Voilà plus de 10 ans que le trio punk-country-rock WD-40 n’avait pas offert de nouveau matériel. L’arrivée de La nuit juste après le déluge…, cinquième album sociofinancé en moins de 72h (!) marque le retour d’un des derniers groupes-cultes férocement indépendants encore actifs issus de la vague rock alternatif québécoise du début des années 90. Rencontre avec Alex Jones, qui, avec son inséparable frère Jean-Lou et le batteur/archiveur/responsable des communications/et toutes autres tâches connexes Hugo Lachance, sortait à peine de scène, lors d’un lancement mémorable (comme aux premiers jours) au Lion d’Or, à Montréal.

En 2018, WD-40 fêtera ses 25 ans d’existence, de survivance, de rock, de chansons devenues des classiques de l’underground, d’excès, de dérapages pas toujours contrôlés, de demi-succès avorté et de shows parfois mythiques, parfois pathétiques, mais toujours à la hauteur de la réputation d’authenticité qui a guidé ce groupe originaire du Saguenay depuis ses débuts.

À l’écoute de La nuit après le déluge…, on sent bien que ce retour inattendu n’a pas été motivé par l’appât du gain ou une quelconque envie de surfer sur la nostalgie d’une époque révolue. Non. À travers la grande majorité de ces 10 nouvelles chansons, on sent un vécu récent, encore douloureux, peut-être exprimé avec plus de poésie et de subtilité que lors des épisodes précédents, mais de manière tout aussi intègre qu’avant face aux sentiments écorchés de son auteur, le chanteur et bassiste Alex Jones, qui ne peut s’empêcher de donner du vrai en pâture à qui voudra bien l’entendre.

La genèse de cet album du retour remonte à il y a deux ans alors qu’Alex vivait une rupture amoureuse difficile : « Le trois quarts des tounes de l’album ont été écrites pendant l’année de ma séparation », raconte Alex dans le hall d’entrée du Lion d’Or où les fans de la première heure le saluent à tour de rôle en empruntant le chemin de la sortie, non sans avoir acheté un t-shirt au kiosque de merch en passant. « On est revenus ensemble elle et moi depuis… Mais c’est vraiment l’album où je me suis le plus mis à nu, c’est l’histoire de ce que j’ai vécu, l’histoire de ma vie. C’est toujours ce que j’ai fait, c’est juste qu’aujourd’hui, c’est plus lourd de conséquences.

Quand t’as vingt ans pis que tu pars sur la brosse pis que tu trompes ta blonde, c’est une chose. Mais quand t’as 40 ans pis que tu trompes ta blonde, c’est autre chose, y a des enfants dans le portrait, y a une hypothèque qui n’est pas payée… C’est le poids de tout ça, c’est la recherche de l’équilibre, essayer de refaire marcher tout ça qui m’a inspiré pour les textes de La nuit juste après le déluge… Je ne l’ai pas décrit mot pour mot comme sur mes premiers albums, mais j’ai plutôt essayé de graver l’essence du sentiment que j’avais. Je me suis ramassé devant rien, je suis tombé aussi profond dans l’abime que quand j’étais héroïnomane… C’est la douleur et le manque qui me fait créer. »

« La seule chose qui fait que je suis intéressant, c’est quand je fais de la musique, sinon je suis un total nobody. C’est ce qui donne un sens à ma vie et c’est ce qui rend mes filles fières de moi. »

Mais la douleur et le manque, s’ils ont souvent été les moteurs de création d’Alex Jones, ont aussi été ses pires ennemis dans le passé. L’homme est tombé plus d’une fois au combat de la dépendance aux substances servant à compenser ses manques et à engourdir sa douleur. À un point tel qu’il n’a pas pu suivre le rythme : « J’avais plus rien, j’avais même vendu mon linge ! Mais je me suis refait, j’ai fait autre chose que de la musique, j’ai eu des enfants, je me suis acheté un bungalow en banlieue, je me suis investi dans les téléséries québécoises (NDLR : notamment pour la série Au secours de Béatrice) en montant les échelons, en partant de technicien au décor jusqu’à la direction artistique, pis ça m’a aidé énormément, ça m’a fait vivre pendant quatre ans. »

Musicalement, il faut bien avouer que si WD-40 est tout à fait reconnaissable sur La nuit juste après le déluge…, on y remarque une tendance plus assumée pour les influences rockabilly et psychobilly. Un nouvel embranchement stylistique qui s’intègre parfaitement à la personnalité musicale du répertoire du groupe et qui trace les contours d’une personnalité plus définie à l’album : « Je voulais aller vers ça et j’avais approché Yann Perreau pour lui offrir de s’impliquer au niveau de la réalisation, raconte Alex. Je l’ai rencontré dans un café le matin et il m’a invité chez lui, on a bu du rhum, on a écouté les versions démos des tounes dans sa cuisine, et c’est lui qui m’a incité à exploiter plus le côté rockabilly. Finalement, il a pas pu nous aider à réaliser l’album, par manque de temps, mais je l’ai écouté ! C’est sa contribution à l’album, je l’adore Yann! »

C’est finalement Mingo L’Indien, claviériste et guitariste du groupe de « rock pétrochimique » Georges Leningrad qui s’est chargé de l’enregistrement, de la réalisation et du mixage de La nuit juste après le déluge… Un choix qu’Alex Jones ne regrette pas une seconde malgré la personnalité particulière de l’homme : « Mingo c’est un homme insaisissable, un homme vraiment très étrange. Les sessions de création et d’enregistrement se sont étalées sur trois ans, ça nous prenait quelqu’un pour toute ramener ça pour que ça finisse par ressembler à quelque chose. Et il a fait un beau travail. »

Au final de cette entrevue improvisée, Alex Jones n’en démord pas. WD-40, c’est sa vie. Si son désir de reconnaissance est maintenant plus raisonnable quant aux perspectives de connaitre le véritable succès populaire (il rêve maintenant d’être invité à Belle et Bum !), il n’en demeure pas moins convaincu que sa place est sur un stage, peu importe lequel, là où on voudra de lui et ses acolytes, pour célébrer l’effet cathartique du rock et le partager avec ses semblables.

« La seule chose qui fait que je suis intéressant, c’est quand je fais de la musique, sinon je suis un total nobody. C’est ce qui donne un sens à ma vie et c’est ce qui rend mes filles fières de moi. Ça fait que tant qu’on va m’appeler pour aller jouer quelque part, je vais y aller. Je veux pas attendre 11 ans avant de faire un autre album. C’est ce que j’aime le plus faire de ma vie pis ça va continuer. La vie est excessivement courte. Il faut faire quelque chose maintenant. Si tu ne fais rien maintenant, il ne se passera rien après. »

WD-40 sera en spectacle le 2 mars, au Lion d’Or dans le cadre de Montréal en Lumière.