Entre octobre 2019 et décembre 2020, l’auteur-compositeur, guitariste et chanteur Vincent Vallières a co-réalisé son huitième album avec son bon ami, le guitariste André Papanicolaou.

Vincent Vallières« À pareille date l’an dernier, raconte-t-il, on était assez avancé dans le processus, dans le plan de match, plusieurs chansons étaient déjà très arrangées, d’autres mixées et finalisées. Le pas de recul m’a fait douter. Les deux-trois premières semaines, je me demandais :  est-ce que c’est vraiment ça que j’ai voulu faire, que j’ai voulu dire ? Alors on a tout recommencé. On a mis de côté ce qu’on avait fait pour bâtir autre chose à côté avec d’autres matériaux. »

En ne laissant rien passer de ce qui le traverse : « mes rencontres, mes amis, mes voisins, mes rapports humains. Cette espèce de crainte et cette solitude qui a décuplé et on se rend compte de tous les effets pervers. À cause de la réflexion globale de l’album qui représente bien ce que je suis, c’est l’un de mes meilleurs ».

Toute beauté n’est pas perdue expose un folk-rock bien expédié, porté par des riffs royaux sur des guitares qui se paient quelques délicieuses tranches de plaisir sur lesquelles viennent se greffer des textes intelligents.

Toutes les marques de guitare utilisées sont mentionnées dans le livret : Gretsch, Rickenbacker, Danelectro, Gibson, Fender Precision… « La Rickenbacker a une forte personnalité, confie le guitariste. En jouant Homme de rien dans mon petit ampli Fender Champ je découvre une tonalité qui nous a suivis durant tout le projet ».

Se sont ajoutés : Michel-Olivier Gasse, fidèle partenaire musicien, Marc-André Larocque à la batterie et Amélie Mandeville qui avait chanté sur son disque précédent et participé à la tournée. Puis Ingrid St-Pierre qui chante On dansera sous la pluie : « écrite pour ma plus jeune fille Marie, une chanson très intime. Son interprétation soulève la chanson, il y a une sorte de candeur qui ressort, un petit rayon de soleil ».

Pour compléter l’effectif, Vallières et Papanicolaou ont demandé à Martin Léon d’être le directeur artistique du projet. « Je voulais entamer un dialogue avec lui pour qu’il me défie au niveau des idées. Martin, je le considère comme l’un des meilleurs auteurs-compositeurs au Québec. On a travaillé dans l’intimité. En lisant un texte, il commentait : qu’est-ce que tu veux dire ici ou là, question de bien cerner le propos ».

Léon n’est pas venu au festin les mains vides. « Son rôle a été de rendre la parole la plus limpide possible. Il est capable d’écoute, d’une exigence poétique et possède une capacité d’être plus impressionniste que moi. Ça a donné lieu à de beaux frottements ! »

Un exemple ? Heille Vallières, première plage du disque. « Pour en arriver à cette version, ça a pris beaucoup de travail avec Léon qui m’a rappelé le poème de Gérald Godin, T’en souviens-tu Godin? où il se parle à lui-même. C’est pour ouvrir le dialogue de l’album et ouvrir le dialogue avec moi-même en premier. C’est comme un cri de réveil, Wake Up! Ta capacité d’émerveillement est-elle encore toute là ? Es-tu capable de te surprendre encore ? ».

Une autre preuve que notre homme a du goût et de bonnes fréquentations. « Être capable de mettre mon égo de côté au service de ma chanson, ça va en faire une meilleure. Je ne suis pas sûr que j’avais cette humilité-là à 25 ans. Je l’ai fait avant avec Éric Goulet, mon premier mentor, qui a une culture du rock et littéraire très développée. Et avec Philippe B. qui sont tous les deux de très grands faiseurs de chansons ».

Sur Je suis comme toi, très sixties et The Byrds de facture, Vallières dévoile la trouvaille en studio : « on a mixé une douze cordes acoustique au son de la Rickenbacker ! ». Autre perle du disque, Le jardin se meurt, d’où l’on a tiré un clip live avec un plan séquence de six minutes qui fait partie d’un moyen métrage (documentaire et performance) qui coïncide avec la sortie de l’album.

