. » Le village s’appelle Saratoga. « L’histoire est un peu plus compliquée que ça, rigole Chantal. On prend presque quinze minutes dans notre spectacle pour raconter les détails… »

C’est Michel-Olivier surtout qui raconte l’histoire, parce que « moi, ma force, c’est composer les chansons, c’est l’écriture, explique Chantal. Lui, sa force c’est d’animer. Saratoga est un projet complet en ce sens : sa présence sur scène, ma manière d’écrire. »

Elle s’y est faite, depuis le temps. Avec trois albums solos à son actif, Chantal Archambault s’est illustrée comme une douce et rassurante présence sur la scène folk québécoise. Anciennement du groupe Caloon Saloon, Michel-Olivier Gasse est de son côté mieux connu comme écrivain (deux romans à son actif, édités chez Tête première) et comme bassiste, ayant accompagné Vincent Vallières et Dany Placard, entre autres.

Deux univers créatifs affirmés et distincts, donc, qu’il a fallu harmoniser. Plus difficile qu’il n’y paraît, confessent-ils. « On apprend encore à composer ensemble », dit Chantal. Le premier EP de cinq chansons avait été enregistré à la sauvette « parce qu’on avait des shows de bookés, mais rien à présenter ». Seules deux d’entre elles ont été écrites ensemble; les trois autres traînaient dans leurs tiroirs respectifs. Mais avec un contrat de disque en poche et un premier album attendu en octobre (scoop : il aura pour titre Fleur), le duo a dû s’y mettre dès janvier.

« À la fin de notre période d’écriture pour l’album, on a enfin trouvé notre dynamique de travail, explique Michel-Olivier. D’abord, on ne se partage pas ça 50/50: on a réalisé que Chantal était super bonne pour trouver un lead, une direction, une idée de mélodie – c’est une excellente mélodiste d’ailleurs. Alors que moi, je n’ai pas encore vraiment confiance en ce que je peux accomplir tout seul, une guitare dans les mains. J’arrive pas à sortir clairement tout ce que j’ai en tête. »

Chantal enchaîne : « Les mélodies venaient facilement. Après, pour les textes, souvent je dénichais la bougie d’allumage, une esquisse, une espèce de croquis, puis Gasse repasse dedans. Il a ce talent de savoir analyser un travail, d’être objectif et critique, de voir le beau et le moins beau dans une chanson. Pis il a raison! »

Gasse juge pourtant plus difficile de composer une chanson que d’écrire un roman. « C’est terriblement dur d’écrire des chansons, avoue-t-il J’écrirais un texte de cinquante pages plus facilement que d’écrire une chanson. J’ai l’approche d’un conteur, le verbe fluide, donc. Aucun mal à élaborer, disons, sur un pot de fleur pendant une page, ça me vient naturellement. Tandis qu’une chanson, c’est un espace à remplir, un piétage à respecter, de bonnes rimes à trouver. Et ce n’est pas n’importe quel mot qui peut bien se chanter. Ça doit couler de source, et il faut croire à chaque mot. Par exemple : si tu mets le mot, disons, autobus, dans une chanson, arrange-toi pour que ce soit crédible. Enfin, je dis autobus, mais y’a des mots bien pires que ça encore à essayer de mettre dans une chanson… »

L’autre défi était plus thématique : comment délimiter un univers chansonnier partagé par l’un et l’autre de nos deux musiciens amoureux? « C’était ça aussi le défi, construire des tounes au « on », abonde Archambault. J’ai toujours écrit au « je ». Lui, avec son groupe, écrivait des tounes de boys, moi des tounes de filles, alors on devait trouver des thèmes pas cucul, et surtout pas seulement écrire des textes qui parlent de nous. Le but de tout ça, c’est la musique, pas raconter notre couple. Tout un défi. »

Ainsi parlait Saratoga.

 



Le spectacle de Linda McRae au Rogue Folk Club de Vancouver le 4 septembre 2016 ne sera pas une prestation comme les autres : il marquera l’intronisation de l’auteure-compositrice-interprète roots au British Columbia Entertainment Hall of Fame à titre de pionnière. « Ça m’a beaucoup surpris, confie-t-elle, mais je suis ravie de cet honneur. Ma fille a crié de joie en apprenant la nouvelle au téléphone. »

Voilà une reconnaissance bien méritée pour un parcours qui a amené la musicienne à se produire au sein de plusieurs groupes vancouverois dans les années 1980 et à faire partie de Spirit of the West à l’époque où le groupe était au faîte de son succès commercial (1989-1996) avant d’entamer une carrière d’artiste exécutante qui a généré six albums à ce jour.

Cette musicienne chevronnée ne donne aucun signe de fatigue. Son plus récent album, Shadow Trails, sorti en 2015, était son troisième en trois ans (l’album de 2014, Fifty Shades of Red, était une compilation), et elle continue de se produire fréquemment en tournée au États-Unis et au Canada.

