État de siège est le dix-neuvième album de Diane Dufresne, fabriqué conjointement avec Michel Cusson. Un projet audacieux porté par deux allumés en mal d’émotions neuves. À l’origine, les prestations virtuelles de Michel Cusson sur YouTube durant la pandémie, dont s’est délectée la chanteuse confinée.
Ravie des explorations du compositeur de musique à l’image qui travaille ces jours-ci sur la nouvelle saison de la série télé Dumas, elle l’a appelé. La matrice cussonnienne est unique et prisée.
Paroles & Musique a voulu en savoir davantage sur le processus créatif. Diane Dufresne nous a accordé une sympathique entrevue dont on superpose les meilleurs extraits à ceux de Michel Cusson, qui, à part ses deux heures de tennis quotidien, se cloître dans son antre de création pour en tirer des bouts de chanson, des climats insolites et des vignettes sonores en appui aux dialogues et images des épisodes à venir de Dumas.
« La pandémie, ce n’était pas jojo pour personne, mais ça ne m’a pas trop dérangé puisque je suis solitaire de confier l’iconique chanteuse. C’est très motivant et inspirant de collaborer avec Michel, c’était merveilleux de l’observer, c’est comme voir le spectacle d’un grand danseur ou d’un grand chanteur ; on a l’impression qu’il nous donne son talent. »
J’ai besoin d’un chum
« Ma première réaction lorsqu’elle m’a appelé ? Étonné et flatté. Des chansons de Diane Dufresne sur ma musique ? Ça prend du courage. Elle a choisi onze titres parmi les 125 et plus de mes performances virtuelles. Elle a été une fidèle abonnée des clips Michel Cusson en direct qu’elle a visionnés deux fois plutôt qu’une ! Au départ, elle voulait faire un album de jazz. Lorsqu’elle m’a contacté, son désir était de mettre ses paroles sur ces musiques déjà existantes. On peut essayer que je lui aie dit. Ce n’était pas facile pour elle, mon univers musical peut être déstabilisant. »
Écrire des paroles de chansons sur des morceaux instrumentaux existants, vaguement jazz, mais plus avant-gardistes ? « Oui, ricane-t-elle, fière de son coup. Je n’ai jamais écrit un disque complet. Ça m’a pris des mois à les écrire, mais ça été une joie, vous ne pouvez pas vous imaginer, je suis habitué à écrire des concepts de spectacles, mais là d’écrire dans la liberté la plus totale sur des musiques choisies, c’était un beau défi ».
Cusson acquiesce : « Elle a écrit des paroles sur ma mélodie de guitare et mon solo de guitare et me présentait le résultat en parlant ou chantonnait ses paroles au téléphone tandis que la chanson jouait sur son système de son. Le premier jet créatif des chansons d’État de Siège a été conçu ainsi. On a passé deux heures max ensemble dans la même pièce. Le reste du temps, on s’échangeait des fichiers. Je suis devenu un expert du Dropbox au fil des ans ! »
« En écoutant ses guitares, d’enchaîner Dufresne, j’entendais des personnages, j’entendais des rires ou des pleurs, j’entendais des voyages à travers ses guitares qui proviennent de partout».
Sur la même longueur d’onde
Rien de moins étonnant pour ces deux assoiffés d’expérimentations. Le tandem a sorti les ciseaux de sculpteur pour livrer un album subtil, varié et surprenant de vigueur avec le charme de l’équilibre précaire. État de Siège est d’abord un récit urbain où plusieurs personnages aux destins différents tirés de son imaginaire vivent les mêmes 24 heures d’une journée.
« Les machines, les téléphones, les bébelles, c’est démesuré et quand on regarde Michel dans son studio, c’est tellement sophistiqué, à la fine pointe technologique, mais quand il joue de sa guitare il reste un humain. C’est un grand musicien qui a beaucoup de rigueur, confie Dufresne, deux intenses ensembles, ça fait des étincelles, on ne sait pas où on va, mais on rit, on parle, on revient à la chanson. On laisse la liberté totale à l’autre. »
À partir de ses observations, Dufresne nous livre une poésie féroce – « mais il y a aussi beaucoup d’humour et de dérision dans mes textes. » Un fait demeure, le flot de paroles se déversant de la bouche de la prêtresse reçoit l’écrin musical adéquat.
« Il y a des choses à dire quand même, sur ce que je ressens maintenant. On vit dans un monde, une époque qui se transforme rapidement, à n’importe quel âge. Je pensais à ces gens sur l’autoroute 40 qui se retournent et regardent les gens dans la voiture d’à côté. C’est assez spécial (rires). Tu te retrouves dans ta voiture dans un état de siège avec la radio qui parle de guerre et autres catastrophes. Quand je vais faire des choses publiques concernant le travail (promotion d’un album, d’un concert) je me dois d’être informé sur tout ce qui se passe dans notre monde. »
Les chefs d’antennes, Sophie Thibault et Paul Arcand appelés au bataillon, donnent une dimension de réalisme – « les personnages du récit peuvent aussi être réels » –, d’expliquer celle qui, ces jours-ci, déballe ses trésors et ouvres ses voûtes dans l’exposition Aujourd’hui, hier et pour toujours à l’Arsenal, à Montréal.
Le réalisateur Toby Gendron a retrouvé sa muse le temps de ‘’placer’’ sa voix : « souvent les notes de Michel étaient très hautes, pour y arriver, je chantais une octave plus basse. L’évolution des tonalités, tout ça représente un travail énorme. Les textes, faut que ça soit sonore. Faut donner l’impression qu’on ne chante pas vraiment, mais qu’on dit quelque chose. Ensuite, les tonalités, ça ne se fait pas au bout d’une table, ça prend des semaines. »
On lui suggère qu’État de Siège est un recueil de chansons sur la condition humaine, le stress, l’anxiété, les aléas de la vie, ses incertitudes, ses peurs… « Ben, je vous remercie beaucoup, dit-elle au journaliste, ça me fait vraiment plaisir. Ça me touche parce qu’on devient, tranquillement, de moins en moins humains. Peut-être à cause de l’âge que j’ai, j’ai une vision et un recul, je pense entre autres à l’intelligence artificielle, c’est tellement dangereux ! Faut désormais rester humain, dans tout ce qu’on va (dorénavant) faire. Je vais continuer à chanter Oxygène et Hymne à la beauté du monde même si c’est un risque de dire ce qu’on pense du temps présent. »