Entre les étoiles et toi est béni par ce beau clip de Noisy Head Studios : balade garçon-fille en décapotable dans l’espace, la route en forme de manche de guitare, un cœur gros comme une planète, Vallières crée le buzz avec ses clips.

Et puis, cette immense chanson chantée avec Marjo, Tout n’est pas pour toujours. Un moment de grâce. La seule du disque sans guitares. Marjo sur un écrin de mellotron. Doux. Et efficace. Comme elle seule en est capable.

« Marjo est branchée sur le cœur. Je lui envoie la toune, elle me répond le lendemain : c’est vraiment beau Vincent, je veux la chanter ! On s’est regardé : estie, les gars, elle veut la faire, elle veut la faire ! Il y a une pureté dans cette femme-là. Son niveau de préparation est inspirant. Elle m’a appelé pour savoir comment je chante tel ou tel passage, l’harmonie, ça va être quoi, elle ne s’en vient pas niaiser, elle veut faire une performance. Elle vient triper, mais elle arrive prête ».



Lil Berete est un jeune vétéran. Nous avons discuté avec le rappeur torontois quelques jours avant son 20e anniversaire à propos de la version de luxe de son plus récent « mixtape », Icebreaker 2 (lancé le 9 avril 2021). « Vous pouvez vous attendre à une œuvre bonifiée de la part de Lil Berete, aucun doute », dit-il au sujet de la différence entre cette version et la version originale parue il y a quelques mois. « Mon “mixtape” originale était carrément une explication de ce que j’ai vécu, de ce que je vis chaque jour. La version de luxe est totalement axée sur les “vibes”. Mon auditoire est beaucoup dans la rue, c’est sûr, mais ce ne sont pas des hymnes à la rue. Les versions de luxe, je les ai plus pensées pour les clubs. Je veux que chacune de ces pièces soit un “hit” dans les clubs. »

Icebreaker 2 s’inscrit dans la foulée d’une série de simples que Lil Berete a lancés au cours de la dernière année et qui ont cumulés plus de 50 millions de « streams », dont 20 millions uniquement sur YouTube. Et après plusieurs simples à l’échelle nationale et internationale avec la nouvelle génération d’artistes britanniques – Loski, Nafe Smallz, Headie One, Deno –, Lil Berete a réellement solidifié son statut d’artiste international.

Icebreaker 2 est la suite, nominalement, de Icebreaker, son mixtape précédent paru en 2018 alors qu’il n’avait que 17 ans. À l’époque, le MC originaire du quartier Regent Park de Toronto était sous contrat avec la légendaire maison de disque XL Recordings connue notamment pour avoir mis sous contrat et lancé Adele vers le statut de super vedette sont elle jouit aujourd’hui. Icebreaker 2 est cependant un projet indépendant, puisque ses liens avec XL ont été rompus, ce qui l’a obligé à revoir ses perspectives.

« J’ai appris à garder mon calme », dit Lil Berete. « J’ai appris à économiser mon argent. Quand je suis sorti de mon contrat, j’ai dû m’adapter à une toute nouvelle vie. Un peu comme si j’étais emprisonné et que je redécouvrais ma liberté… J’ai appris à être en contrôle et concentré. Mais je n’ai jamais arrêté de faire de la musique. J’ai appris plein de choses sur l’industrie, notamment le fait d’être propriétaire de tes bandes maîtresses. J’ai appris des trucs que personne ne sait, mais je ne vais pas donner ces conseils gratuitement. Tout ce que je sais, c’est que je sais ce que je fais quand je suis dans l’instant présent. »

“Mon “hood” au complet me voyait comme un Dieu, mais j’ai des problèmes personnels et financiers, comme tout le monde”

Cette notion d’être dans le moment présent se reflète également dans le processus créatif de Lil Berete. « Il est plus naturel, plus à jour », explique-t-il. « Des fois j’écris un truc et quand je mets un “beat” dessus deux ou trois semaines plus tard, le sens du texte a déjà changé pour moi… Mais si je vais en studio aujourd’hui et que je dis ce que j’ai à dire aujourd’hui, je vais réaliser, quelques mois plus tard quand je vais réentendre ce morceau, que j’étais en colère ce jour-là. Je me souviens de la journée où j’ai enregistré cette chanson. À l’opposé, si j’écris un truc une journée, mais que je ne vais en studio que deux, trois, quatre ou cinq jours plus tard, je ne serai plus nécessairement dans le même état d’esprit. »

