WesliAu début du mois de juillet, Wesli a lancé dans le cadre du Festival international de Jazz de Montréal son sixième album intitulé Tradisyon, une ode à ses racines haïtiennes et aux parties oubliées de sa culture d’origine. Montréalais depuis plusieurs années, Wesley Louissaint a construit 19 chansons qui résonnent comme des hommages et des fragments nostalgiques de l’île qui a perdu les moyens de faire rayonner son art à sa juste valeur.

« Haïti a subi beaucoup de mutations culturelles influencées par la culture américaine, explique d’emblée Wesli. La situation géographique du pays, doublée par l’économie qui ne fonctionne pas, ça a avalé nos racines et notre francophonie aussi. »

La naissance de l’album Tradisyon est au cœur de ces racines-là. Il puise au plus profond d’une nation victime de ses malchances, une culture qui ne devrait pas « mourir de ça ». « Haïti n’arrive pas à nourrir son peuple et avec les années, les malchances et les catastrophes naturelles nous ont affaiblis culturellement. On n’a pas pris au sérieux ce que nos ancêtres nous ont laissé. »

C’est un travail de moine qui a donc habité l’artiste montréalais alors qu’il a voulu creuser pour rattraper dans leur chute, toutes les bribes de culture musicale haïtienne en voie de disparition. « Je veux donner cette vision, cette motivation de réinsérer les Haïtiens dans leurs racines, leur rappeler ce qu’ils connaissaient avant », complète Wesli.

Mardi 19 juillet 2022, il présentera ses nouvelles chansons au Festival Nuits d’Afrique à Montréal. « Dans ce spectacle, on va rencontrer les chansons de mon nouvel album, enracinées encore plus profondément dans la musique haïtienne. Je vais aussi faire des chansons de tous mes autres albums pour ne jamais dépayser les gens qui me soutiennent depuis longtemps », explique Wesli. Jusqu’au 24 juillet, le festival expose la fierté de toutes les musiques de souche africaine. « Sans un évènement comme celui-là, Montréal ne connaîtrait pas toute cette immensité culturelle musicale qu’offre le reste du monde », soutient Wesli.

La démarche derrière Tradisyon sera donc présentée en entier et « en vrai », pour que la mémoire haïtienne résonne par-delà les frontières. « Cet album, c’est une démarche assez gigantesque parce que mon point de départ, ce sont des rythmes perdus. Les Haïtiens ont perdu leurs racines créoles. Je fais des hommages à Azor Rasin Mapou (sur la pièce Samba), à Wawa Rasin Ganga (sur la pièce Wawa Sé Rèl O) et à Éric Charles aussi (sur la pièce Konté M Rakonté), un ténor de la musique troubadour. J’ai pu voir que ça me prendrait plus qu’un album pour approfondir mon sujet », conclut-il en riant.

Wesli accepte sans broncher le devoir de transmission qui est devenu pour lui un quasi-mantra. Il perçoit la richesse de la musique et son possible partage par le métissage des sons folkloriques et modernes. Pour lui, cela va néanmoins de soi : « Les influences musicales, elles sont naturellement mélangeables. Aucun musicien ne peut rendre les musiques compatibles, insiste-t-il. Il y a une âme que toutes les musiques portent et ça communique. Je tiens à reconnaître et écouter cette âme pour la partager dans ma musique. »

Pour Wesli, la musique porte donc en elle cette âme universelle qui n’a pas de langue, de nationalité ou d’instrument prédéterminé. C’est tout simplement plus grand.

« Je n’avais pas le choix de quitter Haïti pour parler d’elle. Je suis dans la situation idéale, au Canada, pour faire connaître les racines de ma patrie. Si j’étais là-bas, je n’aurais pas assez de sous pour faire cette démarche. Ça prend une aisance économique pour faire valoir nos valeurs artistiques. Vivre en Haïti, c’est la survie. Les gens ne voient pas ce qui a été perdu et ce qui doit être récupéré. »

Il voit sa vie ici comme une chance unique de partager sa nostalgie. « C’est certain qu’on se sent coupable d’avoir des opportunités. Et on sait qu’on ne ferait pas mieux que les nôtres, si on était restés là-bas. L’idée, c’est de profiter des possibilités pour les faire briller sur l’endroit d’où l’on vient. »

Les recherches de Wesli l’ont mené vers tant de découvertes qu’un simple album ne saurait couvrir. Un septième album, Tradisyon 2, est d’ailleurs prévu pour septembre 2022. « Je devrai faire 5 ou 6 albums pour faire valoir les valeurs haïtiennes telles que je les vois. Je veux dire aux jeunes de jouer ces rythmes que nos ancêtres nous ont laissés. En Haïti, on a évidemment emporté d’Afrique les valeurs de servitude dans les colonies, mais notre générosité, l’aspect social, l’espoir de notre nation et tant d’autres choses doivent continuer à vivre à travers la culture. »