Linda McRae se rappelle l’effet énergisant de sa première visite dans une prison. « En octobre 2011, mon mari [le poète] James Whitmire et moi avons été invités à participer au programme « Arts-in-Corrections » à la New Folsom Prison en Californie. Ce fut pour nous une expérience absolument incroyable, et on nous a témoigné tellement de respect et de gratitude simplement pour le fait d’être là. Nous y sommes retournés environ huit fois. Puis nous avons décidé que nous voulions travailler avec des détenus et des jeunes à risque et les aider à se trouver une voix et à mettre des mots sur leurs pensées. »

Il en est résulté un  atelier d’écriture littéraire intitulé Express Yourself. La chanteuse avait décidé de faire porter ces ateliers sur la création littéraire plutôt que sur l’écriture de chansons afin de pouvoir intéresser le plus grand nombre de candidats possible. « Ce n’est pas tout le monde qui sait jouer d’un instrument, donc je parlais d’un atelier de création littéraire pour que tous puissent participer, explique-t-elle. J’anime aussi des ateliers d’écriture de chansons comme je le ferai en mars prochain au camp musical de Haliburton. J’y adapte parfois des exercices que je fais faire aux participants des ateliers de création littéraire. »

Linda McRae observe que certains détenus et jeunes à risque font preuve d’une aptitude phénoménale pour la création littéraire. « Ils sont souvent très étonnés de voir ce qu’ils arrivent à écrire, explique-t-elle, d’autant plus que plusieurs d’entre eux n’ont jamais pratiqué cet art auparavant. C’est une démarche intéressante où il faut structurer les ateliers de manière à ce que personne ne termine l’exercice dans la déprime. Il faut les inciter à la réflexion et les aider à être fiers d’eux-mêmes. »

Le gardien adjoint du Nebraska Correctional Center for Women, Tim Miller, confirme le succès de ces ateliers dans un témoignage où il admet qu’il est « incapable d’expliquer comment deux personnes peuvent se présenter dans une prison, y rencontrer de parfaits inconnus et créer instantanément une complicité avec eux. Je ne comprends pas comment James et Linda arrivent à ouvrir des êtres refermés depuis longtemps sur eux-mêmes et les amener à coucher sur papier leur vie, leurs objectifs et leurs rêves en en prenant pleinement conscience. Je ne peux expliquer ce phénomène, mais j’en ai été témoin. »

Linda McRae a été invitée à présenter ses ateliers en partenariat avec des festivals canadiens de musique aussi prestigieux que le South Country Fair, le Coldsnap Festival, le Vancouver Island Music Fest et le Folk Alliance International dans le cadre de leurs programmes de sensibilisation communautaire.

L’auteure-compositrice s’est inspirée de ces expériences en écrivant Shadow Trails, album dont une chanson, « Flowers of Appalachia », reprend une musique qu’elle avait composée sur un poème de Ken Blackburn, un détenu de la New Folsom Prison. « Cette musique est sortie directement de l’atelier de la prison, explique la chanteuse. C’était un poème de Ken qui m’allait droit au cœur, un poème incroyable qui parlait d’une vie ratée. Beaucoup d’histoires racontées dans les chansons de cet album m’ont été inspirées par des textes que j’ai lus et des anecdotes que j’ai entendu raconter durant l’atelier. »

D’autres chansons lui ont été inspirées par le Sud des États-Unis, une région qui a une profonde influence sur la musicienne depuis son déménagement à Nashville avec son mari il y a neuf ans.

Très admirée par ses pairs du monde de la musique, Linda McRae s’est toujours assuré la complicité des meilleurs artistes roots sur ses albums. Shadow Trails ne fait pas exception à la règle avec la section de rythme de John Dymond et Gary Craig (Blackie and the Rodeo Kings, Bruce Cockburn), le claviériste Steve O’Connor et le guitariste Steve Dawson, qui a également assuré la réalisation et le mixage.

Ce n’était pas la première fois que Linda McRae collaborait avec ces musiciens. « C’était comme un genre de réunion, explique-t-elle. Gary et John ont joué sur mon premier album solo, Flying Jenny [réalisé par Colin Linden], et Steve Dawson et Jesse Zubot faisaient partie de mon orchestre lors de la tournée qui a suivi le lancement de l’album. Tim Vesely, des Rheostatics, en était l’ingénieur, et j’aimais faire des spectacles avec son band quand je faisais partie de Spirit of the West. »

On remarque parmi les artistes invités à participer à l’enregistrement de Shadow Trails les noms bien connus de Ray Bonneville, de Fats Kaplin, de Gurf Morlix (réalisateur d’un précédent album de la chanteuse, Cryin’ Out Loud) et de Geoffrey Kelly, l’ancien coéquipier de la chanteuse dans Spirit of The West.