C’est donc pour cette raison que le processus d’écriture de Lil Berete a changé : il a pratiquement cessé d’utiliser son appareil mobile – ou même un stylo – pour écrire ses textes et il a pleinement confiance que cela l’a aidé à devenir un meilleur auteur-compositeur. « Tu sais comment un chanteur peut parfaire sa voix? » demande-t-il de manière purement rhétorique. « J’ai eu le même sentiment. Je ne savais pas quel genre de rappeur je voulais être, je ne savais pas si je voulais être un gars “straight” ou un de ces rappeurs avec une voix dingue. Bref, j’ai trouvé ma zone de confort. »

Sur Icebreaker 2, la voix souvent modulée de Lil Berete tricote sur des morceaux comme ses récents simples « War Ready » et « Painallgo », c’est-à-dire avec un sens de la mélodie qu’il dit retenir de sa mère, Cheka Katenen Dioubate, une chanteuse Djeli de la Guinée dont la culture mandingue encourage l’héritage générationnel de la musicalité. « Je ne pense pas à la mélodie », dit Lil Berete. « Les mélodies me viennent naturellement. Ma mère était chanteuse, elle faisait partie de la tradition griot, alors les mélodies sont déjà toutes là. Plein de gens pensent que j’ai toutes ces mélodies hallucinantes, sauf qu’ils ne comprennent pas vraiment ce que j’essaie de dire. Quand t’as comprris ce que je veux dire, le “feeling” change complètement. »

Dans sa musique, Lil Berete fait preuve d’une fierté et d’une loyauté farouches à l’égard de ses amis du quartier de Regent Park, le plus ancien quartier de logements sociaux du Canada, dont les habitants ont été historiquement marginalisés de manière systémique et ont récemment été confrontés au grand bouleversement de la gentrification. Par conséquent, le jeune rappeur sait que même sa capacité passée à décrocher un contrat de disque au Royaume-Uni et à tourner des vidéos à Saint-Vincent est tempérée par une réalité qui se reflète dans sa musique et qui le pousse à persévérer.

« J’ai l’impression d’être le mec qui revient avec une toute nouvelle perspective, je leur donne espoir qu’eux aussi peuvent y arriver », dit Lil Berete au sujet de son retour dans le quartier après ses nombreux voyages. « Sauf que quand je suis rentré après tout ça, tout le “hood” me voyait comme un Dieu. Mais ce qu’ils ne savent pas, c’est que j’ai des problèmes personnels et financiers, comme tout le monde. Sauf qu’ils ne voient pas tout ça. C’est dur, des fois, quand les gens te voient comme LE mec, mais que t’es pas encore LE mec. »



Kae Sun a déjà chanté en pidgin sur des rythmes tendance afro-beat, mais aujourd’hui, c’est le monde en constante évolution du r&b qui occupe ses pensées. L’auteur-compositeur-interprète montréalais né à Accra, capitale du Ghana, a lancé en février dernier l’envoûtant mini-album Midnight and Other Endings sur lequel il poursuit ce virage en direction d’un r&b moderne et exploratoire, amorcé sur son précédent album, Whoever Comes Knocking, paru en 2018 sur le label Moonshine. « C’est le côté abstrait, impressionniste, de l’écriture de chansons qui m’intéresse aujourd’hui », nous explique le musicien.

Le r&b en mutation est un terreau fertile pour le compositeur, qui s’inscrit dans le sillon des têtes chercheuses Moses Sumney, serpentwithfeet et, dans une autre mesure, Frank Ocean. Ces comparaisons, acquiesce Kae Sun (né Kwaku Darko Mensah-Jnr.), ont l’avantage de délimiter ses choix esthétiques : « Y’a cette qualité que je retrouve chez ces artistes – particulièrement chez Frank Ocean – qui touche à leur manière d’écrire des chansons. Ça m’intéresse parce que j’ai étudié l’écriture, la poésie. Ils ont une manière singulière de lier les mots et la musique; avant, dans mon travail, j’avais tendance à dire les choses plus directement, tout en essayant d’être lyrique. Mais on note aujourd’hui l’émergence d’une nouvelle génération de compositeurs r&b qui s’intéresse autrement à la poésie, et je trouve ça très intéressant. »