« J’ai eu tellement de plaisir à enregistrer l’album [au Woodshed, le studio de Blue Rodeo à Toronto], s’exclame l’artiste. Le studio est tellement confortable que la vibe est dans l’air. On a tout enregistré en direct en à peine trois jours. »

Linda McRae suscite les éloges unanimes de la critique depuis le début de sa carrière d’artiste solo. « Je ne me souviens pas d’avoir fait l’objet d’une critique cinglante, s’étonne-t-elle. Comme à n’importe quel auteur-compositeur, il m’arrive de perdre un peu confiance en moi-même et de me sous-estimer. Quand ça se produit, James me dit simplement : “Relis tes critiques !” ».



La maison d’édition canadienne d’envergure mondiale ole a frappé un grand coup au printemps 2016 avec l’annonce de son entente d’administration conclue avec Entertainment One (eOne), l’une des plus importantes maisons de production et de distribution de film et de contenus télé qui compte désormais parmi ses propriétés Last Gang Records, Management et Publishing de Toronto. ole administre donc désormais les plus de 40?000 titres télé et cinéma de eOne ainsi que 45?000 pièces de musique.

« Entertainment One est vraiment le client idéal », explique Robert Ott, le chef de la direction d’ole. « Offrir nos services aux créateurs audiovisuels a toujours fait partie de notre modèle de services administratifs et nous administrions le catalogue de Last Gang Records depuis de nombreuses années déjà. Chris Taylor et moi partageons depuis très longtemps le même point de vue indépendant sur l’industrie. »

L’avocat du domaine de la musique et entrepreneur Chris Taylor était dirigeant de Last Gang avant son acquisition par eOne en mars dernier. Une des clauses de l’entente faisait de lui le président de eOne Music Global. Il est ainsi passé de gestionnaire d’une entreprise nationale bourdonnante à dirigeant d’une entreprise mondiale avec des bureaux au Canada, aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Irlande, en Australie, en Nouvelle-Zélande, dans les pays du Benelux, en Espage, en France, en Allemagne, en Scandinavie et en Afrique du Sud.

Nous avons joint M. Taylor par téléphone depuis ses bureaux de New York où il se trouvait dans le cadre de sa « tournée » de reconnaissance des nombreux bureaux internationaux de eOne.

« Notre catalogue contient une importante proportion de répertoire audiovisuel, et je savais qu’ole accorde beaucoup d’importance à cela. » – Chris Taylor, eOne

« J’ai été un avocat en exercice pendant près de 20 ans et j’adorais ça », raconte-t-il. « Il fallait vraiment une occasion rêvée comme celle-ci pour m’éloigner de la pratique du droit. Mais je voulais amener Last Gang à sa prochaine étape logique et je n’y serais pas parvenu alors que ma vie était concentrée sur un cabinet avec 10 avocats et 500 clients. Je voulais accorder plus d’attention à Last Gang et je peux désormais le faire au sein de eOne tout en bénéficiant des ressources de l’entreprise. »

Pourtant, Entertainment One est une entreprise d’une telle taille qu’elle aurait très bien pu demander à n’importe laquelle des grandes maisons d’édition de s’occuper de ses catalogues.

« Nous avons eu des pourparlers et collaboré avec plusieurs “majors”, et je suis convaincu qu’ils auraient tous fait de l’excellent travail », explique-t-il. « En ce qui a trait aux termes de l’entente, je crois que tous les éditeurs potentiels se valaient, en fin de compte. Mais nous avions un faible pour ole, leur technologie est puissante et nous avions le sentiment que c’était la meilleure place pour nous, particulièrement en raison du fait que notre catalogue contient une importante proportion de répertoire audiovisuel, et je savais qu’ole accorde beaucoup d’importance à cela. »

Taylor ne manque pas de souligner au passage la puissance du logiciel de gestion de droits exclusif d’ole.

« Nous développons ce logiciel baptisé Conductor depuis 2011, puis nous avons réalisé que le volume des données dans le domaine de la musique et de l’audiovisuel était en pleine explosion », explique Robert Ott. « Le défi est de rendre conformes des ensembles de données provenant d’un peu partout au monde. Conductor nous permet d’analyser ces données, de les coupler et de les nettoyer en toute confidentialité entre les entreprises et collectifs. Le logiciel nous donne un meilleur accès à ces données et aux informations qui sont sous le coup d’une entente de non-divulgation. Nous serons en mesure de mettre cette technologie au profit de eOne car il s’agit d’un client d’envergure mondiale en plus d’être un joueur majeur de l’industrie. »

Ott et Taylor sont tous deux très optimistes au sujet de l’avenir des droits musicaux malgré la période de contraction de laquelle nous émergeons.

« L’an dernier, les revenus générés par la musique étaient en hausse pour la première fois depuis fort longtemps », explique Chris Taylor. « L’adoption des diverses plateformes de diffusion en continu a bondi en flèche : à elles seules, Spotify et Apple comptent plus de 50 millions d’abonnés qui paient chacun 10 $ par mois pour écouter de la musique. Ça me rend très optimiste. »