Reçu au Canada à l’adolescence comme étudiant international, Kae Sun a commencé à composer et produire sa propre musique à la fin de ses études, alors établi à Toronto – sa famille a depuis quitté le Ghana pour s’établir dans la région d’Atlanta. Sur ses précédentes parutions, la soul rencontrait le folk, la pop, le reggae et, occasionnellement, les rythmes de son pays d’origine. « Ce n’est que plus récemment que je me suis tourné vers le r&b, mais je dirais qu’il reste toujours un peu de l’influence du Ghana en filigrane de ma musique – et par ailleurs, la culture musicale est si riche au Ghana qu’elle ne peut que laisser des traces dans ce que je fais, sans avoir à insister. Ces influences sont plus subtiles, plus directes. »

Kae Sun, en ce sens, est le produit de son environnement sonore. Enfant, il a été marqué autant par la pop américaine et britannique qui tournait à la radio que par le gospel (à la manière, bien distincte, d’Accra) et, inévitablement, par le high-life, cette fusion du jazz et des rythmes traditionnels ghanéens apparue au milieu du XXe siècle dont l’influence, même à l’époque, a grandement traversé les frontières du pays – l’afro-beat nigérian est d’ailleurs largement tributaire du son du Ghana; une version moderne, plus pop-reggae-funk née auprès de la diaspora ghanéenne en Allemagne qu’on a baptisée le « burger-high-life », tournait aussi abondamment dans la radio des souvenirs de Kae Sun.

L’autre ingrédient musical formateur du musicien lui a été transmis par son père, grand amateur de soul et collectionneur de disques. « Stevie [Wonder], Marvin [Gaye], les Ohio Players, tous ces disques jouaient à la maison. J’ai des goûts musicaux éclectiques! », abonde le musicien qui compose à la maison, dans son petit home studio, souvent à partir d’idées trouvées à la guitare, son premier instrument.

« La mélodie vient toujours en premier, ensuite je trouve les mots, explique Kwaku. Parce que parfois, t’as beau avoir les plus beaux mots, ils auront toujours besoin d’une bonne musique – à mon sens, c’est toujours la mélodie qui dirige la chanson. Parfois aussi, je vais écouter un truc que quelqu’un a composé, un beat, et je prends des notes. J’essaie de trouver des pistes de mélodies qui pourraient s’y attacher. »

S’il a beaucoup composé et réalisé ses premiers projets, pour Midnight and Other Endings, Kae Sun s’est tourné vers ses collaborateurs montréalais, en premier lieu le beakmaker Yama//Sato : « Pour ce projet, je cherchais à atteindre un son plus lent, plus coulant, plus brumeux, justifie-t-il. Yama//Sato fait ce type de production, très atmosphérique » qui va comme un gant à la voix fine du musicien et à ses tendres chansons. Sur ce mini-album, « mes chansons parlent du désir, le désir d’intimité, bien sûr, mais aussi d’avoir un chez-soi, d’un port d’attache. J’ai beaucoup bougé ces dernières années, alors je voulais exprimer cette envie d’une place à soi, cette envie d’aimer et d’être aimé ».

Au moment de quitter Toronto il y a quelques années, une ville où la scène r&b est clairement plus valorisée qu’à Montréal, « il y avait plein de trucs intéressants qui s’y passaient – en tous cas sur le point de vue de l’industrie de la musique, estime Kae Sun. Mais je crois que pour un artiste, un créateur, il faut pouvoir s’extraire de l’industrie. Sur le plan créatif, je me sens plus à l’aise à Montréal; la scène culturelle ici est tellement stimulante, il y a tellement de bons musiciens, de bons créateurs, des talents provenant de différents horizons – des designers, des artistes visuels, des réalisateurs, etc. Oui, Toronto a le vent dans les voiles en ce moment, mais la scène est très « cut throat » (coupe-gorge). J’ai le sentiment que pour revenir à la création, Montréal est le bon endroit pour moi. »